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à-dire, dans le Delta & les lieux voifins, eft d'une qualité inférieure à celui qui vient dans la Thébaïde.

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Le récit de Strabon différe par quelques circonftances de celui de Pline. L'Egypte eft, dit-il, très-fertile de fa nature; les eaux du Nil y dépofent un limon qui la fertilife merveilleusement, & lui fait produire une prodigieufe quantité de bleds & de toutes fortes de fruits. Plus le débordement des eaux de ce fleuve eft confidérable, plus il y a de terres arrofées; mais au défaut des crues naturelles, les habitans ont trouvé le moyen de faire arrofer autant de terres dans les moindres débordemens que dans les plus grands ce qu'ils obtiennent par le moyen des réservoirs & des digues. Avant le temps où Pétronius fut Gouverneur d'Egypte pour les Romains, la plus grande fertilité avoit lieu, fi les crues étoient de quatorze coudées : fi elles n'étoient que de huit coudées, la difette & la famine fe faifoient fentir; mais par les foins de Pétronius, lorfque les eaux s'élevoient à douze coudées feulement, il y avoit une grande abondance de bleds & de fruits; & lorfqu'elles ne s'élevoient qu'à huit coudées, perfonne n'étoit incommodé de la famine. Lorfque le Nil fe déborde, toutes les campagnes font inondées; font inondées; il ne refte il ne refte que les habitations qui font placées fur des collines, ou fur des terraffes conftruites pour cela. Les grandes Villes, les Villages & les Hameaux femblent alors comme des Ifles éparfes fur la fuperficie des eaux. L'inondation arrive l'été, & dure quarante jours. Après ce temps, les eaux baiffent peu à peu. Les terres fe découvrent & fe féchent dans l'intervalle de foixante jours; & plus l'émersion se fait avec célérité, plutôt on laboure & l'on enfemence les terres, principalement dans les cantons les plus hauts & les plus expofés aux ardeurs du foleil. Les rives du Ñil, au midi du Delta, font submergées de la même maniere. Cependant il y a un espace de quatre mille ftades où le Nil ne fort point de fon bassin : au reste, il n'y a de terres inondées que celles qui font fituées fur les deux bords du fleuve, & dont l'étendue eft rarement de trois cents ftades de part & d'autre de fon lit. Cette longue lifiere qui borde le Nil des deux côtés, avec le Delta, font proprement la partie habitable de l'Egypte.

Les terres en Egypte rendent cent pour un, felon Pline (lib. XVIII, cap. X.). Ammien Marcellin (lib. XXII. dit que dans les années où le Nil monte à feize coudées, les terres rapportent

près de foixante-dix pour un : Jacta fementes in loco pinguis cefpitis cum augmento ferè feptuagefimo renafcuntur. Ces deux obfervations peuvent être également exactes. Dans certains lieux, les terres produifent cent, & dans d'autres foixante-dix pour un. Le même canton peut auffi produire une année cent pour un, tandis que l'année suivante il ne produira que foixante-dix. Prenons le moindre produit pour le courant, & fuppofons que la terre rende foixante dix pour un; un arpent de France rendra fur ce pied plus de trente- fix fetiers de bled, femence prélevée, & pourra nourrir au moins quinze perfonnes dans ces climats chauds où l'on confomme moins de pain que dans les pays froids. Les terres font renouvellées & en quelque forte rajeunies tous les ans par le limon gras qu'y dépofent les eaux; ces terres font donc reftibles. Je fuppofe qu'on en mette la moitié en bled, & le refte en autres productions & en pâturages; l'Egypte à ce compte pourroit avoir une population de près de trente-deux millions d'habitans, & je n'entends par l'Egypte que le Delta.

On peut fuppofer ces terres, foit qu'on les emploie à produire du bled, foit qu'on les emploie à d'autres ufages, de même valeur & de même produit que fi elles étoient toutes enfemencées en bled. Nous pourrions ainfi évaluer toutes les richeffes annuelles de la baffe Egypte à 152604000 fetiers de bled, qui, à raison de 20 liv. le fetier, feroient 305 2080000 liv. de notre monnoie.

Nous lifons dans le quarante-feptieme Chapitre de la Génese, que les Egyptiens, pour obtenir du Patriarche Jofeph devenu premier Miniftre de Pharaon, du bled pour leur subsistance du rant un long-temps de famine, avoient été obligés non-feulement de donner tout ce qu'ils pouvoient pofféder d'argent & d'or, mais encore qu'ils avoient été forcés de vendre leurs troupeaux, leurs terres & leurs perfonnes, & que pour être rachetés de cette fervitude, on les avoit affujettis, en leur rendant leurs terres, à payer tous les ans au Roi la cinquieme partie de tous les fruits qu'elles produiroient; tribut accablant qui paffa en loi, & fe percevoit encore au temps de Moife. De ceci & du calcul précédent on pourroit inférer que les Rois de la baffe Egypte avoient un revenu annuel de la valeur de plus de fix cents millions de notre monnoie. Mais on rabattra beaucoup de cette prodigieufe fomme, fi l'on confidere 1°. qu'il y a fans doute des terres en Egypte de qualité bien inférieure à celle dont nous venons de parler ; 2°. que

les terres des Prêtres, qui devoient être d'une grande étendue, étoient exemptes de toute impofition; 3°. que les foldats jouif foient dans ce pays de la prérogative finguliere de pofféder chacun douze aroures de terre que le Prince leur donnoit en les exemptant de toute charge publique autre que le fervice militaire. Or douze aroures valent 1.817, c'est-à-dire, un peu plus d'un arpent & quatre-cinquiemes. L'Egypte entretenoit annuellement quatre cents mille hommes de troupes, comme Hérodote le témoigne (lib. II.); cet objet feul faifoit donc un produit de 762700 arpens francs de toute taxe. Mais les armées Egyptiennes ont été beaucoup plus nombreuses à d'autres époques. Strabon (pag. 561.) dit qu'au-deffous de Memnonion on voyoit encore, de fon temps, les tombeaux des anciens Rois de Thebes, près defquels étoient des obélifques & des infcriptions qui faifoient connoître les richeffes de ces Rois, leur puiffance, l'étendue de leur Empire, leurs revenus, & le nombre de leurs troupes qui fe montoient à un million d'hommes. Au refte, le tribut onéreux du cinquieme des fruits de la terre fut réduit & diminué de beaucoup dans la fuite; car, au rapport de Strabon (lib. XVII, p. 549.), Cicéron dans quelqu'une de fes Harangues ne faifoit monter le revenu d'Aulete, pere de Cléopatre, qu'à douze mille cinq cents talens, qui ne font guère plus de foixante-dix-huit millions de notre monnoie. L'Egypte, & par ce mot il faut toujours entendre le Delta, payoit encore moins fous la domination des Arabes, puifque, fuivant le rapport du Géographe Hancélida, elle ne payoit que douze millions de deniers d'or, qui valent douze mille talens, ou foixante-quinze millions de la monnoie de France; & tout cet impôt étoit réparti fur une étendue de vingt-huit millions d'aroures, qui font tout le terrein de la baffe Egypte. Cette imposition revient à dix-fept livres quatorze fous par arpent de

France.

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La pêche du lac Méris, dans l'Heptanome, étoit encore d'un produit confidérable pour les Rois d'Egypte. Ce lac étoit fitué près du Labyrinthe, dans les plaines fablonneufes du côté de la Lybie il avoit de tour 3600 ftades ou 60 fchenes, & s'étendoit en longueur du nord au midi. Cette courte defcription ne donnant pas précisément la forme du lac Méris, ne peut fervir à en déterminer l'étendue; il paroît que c'étoit un long canal, où le travail des hommes avoit fecondé la nature du local. Le Nil lui

communiquoit fes eaux, qui defcendoient dedans durant fix mois, & qui durant fix autres mois s'en retiroient. Pendant les fix mois que l'eau s'écouloit, la pêche rendoit au Roi chaque jour un talent d'argent; & pendant les fix mois qu'elle y rentroit, la pêche ne valoit plus que vingt mines.

Je ne penfe pas, dit Hérodote, que pour ce qui concerne la fertilité, on puiffe comparer l'Afrique avec l'Afie & l'Europe, fi l'on en excepte la Cynipe, qui porte le même nom que fon Aeuve: en effet, il n'y a point de terre qui foit plus propre pour le bled, & qui en produife davantage; auffi eft-ce une terre noire, arrofée par des fources abondantes. Elle n'eft incommodée ni des grandes féchereffes, ni des grandes pluies, quoiqu'il pleuve dans cette partie de l'Afrique. Cette terre ne rapporte pas moins que la Babylonie. La contrée des Evefpérides eft auffi fort bonne, & dans les meilleures années elle rend le centuple; mais celle de Cynipe rapporte trois cents pour un. A l'égard du pays de Cyrene, qui eft le plus haut de la Lybie, & où habitent les Lybiens bergers, il contient trois plages qui font dignes d'admiration. Quand les grains font mûrs dans la premiere, qui eft maritime, & que la moiffon y eft faite, ceux de la feconde, qu'on appelle les vallées, mûriffent; & durant le temps qu'on en fait la récolte, ceux de la plus haute plage viennent en maturité, deforte que tandis qu'on confomme les premiers fruits, les derniers s'avancent & mûriffent. C'eft ainfi que le temps de la moiffon dure huit mois chez les Cyréniens. Ces peuples étoient une Colonie de l'Ifle de Théra, l'une des Cyclades: elle fut fondée par Battus. Beaucoup d'autres Grecs, dans la fuite, firent voile vers la Lybie, & fe joignirent aux Cyréniens. Ce pays abondoit auffi en pâturages, en troupeaux & en laines.

Autrefois la Judée étoit une terre excellente, arrofée par des ruiffeaux de lait & de miel, comme parle l'Ecriture. Ce pays produifoit avec une abondance qui tenoit du prodige, des grains, des olives, des dattes, du miel, du baume, toute forte d'autres fruits délicieux. Les troupeaux de bœufs & de moutons y étoient innombrables. Cette grande fertilité de la Terre-fainte eft attestée par tous les Ecrivains de l'antiquité tant facrés que profanes.

Strabon écrit (lib. XVI, p. 519.) que les vallées fituées fur les bords du Jourdain font extrêmement fertiles, & qu'elles produifent toutes les chofes néceffaires à la vie. Les terres des environs

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du port de Joppé étoient d'une fi merveilleuse fécondité, que la petite Ville de Jamnia & les Villages voisins pouvoient fournir quarante mille hommes en état de porter les armes. J'observe qu'entre Joppé & Jamnia il y avoit une Ville appellée Gadara Gazara ne faudroit-il pas entendre du territoire de cette Ville, ce qu'on lit dans Varron, que les terres de Garada rendoient cent arrofées par les eaux du Jourpour un ? Les plaines de Jéricho, dain, produifoient abondamment toutes les chofes néceffaires aux befoins de l'homme : elles étoient très-peuplées; mais il n'en étoit de même des environs de Jérufalem; le terrein en eft fec & pas pierreux à la diftance de foixante ftades de la Ville.

la

On lit dans la Génese (cap. XXVI, verf. 12 & 13.) que famine ayant obligé Isaac d'aller s'établir aux environs de Gérare dans le pays des Philiftins, il y fit labourer & femer une portion de terre qu'on lui avoit cédée, & que dès la même année il recueillit le centuple de la femence qu'il y avoit répandue. D'année en année la terre fe bonifioit entre fes mains, & devenoit plus fertile, enforte que fes riches moiffons attiroient chez lui une bonne partie de l'or & de l'argent du pays: Sevit autem Ifaac in terrâ illâ, & invenit in ipfo anno centuplum.

que

Il ne faut donc pas regarder comme une hyperbole ou une exagération ce qu'on lit dans S. Matthieu (cap. XIII, verf. 8.), du bled femé dans la bonne terre, l'un rendit cent pour un l'autre foixante, & l'autre trente. La parabole de Jefus - Chrift eft prife dans la nature même du fol de la Judée : les meilleures terres y rendoient cent pour un, les médiocres foixante, & celles de moindre qualité trente feulement.

Si l'on admet que les terres de la Palestine, bien cultivées, il s'enfuivra qu'un rendoient communément foixante pour un, arpent de terre, mefure de France, fuffifoit dans ce pays pour procurer la fubfiftance à douze personnes en leur donnant à chacune trente boiffeaux de bled, mefure de Paris, pour leur confommation annuelle. Selon Hécatée d'Abdere, allégué par Josephe dans fon Difcours contre Appion, le Royaume de Juda contenoit trois millions d'aroures d'une terre excellente & très - fertile. Ce nombre d'aroures ne revient qu'à 454200 arpens, & ne doit pas comprendre toute l'étendue de la tribu de Juda, mais feulement ce qu'il y avoit de meilleures terres. Sur les Cartes de M. d'Anville, la Terre-fainte entiere comprendroit au moins cinq

millions

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