Images de page
PDF
ePub

arbores, è radicibus quæ nafcerentur è folo, quos Stolones appella bant. Ejufdem gentis C. Licinius, Tribunus plebis cùm effet, poft Reges exactos (l'an de Rome 610.) annis CCCLXV. primus populum ad leges accipiendas in feptem jugera forenfia, è comitio edu xit (Varro, de Re ruft. lib. I, cap. II.).

Dans toutes ces diftributions, ceux qui furent plus ancienne ment partagés, le furent plus mal; ils n'avoient que deux jugeres. Ceux qui furent partagés enfuite, le furent moins mal, ayant quatre jugeres ; & ceux qui furent partagés les derniers, le furent beaucoup mieux que les autres, ayant fept jugeres par tête.

Si toutes les terres des Romains furent occupées par des habitans, comme fans doute elles le furent, la population dut être bien grande, quoique les terres de la République fuffent de peu d'étendue dans le commencement. Pour en juger, faifons un raisonnement fur la France. On y compte préfentement vingt-deux millions d'habitans, & ce Royaume contient deux cents millions de terre fi donc nous concevons un partage de toute cette étendue à raifon de deux jugeres par tête, nous trouverons qu'elle pourroit contenir cent millions d'habitans partagés comme l'étoient les Romains fous Romulus. Si nous donnons par tête quatre jugeres, elle ne contiendra plus que cinquante millions de chefs de famille, & autant d'efclaves ou ferviteurs. Si nous donnons fept jugeres par tête, elle n'aura plus que 28,571,428 chefs de famille, & 71,428,572 ferviteurs. Enfin fi le partage de chaque pere de famille eft de cinq cents jugeres, le Royaume n'en contiendra plus que quatre cents mille, & 99,600,coo ferviteurs. Cependant ces chofes n'auroient pas lieu, parce que le nombre des ferviteurs décroîtra dans une certaine proportion avec le décroiffement du nombre des propriétaires. D'où l'on doit conclurre que la population dut croître chez les Romains dans la raifon que les les terres de l'Etat furent divifées entre un plus grand nombre de familles, & qu'elle dut décroître au contraire dans la proportion que lé nombre de ces familles libres fut diminué par les trop vaftes pof

feffions de chacun.

Telle fut la répartition des terres qui fut prefcrite par les Loix entre les citoyens Romains. Les terres étoient partagées en trèspetites portions toutes égales; chacun avoit la fienne, & en tiroit par fon travail une honnête subsistance; enforte que fans le fecours des Provinces étrangeres, l'Italie trouvoit dans fon fein toutes les

chofes néceffaires à la nourriture de fes habitans. Les vivres y étoient à fi bas prix, que fous l'édilité de Manius Martius le modius de bled fe donnoit pour un as (9 liv. 6 f. le fetier de Paris.). Le Tribun Minutius Augurinus le fit vendre au même prix, un as le modius. Sous l'édilité de Trébius, le bled ne valoit également qu'un as: Ergo iis moribus non modo fufficiebant fruges, nulla Provinciarum pafcente Italiam, verùm etiam annona vilitas incredibilis erat. Manius Martius Adilis plebis primus frumentum populo in modios affibus donavit. Minutius Augurinus qui fp. helium coarguerat, farris pretium in trinis nundinis ad afem redegit undecimus plebei Tribunus quá de caufà ftatua ei extrà portam Trigeminam à populo fipe collata ftatuta eft. Trebius in ædilitate affibus populo frumentum præftitit, quam ob caufam & ei fiatuæ in Capitolio & Palatio dicata funt. Ipfe fupremo die populi humeris portatus in rogum eft. Verùm quo anno mater Deûm adveta Romam eft, majorem eá æftate factam mellem effe quàm antecedentibus annis X, tradunt (Plin. lib. XVIII, cap. III.).

Quelle étoit donc la caufe d'une fi grande abondance ? C'est qu'alors les champs étant cultivés par les mains des Généraux des armées Romaines, la terre prenoit plaifir à fe voir labourée par un foc couronné de laurier, & par un vainqueur qui avoit été décoré des honneurs du triomphe. Soit que ces grands hommes apportaffent à la culture des femences les mêmes foins qu'ils prenoient pour gagner les batailles, foit qu'ils difpofaffent les terres avec autant de précaution qu'ils fortifioient un camp, foit que les femences profitent davantage lorfqu'elles font foignées par des mains libres, parce qu'alors elles font traitées avec plus d'intérêt, d'application & d'exactitude: Quænam ergo tantæ hubertatis caufa erat? Ipforum tunc manibus Imperatorum colebantur agri (ut fas eft credere) gaudente terrâ vomere laureato & triumphali aratore; five illi eádem curâ femina tractabant, quâ bella, eâdemque diligentia arva difponebant quá caftra, five honeftis manibus omnia latiùs proveniunt, quoniam & curiofius funt (Plin. lib. XVHI, cap. III.). Curius, dont on a déja parlé, & Fabricius, dont l'un avoit dompté les Sabins, & l'autre avoit chaffé Pyrrhus de l'Italie, ayant reçu chacun les fept jugeres qui fe diftribuoient par tête fur les terres conquifes, ne montrerent pas moins d'habileté à les bien cultiver qu'ils avoient montré de courage à les acquérir par les armes : Itemque C. Fabricius & Curius Dentatus, alter Pyrrho finibus Italia

pulfo, domitis alter Sabinis, accepta quæ viritim dividebantur capa tivi agri, feptem jugera, non minùs induftriè coluerit, quàm fortiter armis quæfierat ( Colum. de Re rust. lib. I. in Præfat. ). Fabricius fut Conful l'an de Rome 474.

Maintenant, dit Pline, ce font des mains privées de leur liberté, des efclaves ayant les fers aux pieds & un écriteau fur le front, qui exercent toutes ces fonctions; mais la terre, fenfible aux honneurs qu'on lui rend comme à la mere nourrice de tout ce qui refpire, ne produit plus qu'à regret & avec une forte d'indignation; & nous fommes tout étonnés de voir que les travaux des efclaves ne font point fructueux comme ceux des Généraux d'armées: At nunc eadem illa vinti pedes, damnatæ manus, infcriptique vultus exercent: non tamen furdá tellure, quæ parens appellatur, colique dicitur & ipfa, honore hinc affumpto, ut nunc invità eá, & indignè ferente credatur id fieri. Sed nos miramur ergastulorum non eadem emolumenta effe quæ fuerunt Imperatorum (Plin. loc. cit.). La culture terres par

tout ce qui eft fait par de des efclaves eft très-mauvaise, comme

gens fans efpoir & fans intérêt : Coli rura ergaflulis peffimum eft, ut quidquid agitur à defperantibus (Plin. lib. XVIII, cap. VI.).

Dans les premiers temps, les terres étoient cultivées avec un foin extrême chez les Romains. S'il fe rencontroit quelque Laboureur négligent, il étoit noté & diffamé par un Jugement des Cenfeurs Agrum malè colere, Cenforium probrum judicabatur (ibid. lib. XVIII, cap. II. ).

C'étoit de leur application à l'agriculture que les citoyens Romains tiroient leur gloire & leur illustration. Les tribus de la campagne étoient en grande confidération, celles de la Ville étoient méprifées; & il étoit honteux & déshonorant d'être relegué des tribus de la campagne dans celle de la Ville: Jam diftinctio honofque civitatis ipfius non aliundè erat: rufticæ tribus laudatiffimæ eorum qui rura haberent, urbanæ verò, in quaftrans ferri ignominiæ effet, defidia probroque (Plin. lib. XVIII, cap. III.).

On rendoit la justice aux Laboureurs de les croire vertueux & gens de bien ; & le plus grand éloge qu'on pût faire d'un citoyen, c'étoit de dire qu'il étoit un bon Laboureur: Et virum bonum cùm Laudabant, ita laudabant; bonum agricolam, bonumque colonum. Ampliffimè laudari exiftimabatur, qui ita laudabatur (Cato, de Re ruft. cap. I.).

On

On regardoit les Laboureurs comme le foutien de l'Etat, également propres à faire fortir des terres qu'ils travailloient, la fubfiftance de la patrie, & à défendre ces mêmes terres contre les ennemis du dehors. Le profit qu'ils faifoient à la fueur de leur visage, étoit regardé comme le feul honnête, le feul certain, & non précaire, le feul qui n'excitât point l'envie, parce qu'il étoit jufte & mérité; & l'on étoit perfuadé que ceux qui font appli qués à ce genre de travail, font incapables de fe livrer aux vices qu'engendre l'oifiveté : At ex agricolis, & viri fortiffimi, & milites ftrenuiffimi gignuntur, maximèque pius quæftus ftabiliffimufque confequitur minimèque invidiofus : minimèque malè cogitantes funt, qui in eo ftudio occupati funt (ibid.).

[ocr errors]

Tel fut le principe de la grandeur Romaine, qui lui valut l'empire prefque du monde entier. L'agriculture fut pour les Romains une fource inépuisable de richesses beaucoup plus folides que celles des métaux que les Carthaginois tiroient des mines d'Espagne & des produits de leur commerce. Les terres affranchies de toute fervitude, & diftribuées également entre tous les habitans, en faifoient comme autant de petits Souverains, & delà cet amour pour la patrie qui fe fignala en tant d'occasions; delà cette noble fierté qui caractérifoit le peuple Romain, cette élévation de fentimens, cette intrépidité dans les plus grands dangers, cette sensibilité fi marquée pour les injures reçues d'un peuple étranger, & cette généreufe reconnoiffance pour des fervices rendus. Tant que les Romains conferverent cet amour du travail & de la médiocrité la République fut floriffante; mais dès qu'elle commença à fe relâcher fur l'obfervance rigoureufe de fes premieres inftitutions, l'abstinence bientôt fit place à l'avidité, qui s'empara de tous les efprits; l'amour de la patrie fut remplacé par l'égoïsme : chacun dans fon particulier ne penfa plus qu'à s'enrichir, & à engloutir dans un feul domaine les terres qui avoient fuffi pour procurer tous les befoins à un grand nombre de citoyens. Tibérius Grac chus avoit fait un Réglement par lequel il étoit défendu à ceux à qui on avoit diftribué des terres, de les vendre. Les Patriciens firent lever par un Tribun cette défense, ce qui donna moyen aux riches de les acheter des pauvres, & même quelquefois de s'en emparer par violence. Enfin les grandes poffeffions perdirent l'Italie & les Provinces: Verumque confitentibus, latifundia perdidere Italiam & Provincias; & les chofes furent portées au point que

Gggg

la moitié de l'Afrique fe trouva entre les mains de fix particuliers que Néron fit mourir après avoir confifqué leurs biens: Sex domini femiffem Africæ poffidebant, cùm interfecit eos Nero princeps (Plin. ).

pour

On est étonné de la fortune énorme d'un Marcus Licinius Craffus, qui, au rapport de Plutarque, avoit pour plus de cinquante millions de bien en terre; de celle d'un Sylla, plus riche encore que Craffus; de celle d'un Narciffe, & d'un Pallas, tous deux esclaves affranchis de l'Empereur Claude. Le dernier, felon Tacite, jouiffoit de trois millions de fefterces; fomme qui revient à 56250000 livres, en fuppofant le denier d'alors de quatre-vingtfeize à la livre. Cette fomme, au denier vingt, auroit produit 2,812, 500; & fi l'on fuppofe toute la richeffe de Pallas, en fonds de terre, à raifon de dix livres le revenu d'un arpent, il poffédoit 281250 arpens; de forte qu'y ayant en France cent millions d'arpens, trois cents cinquante-cinq Pallas ou quatre cents Craffus, auroient poffédé toutes les terres du Royaume. Selon le même Plutarque, dans la vie de Pompée, un affranchi de ce Romain, nommé Démétrius, jouiffoit d'un fonds de trois cents talens, qui reviennent à dix-huit millions en principal; il avoit donc neuf cents mille livres de revenu au denier vingt, ce qui fait le produit de quatre-vingt-dix mille arpens, à raison de dix livres pour chacun; ainfi onze cents onze Démétrius auroient occupé toute la France. M. Caton, fi l'on en croit Sénèque, jouiffoit de quatre millions de fefterces en principal, qui lui étoient venus de différens héritages; fi le dénier Romain étoit alors de foixante-douze à la livre, Caton avoit pour un million de bien, ce qui fait cinquante mille livres de rente au denier vingt; c'est le revenu de cinq mille arpens, à raifon de dix livres l'arpent; & vingt mille Caton, fur ce pied, aurient poffédé toute la France. Selon Sénèque encore, Lentulus l'Augure avoit quatre cents millions de fefterces de bien, qu'il tenoit des libéralités d'Augufte; cette fomme revient à 85714286 livres, qui font 4285714 livres

de revenu.

« PrécédentContinuer »