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CHAPITRE XI I.

Témoignages des Anciens touchant les productions naturelles de la Gaule. Ce Chapitre, qui fait fuite aux deux précédens, eft terminé par quelques obfervations fur l'Agriculture.

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OUTE la Gaule Tranfalpine étoit comprise entre les Alpes Cottiennes, le Rhin, l'Océan, les Pyrénées & la Méditerranée; ce font les limites que lui affigne Ammien Marcellin (lib. XV. Rerum geftarum), & ce font également celles que semble lui prefcrire la nature. Mais les Romains, par leurs premieres conquêtes dans la Gaule, en retrécirent les bornes. Ce que nous appellons aujourd'hui le Languedoc, la Provence, le Dauphiné & la Savoie, devinrent une Province de la République, & la Gaule fe trouva referrée entre l'Océan, les Pyrénées, les Cévenes, le Rhône depuis Vienne jusqu'à sa fource, & le Rhin depuis fa fource jufqu'à fon embouchure; & telle est l'étendue que lui donne Jules Céfar, & d'après lui Suétone ( In Julii Cæfaris vitâ, cap. XXV.), qui dit que Céfar réduifit en province Romaine toute la Gaule comprife entre les Pyrénées, les Cévenes, le Rhône & le Rhin, & que cette région, qui a de périmetre trois mille deux milliaires, fut affujettie par le vainqueur à une imposition annuelle de quarante millions de fefterces (9000000 livres ). M. d'Anville borne la Gaule par l'Océan, les Pyrénées, la Mé diterranée, les Alpes Maritimes, Cottiennes, Greques & Pennines, jufqu'à la fource du Rhône, delà, par une chaîne de montagnes, qui va joindre le Rhin à l'endroit où il fort du Lac de Conftance, & enfin par le Rhin, depuis cet endroit jufqu'à fon embouchure dans l'Océan. Cette étendue de terres eft au moins de cent vingtfept millions d'arpent de France à la mesure du Roi.

L'air de la Gaule est sain & tempéré, fes terres fertiles nourriffoient une population innombrable; c'eft ce que nous en apprennent Claudien, Céfar, Strabon, Ammien Marcellin & Végece. Une grande partie de fes terres font en plaines; mais

on y trouve çà & là d'agréables côteaux entrecoupés par des vallées délicieuses, & toutes ces fituations font d'une admirable fécondité. Ses champs bien cultivés produifent du bled & toutes fortes de grains en abondance. Stabon témoigne que la Gaule produit beaucoup de froment, du millet & du gland, & qu'elle nourrit des troupeaux nombreux de toute efpece; que les terres y font par-tout en valeur, à l'exception de celles qui font occupées par des lacs ou par des forêts. Trébellius (in Baliftá) parle auffi des riches productions de bled de la Gaule. Cicéron (Orat. pro M. Fonteio) dit que les Romains en faifoient des importations confidérables. Céfar & Dion (lib. XXXIX.) ont écrit la même chose. Solin (in Polyhiftore) fait la description de cette contrée. Ses terres, dit-il, font graffes, & propres pour toutes fortes de grains; les vignes & les autres arbres y réuffiffent prefque par-tout; il y a d'excellens pâturages pour la nourriture des beftiaux. Selon Pomponius Méla, la Gaule eft riche en froment & en foins; fes grandes forêts fervent à l'embellir & à en rendre le féjour plus délicieux; & fi quelques plantes délicates s'y refusent à la rigueur du climat, il eft rare au moins qu'on y rencontre des animaux vénimeux ou malfaifans. Il n'eft point vrai, comme le dit Pline, que le bled de la Gaule eût moins de poids que celui des autres pays qu'on importoit à Rome; c'eft de la part de cet Auteur une erreur résultante d'une confufion de mesure.

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Les Anciens parlent avec éloge des hauts fapins qui couronnent les Vofges & le mont Jura; des bouleaux à écorces blanches, dont les habitans extrayoient une forte de bitume; des citronniers, dont il y avoit quantité dans la Gaule, à ce qu'il paroît par Velléius Paterculus, qui dit que Céfar en décora fon triomphe. On fait auffi mention des ifs de ce pays, mais comme d'un arbre dont les fucs font un poifon, & l'ombre mortelle, ou au moins dangereuse pour celui qui dormiroit deffous. Selon Pline, le vin confervé dans des vafes faits de bois d'if, eft une boiffon qui donne la mort. Cativulque, roi du pays de Liége, s'empoifonna avec de l'if, au rapport de Céfar. Strabon écrit, d'après Artémidore, qu'il croît dans la Gaule un arbre semblable au figuier, & dont le fruit a beaucoup de rapport avec celui du cornouiller; on fait des carquois avec ce bois, & l'on exprime de l'arbre même un fuc mortel, dans lequel on trempe les fleches & les dards. L'Empereur Julien (in Mifopogono) parle de la Gaule en cette

forte: L'hyver y eft doux peut-être à caufe de la chaleur de l'O)~ céan, car il paroît que l'eau de mer eft moins froide que l'eau douce. Les vignes de la meilleure efpece y réuffiffent bien. La culture des figuiers s'y fait par art, mais avec fuccès: les habitans couvrent ces arbres durant l'hiver, avec de la paille de froment & d'autres matieres propres à empêcher l'effet des grands froids. Strabon décrivant la Gaule Narbonnoife dit, qu'elle produit toutes les efpeces de fruits qui viennent en Italie: il ajoute, que vers le Septentrion, la Gaule produit également les mêmes fruits, à l'exception des olives, des figues & des raifins, qui y mûriffent difficilement. C'eft auffi à-peu-près ce qu'en écrivent Céfar & Varron. Ce dernier (de Re ruft.) dit, que dans la Gaule Tranfalpine & vers le Rhin, il y a quelques cantons où la vigne, l'olivier & les autres fruits ne viennent pas, à moins qu'on n'ait engraiffé la terre avec une craie blanche foffile, ce qu'il faut entendre de la marne. Mais ce que Claudien, Lucien, Pétrone, Diodore & Cicéron difent du froid exceffif & des glaces de la Gaule, peut paffer pour exagéré.

S'il en faut croire Pline, ce fut un artifan Helvétien, nommé Elicon, qui le premier tranfporta dans la Gaule le figuier, l'olivier & la vigne. Les vendanges ne tarderent pas à y devenir abondantes ; & on recueillit dans ce pays une fi grande quantité de vins, que dans la fuite les Romains y vinrent faire leurs provifions; ce que Columelle rapporte avec une forte de reproche pour les compatriotes. C'étoit, fuivant le récit de Plutarque, la ville de Vienne, qui faifoit à Rome les envois ordinaires de ce vin nommé Picatum, fi eftimé des Anciens. Que veulent donc dire Vopifcus & Eufebe, lorfqu'ils écrivent que l'Empereur Probus permit aux Gaulois de faire des plantations de vignes? De favans hommes ne le comprennent pas encore aujourd'hui. Quelques-uns penfent que jufqu'au regne de Probus, il n'y avoit encore eu de vignes que dans la Gaule Braccate ou Narbonnoife, c'est-à-dire, dans la Province Romaine, & que jusqu'alors on n'en avoit point planté dans le refte de cette région. Mais cela ne peut être vrai, puifque Pline, qui vivoit long-temps avant l'Empereur Probus, fait mention des vins de Berri & de l'Auvergne. Diodore affure pour fon temps, que la Gaule Comate ne produifoit point de vin. Céfar (lib. IV, de Bello Gall.), compare pour la fobriété & la tempérance les Sueves de la Germanie, aux Ner

viens de la Gaule, c'est-à-dire, aux peuples du Hainaut. Ils ne fouffrent point, dit-il, que l'on porte chez eux du vin, parce qu'ils penfent que cette liqueur rend les hommes qui en boivent, mous, efféminés, & peu propres à fupporter les travaux & les fatigues. Aujourd'hui la Gaule, ou plutôt la France, produit des vins excellens de toute forte. Cependant la nature du fol fe refufe en quelques provinces à la culture de la vigne. Elle ne réussit pas dans la plus grande partie de la Bretagne, en Normandie, en Picardie, en Flandre, &c.; cette production y eft remplacée par des pommes & des poires, dont on fait une boiffon faine, qu'on appelle cidre & poiré. C'eft la France qui fournit des vins à l'Angleterre, à la Hollande, à tous les pays du Nord, où le froid du climat ne permet point de cultiver la vigne.

Pline remarque que la Gaule produit le vaciet, où on l'emploie pour la teinture des vêtemens des efclaves. Le vaciet, autrement dit l'airelle ou mirtile, est un arbufte affez reffemblant au myrte: il a les feuilles un peu oblongues, & produit des baies noires ou purpurines, bonnes à manger. Il en croît beaucoup dans les forêts de la baffe Normandie & du Maine, où le peuple en appelle le fruit morets ou fantines, & s'en nourrit. La Gaule produit le coccum : c'eft la graine ou les baies d'un arbriffeau, dont on fait ufage pour la teinture d'écarlate. Galien attefte qu'on tiroit de la Gaule le nard, avec quoi les Anciens faifoient la thériaque. La culture des lins dans la Gaule, ainfi que les toiles que l'on en faifoit pour les voiles de vaiffeaux, y faifoient une branche confidérable de fon commerce. On peut obferver néanmoins, que les voiles des navires ne fe faifoient pas de lin dans tous les pays, puifque Céfar nous apprend que les peuples du Diocèse de Vannes en Bretagne, employoient pour cela des peaux de bêtes au lieu de toiles. Le lin & le chanvre font encore aujourd'hui un objet des plus consi dérables du commerce de la France. C'eft ce Royaume qui approvifionne l'Espagne de cordages & de voiles pour la marine, &c.

Les terres de la Gaule qui ne font point occupées par les grains & les fruits, fervant immédiatement à la nourriture de l'homme, fourniffent de gras pâturages, où l'on éleve de nombreux troupeaux, de toutes fortes de beftiaux. On peut dire en un mot, que les habitans y font dans une parfaite abondance de tout ce qui eft néceffaire pour le comeftible & le vêtement, de viandes, de laitages, de beures, de fromages, de laines, de peaux, de cuirs,

&c. Sidoine Apollinaire, dans fon Panégyrique de Majorien, vante la richeffe de la Gaule, en nourritures de troupeaux. Ariftote a écrit qu'on n'y voyoit point d'ânes; il y en a beaucoup aujourd'hui. Trébellius Pollion (in D. Claudio), fait l'éloge des Cavalles de la Gaule, renommées dans l'antiquité. Ce pays nour+ riffoit autrefois de grandes meutes de chiens; c'eft de quoi rendent témoignage les Poëtes Ovide, Oppien, Gratius, le Grammairien Pollux, & l'Orateur Euphrada. Pline affure avoir vu dans l'arene du grand Pompée, un loup cervier pris dans la Gaule. Strabon écrit qu'on y voyoit des porcs, auffi remarquables par leur taille & leur force, que par leur légéreté à courir: auffi Athénée porte-t-il que la Gaule avoit la réputation de faire les meilleurs jambons; & le même Strabon affure qu'il y en avoit une fi grande quantité dans ce pays, que non-feulement la ville de Rome mais l'Italie entiere y venoit faire fes fournitures. Varron obferve 'de même (de Re ruft. lib. II, cap. IV.), que tous les ans on apportoit de la Gaule à Rome, des jambons, des fauciffes, des cervelas, &c. On lit la même chofe dans Pline. Le même Varron (de L. L.) dit, qu'on trouvoit en Gaule des lievres d'une grandeur extraordinaire : il fait auffi mention des laines de ce pays, ainsi que Strabon, qui ne fait pas l'éloge de leur fineffe.

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Pline fait une courte defcription de certains oifeaux particuliers à la Gaule feptentrionale, & vers l'Océan, qu'il appelle Onocrotales; ce mot fignifie qui a le cri d'un âne. Ils font peu différens du cigne. Il n'oublie pas le faumon qu'on y trouve dans les fleuves, ni le phyfetere où fouffleur, poiffon marin d'une grandeur prodigieufe, lequel s'élevant en forme de colonne, & plus haut que les voiles d'un navire, lance au loin un déluge d'eaux. C'eft auffi dans les parages de la Gaule que cet Auteur place les poiffons appellés Néreïdes, les éléphans & les béliers marins. Stobée rapporte, d'après Callifthene, que dans la Saone, il naît un grand poisson, que ceux du pays appellent Clupea, lequel au croiffant de la lune eft blanc, & noir après la pleine lune; & lorfque fon corps a pris toute fa croiffance, il perit par fes propres épines ou picquans. On dit qu'on trouve dans la tête de ce poiffon, une pierre femblable à un grain de fel, laquelle portée fufpendue au côté gauche, dans le temps que la lune eft décroiffante, guérit de la fievre quarte. Michel Glycas, d'après Anaftafe, appelle cette pierre Clopias : & Plutarque la nomme Scolo

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