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d'usage confervé dans certaines provinces, qu'à raison de la qualité des terres. D'ailleurs une grande partie de ces terres eft tenue par de pauvres fermiers, hors d'état de les bien cultiver : c'est pourquoi nous n'avons évalué du fort au foible le produit de chaque arpent de terre, qu'à cinq fetiers, femence & dîme prélevées. Nous fixons l'arpent à cent perches, & la perche à vingt-deux pieds.

Les fix millions d'arpens de terre, traités par cette culture, entretient tous les ans une fole de deux millions d'arpens enfe mencés en bled; une fole de deux millions d'arpens enfemencés en aveine & autres grains de Mars; & une fole de deux millions d'arpens qui font en jacheres, & que l'on prépare à apporter du bled l'année fuivante.

Comme l'Auteur dit que la dîme eft ordinairement le treizieme en dedans, ou le douzieme en dehors de toute la récolte, il en réfulte, en faisant rentrer la femence & ce douzieme, qu'un arpent de terre de cette qualité, & traité de la maniere qu'il indique, produit foixante-quatorze boiffeaux, & plus, de bled; c'est au-delà de fix fetiers pour la totalité de la récolte.

A l'égard de la petite culture, nous obfervons, dit M. Quefnay, que dans les provinces où l'on manque de laboureurs affez riches pour cultiver les terres avec des chevaux, les propriétaires ou les fermiers qui font valoir les terres, font obligés de les faire cultiver par des métayers, auxquelles ils fourniffent des boeufs pour les labourer. Les frais qu'exige cette culture ne font pas moins considérables que ceux de la culture qui fe fait avec les chevaux; mais au défaut de l'argent, qui manque dans ces provinces, c'est la terre elle-même qui fubvient aux frais. On laiffe des terres en friche pour la pâture des boeufs de labour, on les nourrit pendant l'hiver avec les foins que produifent les prairies, & au lieu de payer des gages à ceux qui labourent, on leur cede la moitié du produit que fournit la récolte.

Ainfi, excepté l'achat des boeufs, c'eft la terre elle-même qui avance tous les frais de la culture, mais d'une maniere fort onéreuse au propriétaire, & encore plus à l'Etat; car les terres qui reftent incultes pour le pâturage des boeufs, privent le propriétaire & l'Etat du produit que l'on en tireroit par la culture. Les bœufs, difperfés dans ces pâturages, ne fourniffent point de fumier. Les propriétaires confient peu de troupeaux à ces métayers,

chargés de la culture de la terre, ce qui diminue extrêmement le produit des laines en France. Mais ce défaut de troupeaux prive les terres de fumier; & faute d'engrais, elles ne produisent que de petites récoltes, qui ne font évaluées, dans les bonnes années, qu'au grain cinq, c'est-à-dire, au quintuple de la femence; on a environ trois fetiers par arpent, ce qu'on regarde comme un bon produit. Auffi les terres abandonnées à cette culture ingrate, fontelles peu recherchées. Un arpent de terre qui fe vend trente ou quarante livres dans ces pays-là, vaudroit deux ou trois cents livres, dans des provinces bien cultivées. Ces terres produisent à peine l'intérêt du prix de leur acquifition, fur- tout aux propriétaires abfens. Si on déduit des revenus d'une terre affujettie à cette petite culture, ce que produiroient les biens occupés pour la nourriture des boeufs; fi on retranche les intérêts, au denier dix, des avances pour l'achat des boeufs de labour, qui diminuent de valeur après un nombre d'années de fervice, on voit qu'effectivement le propre revenu des terres cultivées eft au plus, du fort au foible, de vingt ou trente fous par arpent. Ainsi malgré la confufion des produits, & les dépenfes de cette forte de culture, le bas prix de l'acquisition de ces terres s'est établi sur des eftimations exactes, vérifiées par l'intérêt des acquéreurs & des vendeurs.

est

Voici l'état d'une terre qui, felon le même Auteur, produit année commune, pour la part du propriétaire, environ trois mille livres en bled, femence prélevée, prefque tout en froment. Les terres font bonnes & portent environ le grain cinq. Il y en a quatre cents arpens en culture, dont deux cents arpens forment la fole de la récolte de chaque année; & cette récolte eft partagée par moitié, entre les métayers & le propriétaire. Ces terres font cultivées par dix charrues, tirées chacune par quatre gros boeufs; les quarante boeufs valent environ huit mille livres, dont l'intérêt au denier dix, à caufe des rifques & de la perte fur la vente de ces bœufs, quand ils font vieux & maigres, eft huit cents livres. Les prés produifent cent trente charrois de foin, qui font confommés par les boeufs. De plus il y a cent arpens de friches pour leur pâturage; ainfi il faut rapporter le produit de trois mille livres en bled, pour la part du propriétaire.

1. A l'intérêt du prix des boeufs

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2o. A l'intérêt de 1000 livres de bled choifi pour le - premier fonds de la femence avancée par le propriétaire 3o. A 200 livres de frais particuliers faits par le propriétaire, fans compter les réparations, & les appointemens du Régiffeur

800 1.

50

200

4o. A cent trente charrois de foin, le charroi à dix liv. 1300 5o. A cent arpens de pâtureaux, à 15 sous l'arpent

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75

Total. 2425 1.

Si de 3000 livres vous retranchez 2425 livres, il reftera 575 livres pour le produit net des le produit net des quatre cents arpens de terres cultivées; ainfi ces quatre cents arpens de bonnes terres ne donnent pas par arpent une livre 10 fous de revenu.

Les terres médiocres font d'un fi petit revenu, que felon M. Dupré de Saint-Maur (Essai fur les Monn.), celles de Sologne & du Berri, au centre du Royaume, ne font gueres louées que fur le pied de quinze fous l'arpent, les prés, les terres, & les friches enfemble; encore faut-il faire une avance confidérable de beftiaux qu'on donne aux fermiers, fans retirer que le capital à la fin du bail. Une grande partie de la Champagne, de la Bretagne, du Maine, du Poitou, les Landes entre Bordeau & Baïonne, &c., ne produifent gueres davantage. Les petites moiffons que l'on recueille, & qui la plupart font en feigle, fournissent peu de fourrage, contribuent peu à la nourriture des beftiaux, & on n'en peut nourrir que par le moyen des pâturages ou des terres qu'on laiffe en friches : c'eft pourquoi on ne les épargne pas. Dans le Maine, par exemple, & dans la baffe Normandie, fur huit ou neuf arpens, on en cultive trois, dont l'un en farrafin, le fecond en feigle, & le troifieme en aveine; le feigle y fuccede au farrafin, & l'aveine au feigle. Les quatre ou cinq autres arpens demeurent incultes durant trois ou quatre ans, ou plus. Ces champs font couverts d'ofeille fauvage en quelques endroits, en d'autres de marguerites de la grande efpece, quelques-uns de digitales; quelques autres de genets ou d'ajons, & d'autres en grand nombre de fougeres; en forte que dans ces terres il ne croît prefque rien qui puiffe fervir à la nourriture des beftiaux. Sur ces quatre ou cinq arpens de terres en non valeur, on nour

rit une ou deux vaches; mais ils ne fuffiroient pas, fi l'on n'y ajoutoit la récolte du foin d'un arpent, ou d'un arpent & demi de pré.

Ón eft fur-tout étonné d'apprendre que les terres du Berri font mauvaises & d'un mince rapport, lorsqu'on lit dans Hirtius Panfa, qui étoit contemporain de Jules - Céfar, dont il a continué les Commentaires, que ce pays étoit très - fertile & très - peuplé : Binis cohortibus ad impedimenta tuenda relictis, reliquum exercitum in copiofiffimos agros Biturigum inducit: qui cùm latos fines, & complura oppida haberent, unius legionis hibernis non potuerant contineri, quin Bellum pararent, conjurationesque facerent. (De Bell Gall. lib. VIII, ab initio).

M. Quefnay fait obferver que ce n'eft pas parce qu'on laboure avec des bœufs, que l'on tire un fi petit produit des terres; on pourroit, dit-il, par ce genre de culture, en faifant les dépenfes néceffaires, tirer des terres à-peu-près autant de produit que. par la culture qui fe fait avec des chevaux: mais ces dépenfes ne pourroient être faites que par les propriétaires.

Ön eftime qu'il y a environ trente millions d'arpens de terres traités par la petite culture : chaque arpent, du fort au foible, produifant, année commune, le grain quatre, ou trente-deux boiffeaux, il en faut retrancher huit pour la femence, il reste deux fetiers, qui fe partagent par moitié entre le propriétaire & le métayer : celui-ci eft chargé de la taille, & de quelques frais inévitables,

Ces trente millions d'arpens de terres, traités par la petite culture, font divifés communément en deux foles, qui produifent du bled alternativement. Il y a quinze millions d'arpens qui portent du bled tous les ans, excepté quelques arpens, que chaque métayer réserve pour enfemencer en grains de Mars; car il n'y a point, par cette culture, de fole particuliere pour ces grains.

Il y a, outre les trente millions dont on vient d'apprécier le produit, trente autres millions d'arpens de terres cultivables, de moindre valeur que les terres précédentes, qui peuvent être employées à différentes productions; les meilleures à la culture des orges, des praichanvres, des lins, des légumes, des feigles, des ries artificielles, des menus grains; les autres felon leurs différentes qualités, peuvent être plantés en bois, en vignes, en mûriers, en arbres à cidre, en noyers, en chataigniers; on enfemence en

bled

bled noir, en faux feigle, en pommes de terre, en navets, en groffes raves, & en d'autres productions, pour la nourriture des beftiaux. Il feroit difficile d'apprécier les différens produits de ces trente millions d'arpens; mais comme ils n'exigent pas, pour la plupart, de grands frais pour la culture, on peut, fans s'expofer à une grande erreur, les évaluer, du fort au foible, pour la diftribution des revenus, un tiers du produit des trente autres millions d'arpens.

Rapprochons de ces obfervations ou opinions modernes une application des principes ou des regles des Anciens. Pline (lib. VIII, cap. XVIII.) 'dit, qu'avec une paire de boeufs on peut labourer quarante jugeres de terre, quand elle est douce & facile, & trente seulement d'un terrein difficile: uno jugo boum mifceri anno facilis foli quadragena jugera, difficilis tricena, juftum eft. Mais il y a des terres extrêmement difficiles à labourer; car le même Pline avoit dit, quelques lignes auparavant, dans le même chapitre Syria quoque tenui fulco erat, cùm multifariam in Italiâ octoni boves ad fingulos vomeres anhelent.

сар.

Saferna, très-ancien cultivateur dans la Gaule, & écrivain eftimé par Varron, Columelle & Pline, qui le citent très-fouvent dans leurs ouvrages, enfeignoit, felon Varron (lib. I. XIX.), que deux paires de boeufs fuffifoient pour la culture. de deux cents jugeres. Columelle, qui écrivoit principalement pour l'Italie, a voulu prouver par l'expérience, & le raifonnement (lib. II, cap. XIII,), qu'il falloit deux paires de bœufs, autant de bouviers, & outre cela fix valets, pour exploiter une ferme de deux cents jugeres; que cependant s'il y avoit dans cette terre des arbustes, il faudroit ajouter trois hommes de plus; que c'étoit le sentiment de Saferna.

Or, les quarante jugeres de Pline valent vingt & un arpens & demi de France, & fes trente jugeres un peu plus de feize arpens. A l'égard de la ferme de deux cents jugeres, qui peut être labourée par deux paires de boeufs, il réfulte du calcul de Columelle, qu'il n'y avoit que l'équivalent de cent jugeres de terres enfemencées en bleds ou en légumes d'automne; c'eft cinquante jugeres, ou environ vingt-fept arpens pour le travail de deux bœufs par faifon; car fuivant l'auteur, il ne devoit y en avoir que cinquante en bled, cinquante en légumes, comme pois, féves, lins, chanvres, &c. qui exigent bien moins de travail

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