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du Guide du Fermier, dont le fol eft affez pauvre pour ne pouvoir rapporter de grains. Les payfans cependant y font à leur aife; ils cultivent des pommes de terre elles leur fervent d'abord de nourriture; ils nourriffent avec le refte une quantité de cochons. Ils tuent une partie de ces animaux pour leur confommation, & vendent le furplus à leurs voisins. Le prix qu'ils en retirent leur fert à payer les impôts, & à fe procurer des vêtemens. Ils font bien habillés, bien nourris, & ne doivent rien au Collecteur.

Rien ne produit auffi abondamment que ce fruit. Croiriez-vous, 'dit l'Auteur, qu'un arpent, mesure de Paris, de terre fablonneuse, rapporte cinquante fetiers, même mefure, de pommes de terre ? Cela eft cependant très-vrai, Quelle plante, quelle femence offre un pareil prodige dans fa production? Elles réuffiffent dans toutes fortes de terres, pourvu que le fol ne foit pas entiérement de pierrotages, & il ne leur faut que peu d'engrais. Les foins qu'elles exigent ne font pas non plus bien multipliés ni difficiles.

On lit dans la Gazette du Commerce, article de Londres, daté du 7 Septembre 1773, qu'un habitant d'Easingwold, dans l'Yorckshire, avoit recueilli cette année-là onze cents bushels de pommes de terre fur un champ qui n'avoit que deux acres un quart & fept perches d'étendue. Ramenant les mefures à celles de France, on trouve que l'arpent Royal en pourroit produire, fur ce pied, jufqu'à cent trente- fept fetiers & un quart. - fept fetiers & un quart. On peut donc croire qu'il fera très-avantageux de confacrer une petite portion de la fole des menus grains à la culture des pommes de terre, dont on fe fervira pour engraiffer des porcs fans beaucoup de frais. Revenons à notre évaluation du produit des beftiaux.

Je fuppofe que chaque piece ait la valeur fuivante en bled :

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On aura les produits ci-deffous fur une ferme de 128 arpens.

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Le revenu des beftiaux feroit donc, fur ce pied, de la valeur de dix-fept cents quatre-vingt-quatorze boiffeaux de bled, qui font cent quarante-neuf fetiers & demi; enforte qu'il paroît qu'on pourroit égaler le produit des beftiaux à celui de la récolte du bled.

Nous avons trouvé que, payant le cinquieme de la récolte des grains pour les befoins de l'Etat & pour la dîme, il reftoit encore au Laboureur cent trente-deux fetiers de bled, fans y comprendre la femence ni les menus grains, lorfque l'arpent produit fix fetiers. Si l'on ajoute cette quantité au produit des beftiaux, on trouvera la valeur de deux cents quatre-vingt-deux fetiers de bled. J'ai fuppofé ailleurs que huit hommes fuffifoient pour la culture de 128 arpens. Je n'ai mis fur la ferme ni bergers, ni, &c., parce que les femmes & les enfans des aides-laboureurs peuvent en tenir lieu. J'ai attribué à chacun de ces aides dix-huit fetiers de bled pour tout profit annuel, ce qui fait cent quarante-quatre fetiers en tout pour les huit aides; refte par conféquent cent trente-huit fetiers pour le propriétaire ou le fermier, lefquels vaudroient deux mille fept cents foixante livres, lorfque le fetier de bled vaut vingt livies, fans compter les menus grains, qui peut-être vaudroient

encore autant pour lui. Ne feroit-on pas plus heureux & plus riche, fi l'on abandonnoit les Villes pour faire valoir ses terres à la campagne?

Si la culture des prairies artificielles étoit généralement pratiquée dans toute l'étendue de la France, il n'y auroit pas de Royaume plus riche & plus heureux. Nous traversons à grands frais, & non fans danger, la vafte étendue des mers, pour aller chercher à l'autre extrêmité du globe des matieres de luxe, qui, loin de procurer à la Nation une véritable richeffe, ne fervent qu'à la dépeupler. Le bonheur d'un Etat fe réalifera lorfque les citoyens feront bien convaincus de cette vérité, que les richeffes par effence, celles qui feules peuvent rendre un peuple floriffant, & augmenter fa population, font les fruits que la terre natale produit. Les prairies artificielles, pratiquées avec intelligence, produisent des fourrages en abondance. Avec ces fourrages, on multiplie les beftiaux prefque autant que l'on veut; le lait, le beurre, le fromage, les laines, font une partie de leur produit: mais il en réfulte un avantage plus confidérable encore, les terres couvertes d'engrais le font enfuite d'une riche moiffon. Voilà les biens qui doivent découler de l'abondance des pâturages.

Cette fource de richeffes paroît été mieux connue des Anciens que de nous. Quelqu'un ayant demandé à Caton quelle étoit la partie de l'agriculture la plus propre à enrichir promptement celui qui l'exerçoit, il lui répondit que c'étoit la nourriture des beftiaux bien entendue, fi benè pafceret. Interrogé enfuite fur ce qu'il y avoit à faire après cela pour amaffer un bien honnête, il dit que c'étoit la nourriture des beftiaux médiocrement bien entendue, fi mediocriter pafceret. Enfin interrogé pour la troisieme fois fur ce qu'il y avoit de mieux à faire après cela, il n'hésita pas de répondre que c'étoit la nourriture des beftiaux même mal exercée, fi quis vel male pafceret. Caton avoit raifon, même dans fa troifieme réponfe, qui paroît un paradoxe; car fans engrais point de récoltes, & fans beftiaux point d'engrais: d'où il fuit qu'il est en quelque forte impoffible d'obtenir des fruits de la terre entreprend de la cultiver fans beftiaux. Par conféquent, les bestiaux, outre qu'ils font par eux-mêmes la moitié de nos biens réels, ils font d'ailleurs le fondement folide & la fource de tout ce qui doit fuppléer à nos autres befoins.

fi l'on

La culture de cinquante millions d'arpens en bled, menus grains

& beftiaux, occuperoit feule douze millions cinq cents mille ames à huit laboureurs, leurs femmes & leurs enfans, montant à trentedeux perfonnes par ferme de cent vingt-huit arpens. Cette culture produiroit 66,666,666 fetiers de bled, femence prélevée; ce feroit la subsistance de 33,333,333 ames, population plus grande d'un tiers au moins que celle qui eft aujourd'hui en France; cependant cinquante millions d'arpens ne font que la moitié des terres du Royaume; & dans le calcul précédent nous n'avons point compris les menus grains, dont une partie peut encore fervir à la nourriture de l'homme.

Après la culture des grains & la nourriture des beftiaux, la partie la plus intéreffante de l'agriculture font les vignobles, les lins & les chanvres. Mais la culture du lin & du chanvre peut être confondue avec celle des menus grains, dont elle fait partie. Difons donc un mot des vignobles, toujours d'après les Anciens: car ce font eux principalement que j'ai pris pour guides dans cet Ouvrage.

On a vu, dit Pline (lib. XIV, c. IV.), des vignes produire par jugere jufqu'à dix culléus de vin; ce feroit. 40 muids par arpent; d'autres ont produit fept culléus par jugere; c'eft 28 muids par arpent. Selon Caton & Varron cités par Columelle (lib. III, c. III.), un jugere de vigne produifoit, dans les anciens temps, jufqu'à fix cents urnes de vin, qui feroient 60 muids par arpent; Columelle ajoute qu'on en a vu des exemples tant en Italie que dans la Gaule. Dans les vignobles de Séneque, fitués près de la Ville de Rome, un jugere, au rapport du même Ecrivain, rendoit huit culléus, faifant environ 32 muids par arpent. Le même Auteur dit encore qu'une vigne qu'il avoit plantée lui-même, lui rapporta, la feconde année depuis la plantation, cent amphores de vin par jugere; c'est environ 20 muids par arpent. L'on peut au moins compter fur vingt amphores ou un culléus par jugere, ajoute Columelle; c'eft environ 4 muids par arpent. Mais il confeille d'arracher la vigne qui produit moins de trois culléus par jugere, c'est-à-dire, 11 muids & plus par arpent.

Dans la culture actuelle des vignes en France, un arpent rapporte communément, dit-on dans la Maifon Ruftique, dix ou douze muids de vin au moins par année, l'une portant l'autre : ce qui revient affez précisément au dernier calcul de Columelle. Selon Columelle, au même endroit, un feul vigneron fuffit

pour cultiver fept jugeres de vigne, c'eft-à-dire, trois arpens & demi de France, & la culture dont parle l'Auteur fe faifoit, comme elle fe fait aujourd'hui parmi nous, avec des échalas. Comptons donc trois arpens & demi pour le terrein qu'un vigneron peut travailler feul; fuppofons auffi que l'arpent de vigne rende dix muids de vin, année commune; trois millions d'arpens de vigne rendroient donc par an trente millions de muids de vin, produit qui répond à la population de trente millions d'habitans, en attribuant un muid à chaque perfonne: fur ce pied, il ne faudroit que 857143 vignerons. J'accorde que les femmes faffent la moitié de cet ouvrage, & je les comprends dans ce nombre: mais fi on ajoute les enfans, on trouvera 1714286 individus confacrés à la culture des vignes. Ce nombre d'habitans, joint à celui des cultivateurs des grains, montre une population de plus de quatorze millions d'individus néceffaires pour bien faire valoir cinquante-trois millions d'arpens cultivés, foit en grains, foit en vignobles. Mais par des obfervations foigneufement combinées, on a trouvé que de tous les habitans d'un pays, un quart demeure à l'ordinaire dans les Villes, & trois quarts feulement dans les Villages. Comptant donc vingt-deux millions d'habitans en France ( quelques perfonnes y en comptent moins), il s'enfuivra que la France dans fes campagnes ne poffede que feize millions cinq cents mille ames, ce qui n'excede que de 2500000 le nombre que nous avons vu être néceffaire pour travailler cinquante-trois millions d'arpens encore n'avons-nous pas féparé des habitans de la campagne, la Noblesse qui s'y trouve, les Eccléfiaftiques, les Gens d'affaires, les Employés à la perception des impôts, les mendians, les infirmes &c., qui tous font en grand nombre ; & cependant il reste encore près de la moitié des terres du Royaume à mettre en culture. M. Arbuthnot, dans fon Traité sur l'utilité des grandes Fermes, chap. II, fect. IV.) compte fur une étendue de terrein de huit cents acres, cent quarante-deux perfonnes, hommes, femmes & enfans, néceffaires pour le mettre en culture: fur ce pied, il faudroit plus de vingt-trois millions d'ames employées à faire valoir toutes les terres de la France.

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