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culture n'eft que la science de feconder les opérations de la nature, & qu'elle produit en grand tous les phénomenes que les Chymiftes & les Phyficiens exécutent dans leurs cabinets; je formai dès-lors le projet de diriger toutes mes études vers la culture des végétaux. Le premier pas que je fis pour cela, fut de confulter les Ecrivains anciens qui ont traité de l'Agriculture; je me propofois ainfi de comparer les procédés de l'antiquité avec la maniere actuelle d'opérer; mais je me trouvai bientôt arrêté par les mesures dont fe font fervis Columelle, Varron & autres, dont je ne connoiffois pas le rapport aux nôtres : je fufpendis donc, & peut-être pour toujours, ce premier travail, pour faire des recherches fur la valeur des mefures de l'antiquité. Cette premiere partie exécutée, j'ai tâché de raffembler les mesures actuelles de tous les pays, autant que j'ai pu me les procurer. Telle est l'origine des premieres idées que j'ai eu de composer cet Ouvrage.

Le Commerce fuit de près l'Agriculture. Auffi-tôt que la terre a comblé l'efpérance du Laboureur, le Marchand décharge celuici du furabondant de fes récoltes, pour le répandre dans un autre pays qui n'a pas fuffifamment de la même denrée. C'est par le commerce que la France fe trouve approvifionnée des riches métaux, des précieuses étoffes & des épiceries de l'Orient & de l'Occident, du fucre, du tabac, &c. C'est par le commerce que la Capitale fe trouve fournie des bleds de la Beauce & de la Brie, des vins de Bourgogne, de Champagne & de Bordeaux; des huiles de Provence; des toiles de Flandres de Normandie & du Maine, &c. C'est par le commerce que la Bretagne, la Normandie, la Picardie & les Pays-bas, reçoivent des vins de Bordeaux, de Bourgogne & de Champagne, &c. &c. Si l'on trouvoit les mêmes mefures dans toutes ces Provinces, le commerce en feroit plus facile & moins frauduleux; mais les mefures variant comme les lieux, il me femble que c'eft une reffource pour le Commerçant, Négociant ou Marchand, & pour le propriétaire des denrées, d'avoir fous la main une Collection des mefures de chaque pays.

Nous avons une foule d'excellens Ouvrages des plus célebres Médecins de l'antiquité, Grecs, Arabes & Latins, tels qu'Epicharme, Hiérophile, Hippocrate, Archimédique, Ifaac, Memphite, Pfelle, Nicétas, Mofchion, Oribafe, Diofcoride, Théo

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phile, Achmeth, Avicenne, Galien, Paul-Eginete, Aetius-Amidénus, Nicolas- Alexandrin, Alexandre - Trallianus, Actuarius Celfe, Pline, &c. Les Pharmacopées dans tous ces anciens Livres, ne peuvent plus être d'aucune application, fi l'on ne connoît pas la correfpondance des poids & des mefures anciennes avec celles qui font actuellement en ufage.

Quel fruit retirer de la lecture des Périples & Itinéraires de l'antiquité, des ouvrages géographiques de Strabon, de Ptolémée, de Pline, de Pomponius-Méla, & des Géographes Arabes, fi l'on ignore le rapport de leurs mefures itinéraires à celles de fon pays?

Les Hiftoriens, les Géometres, les Philologues, les Poëtes même, enfin les Ecrivains en tout genre, nous préfenteront des difficultés, fi nous ne fommes pas inftruits de la valeur des mesures & des monnoies qui avoient cours de leur temps. Il en faut dire autant des Ecrivains nos contemporains dans les pays étrangers. Ce ne font donc pas les feuls Laboureurs, Négocians, Médecins Géographes, Ingénieurs, Architectes, Arpenteurs, Voyageurs &c. qui fe trouveront dans le cas d'avoir besoin de cet Ouvrage : il n'y a point d'homme dans la fociété à qui il ne foit utile: Dimenfionis difciplina Artes fingulas adjuvat. Vix enim quidpiam agere poffumus fine menfurâ. Et turpe admodum videbitur, in fingulis quibufque dimenfionibus hærere virum, qui in cœtu hominum negociatio nibufque verfatur. Hebetis namque ingenii eft, vel manifeftæ omnino negligentiæ, ea ignorare, quæ fingulis quibufque horis neceffaria Junt (*).

« L'Hiftoire & la Géographie, dit M. Fréret (Mém. de l'Acad. » des Infcript. Tom. XXIV, pag. 433), feront toujours couvertes » de ténebres impénétrables, fi l'on ne connoît la valeur des me> fures qui étoient en ufage parmi les Anciens. Sans cette con» noiffance, il nous fera impoffible de rien comprendre à ce que >> nous disent les Hiftoriens Grecs & Romains, des marches de » leurs armées, de leurs voyages, & de la diftance des lieux où >> fe font paffés les événemens qu'ils racontent. Nous ne pourrons >> nous former une idée nette de l'étendue des anciens Empires » de celle des terres qui faifoient la richeffe des particuliers, de » la grandeur des Villes, ni de celle des Bâtimens les plus céle»bres. Les inftrumens des Arts, ceux de l'Agriculture, les armes, » les machines de guerre, les Vaiffeaux, les Galéres, la partie de (*) Fr. Patric, Sen, Pontif, Cajet, De Inftitut, Reip, Lib. II. Tit. II.

» l'antiquité la plus intéreffante, celle qui regarde l'économique, >>> tout, en un mot, deviendra une énigme pour nous, fi nous » ignorons la proportion de leurs mefures avec les nôtres. Les >> mesures creufes ou celles des fluides font liées avec les mesures >> longues; la connoiffance des poids eft liée de même avec celle >> des mesures creufes ou de capacité; & fi l'on ne rapporte le >> poids de leurs monnoies à celui des nôtres, il ne fera pas pof>> fible de fe former une idée un peu exacte des mœurs des An»ciens, ni de comparer leur richeffe avec la nôtre. On conçoit » donc que fans la connoiffance des mefures des Anciens, nous » n'aurons jamais que des notions très-imparfaites de la plus im» portante partie de l'antiquité ».

Si la multiplicité des Ouvrages qui ont été composés fur cette matiere, étoit une preuve de fon importance, l'on peut dire qu'il y a peu de fciences qui puffent en produire en plus grand nombre. Galien, qui exerçoit la Médecine fous l'empire de Trajan, avoit déja rencontré des difficultés dans l'évaluation des mefures. Fannius & Prifcien ont traité des mefures Grecques & Romaines ; mais fi leurs Ouvrages nous font utiles, on s'expoferoit néanmoins à l'erreur en les fuivant à la lettre. Budée, parmi les Ecrivains modernes, a été le premier qui a fait renaître cette étude : convaincu que la connoiffance des mesures eft nécessaire pour l'intelligence de l'antiquité, il compofa un Ouvrage fur cette matiere, qu'il publia en 1513, fous le titre modefte de Affe. Cet essai a été fuivi d'une foule d'Ecrits, dans lefquels chacun avançoit & foutenoit des opinions différentes, moins cependant fur les rapports des mesures anciennes entre elles, que fur celui qu'elles doivent avoir avec les mefures modernes. Il reftoit peu de monumens de l'antiquité dont on fût fatisfait pour faire cette réduction. Il fe trouvoit beaucoup d'autorités oppofées en apparence, & qui jettoient dans le plus grand embarras.

Pour reftituer aux mefures de l'antiquité leur jufte proportion avec les mesures modernes, les Savans qui ont cherché à faire cette comparaison, auroient désiré, fans doute, que les Anciens euffent érigé un étalon artificiel, authentique & inaltérable par fa nature, tel qu'un rocher monolithe fort dur & fort haut, ou fort large, dont ils auroient difpofé une face à recevoir en grand, par des traits imprimés dans la pierre, le prototype commun des mefures pour les y rapporter toutes. La diftance moyenne de deux

montagnes, exactement mesurée exactement mefurée, auroit également pu remplir cet objet. Mais un moyen plus für encore de transmettre à la poftérité les mesures dans leur intégrité, étoit d'en prendre l'étalon dans la nature même. On auroit pu les faire dépendre toutes du pied horaire, c'est-à-dire, de la longueur du pendule qui bat les fecondes de temps. Tous les hommes étant convenus de compter trois cens foixante-cinq jours & un quart dans une année vingt-quatre heures dans un jour, foixante minutes dans une heure, & foixante fecondes dans une minute, il auroit été facile en tout temps de vérifier fi les mesures établies & réglées fur la longueur du pendule qui bat les fecondes, auroient été altérées, & de cette maniere l'étalon ne s'en feroit plus perdu. Ce prototype admis une fois, il ne reftoit qu'à en dériver un fyftême de mesures le mieux combiné & le plus commode poffible à tous égards dans la pratique & l'ufage. La divifion décennaire, fuivie par les Chinois, & fi convenable à l'ordre naturel de notre numération, a fes avantages pour le calcul, & pouvoit être la base de ce fyftême. Au lieu de prendre la longueur entiere du pendule qui bat les fecondes, on auroit pu préférer celle qui bat les demifecondes, laquelle, à caufe que les longueurs des pendules font entre elles comme les quarrés des temps que durent les oscillations, n'eft que le quart de la précédente, & fait cent vingt vibrations dans une heure ; on auroit pu la préférer, dis-je parce qu'elle eft la mesure jufte du pied naturel d'un homme de moyenne ftature, c'eft-à-dire, d'un peu plus de neuf pouces du pied de Roi, tel qu'étoit à peu près le pied Pythique, en usage autrefois chez les peuples de la Macédoine, de la Thrace, de la Theffalie, de la Phocide, & de Marfeille où il exifte encore.

Mais ne nous plaignons point de la négligence des Anciens à nous faire paffer l'étalon de leurs mefures; ils nous l'ont confervé, en premier lieu, fur un monument auffi durable & auffi inaltérable que la roche monolithe dont on a parlé ce monument eft la grande pyramide d'Egypte ; &, en fecond lieu, fur un module pris dans la nature, auffi ingénieux & auffi exact que la mesure du pendule, c'est celle d'un degré du méridien. Ces deux moyens de rétablir les mesures de l'antiquité, lefquels donnent précisément les mêmes réfultats, feront la bafe fondamentale de nos calculs métriques, deforte que nous ofons nous flatter qu'il ne restera aucune incertitude fur la reftitution complette des anciennes mefures.

Les mefures, & fous ce nom il faut comprendre les poids & les monnoies; les mefures, dis-je, font confacrées par la Religion & par les Loix. Leur parfaite égalité est un précepte divin: Statera jufta & aqua fint pondera, juftus modius æquufque fextarius: Ego Dominus Deus vefter. (Lévit. XIX. 26.) Introduire des mutations momentanées dans les mefures, les poids & les monnoies, c'est ouvrir un vaste champ à la fraude & à l'injustice. La France, dans les fiecles paffés, n'a que trop éprouvé les funeftes effets de femblables changemens. Les mefures devroient être d'une grandeur immuable à jamais, non-feulement dans tout un Etat, mais dans le monde entier; car elles font la regle de la juftice qui ne doit point varier, & la fauvegarde de la propriété qui doit être facrée.

C'est d'après un principe de Légiflation fi fage & fi néceffaire, que dans les Etats bien policés, les Magiftrats ont veillé à ce que dans leurs principales Villes il y eût toujours un archetype ou prototype, c'est-à-dire, un premier modele ou original des mefures. Ils le confioient dans un temple ou autre lieu de marque, à la garde d'un Officier public qui étoit obligé d'en exhiber la confrontation, lorfqu'il en étoit requis par les particuliers qui défiroient régler ou juftifier leurs mefures qui n'en étoient que des copies. L'original des mefures s'appelloit Scahac chez les Hébreux, qui imprimoient une lettre ou autre caractere fur les mesures particulieres qui avoient été foumises à fa confrontation. Cette mesure particuliere & marchande, ainfi confrontée & approuvée, prenoit dès-lors le nom de Meffurah Haddin, Menfura Judicis. Chez les Grecs, l'original des mefures s'exprimoit en leur langue par les Par Res mots archetype, prototype, Metretès & μsτρav тpоwos; chez les Romains il confervoit le nom de mefure par excellence, menfura, parce que toutes les autres mesures devoient lui être conformes. Nous défignons en France la mesure fiducielle qui fert de modele ou d'original, par le mot Matrice, qui fignifie mesure mere, ou par le mot Etalon ou Eftalon, qui vient du faxon Stalone, & n'a pas d'autre acception primordiale que celle du mot mefure, comme chez les Romains. A Paris, les mefures particulieres & marchandes confrontées à la mesure originale ou à l'étalon, s'appellent mesures étalonnées ou eftampillées, & elles doivent être marquées aux armes du Roi & de la Ville.

Les étalons des mefures ont toujours été gardés avec une vigi

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