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Que j'aime encore à me le représenter dans cet état d'humiliation et de pénitence où il s'offre en esprit de sacrifice pour son peuple. A la tète de ce peuple contrit et suppliant, il marche les pieds. nuds, une corde au col, le Crucifix dans les mains, les yeux baignés de larmes et le front courbé vers la terre. Arrivé au temple, il se prosterne aux pieds des Autels, dans la plus profonde amertume, il répand son ame en présence du Seigneur : sa voix se fait entendre à peine parmi les sanglots dont elle est entrecoupée ; mais tels sont les sentimens qu'elle exprime : « C'est moi, Seigneur, c'est moi, qui ai péché ; c'est moi qui, par mes infidélités, ai retardé jusqu'ici la conversion de ce peuple que vous punissez cessez, ô mon Dieu, cessez de l'affliger, et tournez contre moi seul tous les fléaux que vous avez fait tomber sur lui. Il faut à votre justice une victime; la voici : toute indigne qu'elle est d'être acceptée, elle s'offre avec confiance, parce qu'elle emprunte, pour vous fléchir, la voix et les mérites de votre Fils. >> Déjà, en effet, sur les Autels que le St. Pontife a fait élever de toute part, se célèbrent les divins mystères; le sang de J. C. est offert par les mains de Charles. Dien s'appaise; il commande à l'Ange exterminateur de déposer son glaive; l'air se purifie, la contagion cesse, le peuple de Milan

touché, attendri, converti, avoue qu'il doit son salut à la charité de son Pasteur, et que c'est par elle que Charles a triomphé tout à la fois de sa résistance et de ses malbeurs.

Mais quand j'ai peint les malheurs de Milan, ah! M. F., en me rappelant ses crimes j'ai tremblé pour nous-mèmes. Hé quoi, ne sommes-nous pas aussi coupables! Avec plus de lumières ne le sommesnous pas davantage? Aussi d'autres maux nous affligent ; et qui peut dire de quel fléaux peut-être ils ne sont encore que le triste prélude. Depuis long-temps des morts inopinées frappent indistinctement tous les états et tous les âges ; une sorte de malignité, répandue dans l'air, immole sans cesse de nouvelles victimes, et ces surprises de la mort, qui n'étoient autrefois que des événemens rares, deviennent aujourd'hui les morts les plus ordinaires. L'affreuse indigence se fait également sentir. Tout retentit des cris des malheureux, et un châtiment plus à craindre encore est de ne les pas entendre ou d'y être insensible. Ah! triomphons, comme Charles, de tant de maux, empruntons les mêmes armes, ayons recours, ainsi que lui, aux gémissemens et à la prière, et comme lui ouvrons nos cœurs à la charité. Dans ces jours de calamité ne nous bornons pas à répandre notre superflu dans le sein des pauvres ;

pour les soulager prenons même sur notre nécessaire. Dieu s'appaisera, il convertira nos ames; et la foi, reprenant parmi nous son premier éclat, les mœurs reprenant leur première pureté, notre patrie reprendra aussi son premier lustre, et nous jouirons, avec les trésors de la grâce et de l'innocence, de notre ancienne félicité..

Charles a triomphé des malheurs de son, peuple, il a triomphé de ce peuple luimême, par sa charité. Mais, pour achever de le rendre heureux en achevant de le. rendre fidèle, il reste encore à ce St. Pontife un obstacle à vaincre, l'endurcissement et l'obstination de ses chefs; et c'est ici que Charles, toujours également grand, va couronner ses triomphes et sa gloire, par sa fermeté et sa patience.

Les principaux chefs du Milanois, jaloux peut-être de la grandeur de Charles et du crédit que ses vertus lui avoient acquis, craignant d'ailleurs pour eux-mêmes le joug de la réforme, auquel le peuple commençoit à s'accoutumer, firent un crime à Charles de son zèle, et n'oublièrent rien de ce qui pouvoit déconcerter ses projets. Charles fut attaqué par l'endroit le. plus sensible pour un bon Pasteur et pour un sujet fidèle. On le peignit à son peuple comme un esprit inquiet et turbulent, comme un homme dur et austère, comme un réformateur qui l'étoit bien plus par..

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goût et par humeur, que par zèle et par principes. On le peignit à son Prince comme un esprit dangereux, qui couvroit des vues d'ambition sous des apparences de piété et de réforme ; comme un politique adroit qui n'en imposoit au peuple , par un extérieur de vertu, que pour le gouverner ensuite avec plus d'empire; qui essayoit chaque jour son pouvoir, dans le dessein de l'augmenter, et qui dans l'exercice qu'il faisoit de la juridiction, ne prétendoit à rien moins qu'à la ruine entière de l'autorité du Monarque.

Ainsi on armoit l'une contre l'autre, deux puissances qui sont si bien faites pour être d'accord, et qui ne peuvent rendre les peuples heureux qu'autant que d'un même pas, quoique par des routes différentes, elles tendent au même but.

Charles, sans préjugés d'état et de nation, (les Sts. n'en devroient point avoir.) Charles, avoit sans doute mesuré, plus d'une fois, la distance et les bornes qui séparent l'une et l'autre puissance; il en avoit étudié la nature et les caractères. Toutes deux émanées de Dieu-même, ne rélevant que de lui seul, indépendantes et soumises tour-à-tour, ont leur autorité et leurs droits séparés. L'une, faite pour le temps, a son empire sur la terre, elle porte le glaive pour punir les coupables ou pour effrayer ceux qui seroient tentés

et

de le devenir; elle dispose de nos facultés et de nos biens pour le salut de tous, et concentre les intérêts particuliers dans l'intérêt général; elle veille sur nos droits et les conserve; elle commande, elle gouverne dans la personne des Césars compte les Pontifes eux-mêmes parmi ses premiers et ses plus fidèles sujets. L'autre, toute spirituelle et tendant à l'éternité, a J. C. pour chef invisible et ses Pontifes pour Ministres ; elle fait rendre à Dieu ce qui lui est dû, elle maintient ses lois et son culte, elle s'occupe du salut de nos ames, elle lie et délie pour le Ciel, elle exerce son empire sur les consciences, elle enchaîne les volontés; et, souveraine dans tout ce qui est essentiellement du ressort de la religion, elle a vû les Constantin et les Clovis révérer en elle celui au nom duquel elle règne sur les esprits et sur les cœurs. Toutes deux, moins rivales que sœurs, se prêtent un mutuel appuiet concourent ensemble à la gloire du Trèshaut et au bonheur des hommes.

Charles, toujours empressé à procurer la fin qui leur est commune, n'eût point été jaloux de réunir dans sa personne leurs droits et leurs priviléges, qui sont si différens; mais, par une concession toute gratuite des souverains eux-mêmes, il avoit quelque chose à conserver de l'une et l'autre juridiction. Il croit pouvoir le faire, il

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