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quel point il est légal de ravager ou de laisser dévaster leur pays. Si ce moyen est nécessaire pour arriver au juste but de la guerre, il peut être employé légalement; mais non pour un autre objet. Ainsi si nous ne pouvons arrêter les progrès d'un ennemi, ni secourir nos frontières, ou si l'on ne peut approcher d'une ville qu'on veut attaquer sans dévaster le territoire intermédiaire, le cas extrême peut justifier le recours à des mesures que l'objet ordinaire de la guerre n'autorise pas. D'après HEFFTER, Le droit international public, traduction de M. Bergson, § 125, les usages de la guerre condamnent, excepté dans le cas de représailles ou de précautions, de manière à prévenir des désastres irréparables, les ravages du territoire ennemi et les destructions des récoltes et des habitations. Il est dans tous les cas à regretter que les belligérants aient souvent recours à ces moyens dans le seul but de faciliter leurs opérations stratégiques.

Il faut encore comprendre dans les pratiques proscrites par les lois de la guerre et comme contraires à l'humanité, l'empoisonnement des sources et des eaux du territoire ennemi, l'emploi des moyens mécaniques qui frappent des masses entières de troupes, l'usage de certaines armes qui aggravent les douleurs des combattants et rendent leur guérison plus difficile. V. sur ces divers points VATTEL, le Droit des gens, édit. Guillaumin, liv. III, ch. x, § 155-157, 166 et 167 et les notes de M. Pradier-Fodéré ; KLÜBER, Droit des gens moderne, édit. Guillaumin, § 244, 262, 263, et HEFFTER, loc. cit. CH. V.]

8274. Des Stratagèmes; des Espions.

Ni la loi naturelle ni l'usage ne défendent, dans la généralité, l'emploi de stratagèmes pour tromper l'ennemi, en tant que ces ruses servent au but de la guerre, et que l'on n'a pas promis expressément ou tacitement de le traiter de bonne foi. Cependant l'usage proscrit en outre quelques genres de stratagèmes, soit dans les guerres continentales, soit dans les guerres maritimes (a).

(a) BOUCHAUD, Théorie des traités de commerce, p. 377.

De même on ne peut condamner en temps de guerre, comme moyen illégitime, la corruption employée pour séduire les officiers ou autres sujets ennemis, et les engager, soit à révéler un secret, soit à rendre une place, soit même à la révolte (b) : c'est à chaque État à s'en garantir par le choix de ses employés, et par la sévérité des peines dont il punit de tels crimes. Mais c'est sans doute franchir de beaucoup les bornes du droit de la guerre, et se déclarer l'ennemi du genre humain, que de tenter d'exciter tous les peuples à la révolte en leur promettant secours (c).

D'après les mêmes principes, il n'est pas contraire aux lois de la guerre de se servir d'espions; mais c'est à chaque puissance belligérante à s'en garantir par les peines sévères et ignominieuses qu'elle attache à l'espionnage de l'ennemi. Toutefois on ne peut traiter d'espion que celui qui, sous les dehors d'ami ou de neutre, tâche de prendre des renseignements ou de favoriser une correspondance nuisible à l'intérêt de l'armée, de la place, etc., et non pas l'officier ennemi qui paraît dans son uniforme (d). Et, bien que la célérité ordinaire de la procédure ne permette guère que d'examiner le fait, sans scruter l'intention, si les circonstances amènent une plus ample information, il serait contraire à tous les principes de ne pas avoir égard à la question intentionnelle.

(b) MOSER, Versuch, t. IX, p. 1, p. 317.

(c) Horrible décret de la Convention nationale, du 19 novembre 1792, dans mon Recueil, t. VI, p. 741.

(d) BRUCKNER, De explorationibus et exploratoribus, Jenæ, 1700, in-4; Hannov. gel. Anzeigen, 1751, p. 383 et suiv. Sur le fait mémorable touchant le major André, dans la guerre d'Amérique, V. mon Erzählungen merkwürdiger Fälle, t. I, p. 303; V. aussi KAMPTZ, Beyträge zum Staats-und Wölkerrecht, t. I, n. 3.

[D'après les principes de la morale, il est incontestable que le droit de la guerre condamne les stratagèmes qui consistent dans la violation de la foi jurée, dans l'assassinat et dans la provocation à l'assassinat, dans l'excitation à la révolte des sujets ennemis contre leur souverain, dans la corruption et l'excitation à la trahison, bien que ces deux derniers moyens trouvent encore des défenseurs.

Les belligérants n'ont pas encore renoncé à l'usage de recevoir des transfuges et des déserteurs et de recourir à l'espionnage pour découvrir l'état des affaires de l'ennemi et profiter de l'avertissement donné. Il y a des espions de guerre et des espions politiques. Ces derniers sont plus rares aujourd'hui : la publicité, qui s'étend même aux affaires politiques, suffit souvent à renseigner les gouvernements sur les points qui les intéressent. L'espionnage civil et politique n'a aucune suite au point de vue pénal, tant qu'il n'entraîne pas celui qui le pratique à des mesures contraires à l'ordre public de l'État dans lequel il réside, à la corruption de fonctionnaires, par exemple. Quant aux espions de guerre, ce sont ceux qui, en dehors de l'exercice de fonctions régulières et avouées, s'efforcent de prendre des renseignements sur la position d'une armée ou d'une place ennemie, soit sur le territoire de l'un des belligérants, soit sur le territoire occupé par l'un d'eux. Il appartient aux nations intéressées de prendre les mesures les plus énergiques pour prévenir ou réprimer de pareilles entreprises. Longtemps l'espion pris sur le fait fut puni de la corde; il est à présent puni suivant les lois martiales propres à chaque pays.'

Rien n'autorise à confondre avec des espions et à traiter comme tels les officiers qui, revêtus de leur uniforme, poussant une reconnaissance, pénètrent jusque dans un poste ennemi, et interrogent des prisonniers, ou les personnes qui, dans un but privé et non militaire, cherchent à se procurer ou à obtenir des renseignements.

« Il y a à relever ici, dit Pinheiro-Ferreira, la singulière doctrine avancée par l'auteur, qu'à moins d'avoir promis expressément ou tacitement qu'on fera la guerre de bonne foi, on peut employer la ruse.

>> Si la ruse est licite, on ne saurait s'engager à ne jamais l'employer; si elle ne l'est pas, il n'est pas nécessaire de l'avoir promis pour qu'on doive s'en abstenir.

>> Mais, demandera-t-on peut-être, à quel caractère peut-on distinguer la ruse ou le stratagème licite, de ceux qui ne le sont pas?

» Lorsque le moyen que nous employons pour donner le change à notre ennemi n'est pas une violation de nos devoirs, il ne peut qu'être licite. Mais si, au contraire, il ne se méprend sur nos intentions que parce qu'il nous suppose fidèles à nos devoirs, tandis que, pour le tromper, nous y contrevenons sciemment, ce n'est plus un stratagème, mais une insigne lâcheté.

>> On ne saurait expliquer sur quel fondement M. de Martens a pu établir la différence qu'il admet ici entre l'indignité de corrompre les sujets de notre ennemi pour trahir ses secrets, et celle de les inviter à la révolte.

>> Nul doute que les maux de soulever des peuples entiers sont beaucoup plus graves que ceux de la corruption de quelques individus ; mais l'immoralité des moyens est indépendante de leurs suites immédiates, et quoique moins grave sous ce rapport, la corruption est encore plus abominable que la provocation à la révolte.

>> Comment des généraux qui se disent des hommes d'honneur peuvent-ils donner à leurs soldats l'exemple d'inviter ceux de l'ennemi à déserter leurs drapeaux ? Le fort devrait rougir de se ravaler à une telle bassesse; le faible devrait sentir qu'une telle conduite, loin de le rendre plus fort, ne peut que le rendre méprisable.

>> Indépendamment de ce que l'emploi des espions a d'immo· ral, on a de la peine à concevoir comment on peut mettre de la confiance dans des rapports faits par tout ce qu'il y a de plus vil et ordinairement de plus ignare parmi les hommes.

>> Un fait généralement connu, c'est que si les généraux voulaient se fier aux rapports des espions qu'ils emploient, ils seraient la plupart du temps cruellement punis de leur crédulité; aussi sont-ils obligés de recourir à d'autres moyens de vérification qui finissent par démentir les rapports des espions, ou par les rendre absolument inutiles. » V. encore une note de M. Pradier-Fodéré sur le § 179, liv. III, ch. x, de VATTEL, le Droit des gens, édit Guillaumin. CH. V.]

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Aussi peu que la loi naturelle permet de tuer l'ennemi légitime lorsqu'il a été vaincu, aussi peu elle autorise à le réduire à l'esclavage (a); mais on est en droit de lui faire mettre bas les armes et de le détenir comme prisonnier de guerre jusqu'au rétablissement de la paix, à moins qu'on ne soit convenu de lui accorder une libre retraite, soit surle-champ, soit à une époque déterminée.

Cependant, souvent les puissances belligérantes conviennent, par cartel, de l'échange ou de la rançon des prisonniers de guerre (b), ou même on relâche les officiers sur

(a) J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, liv. I, chap. iv. Il n'est plus question aujourd'hui d'esclavage dans les guerres entre les puissances chrétiennes de l'Europe; mais comme les États barbaresques n'ont pas encore généralement renoncé à ce traitement féroce, c'est contre eux qu'on se sert encore à bon droit de représailles. BYNKERSHOECK, Quæst. jur. publ., lib. I, cap. III; Nouv. extr., 1787, n. 2, Suppl. 32. Les traités les plus récents tendent à les faire renoncer à cet usage barbare; V., par exemple, le traité entre la Grande-Bretagne, le roi des Pays-Bas et le dey d'Alger, du 28 août 1816, dans mon Nouveau Recueil, t. III, p. 88, 90; entre la Grande-Bretagne et Tunis, du 17 avril 1816; entre le grand-duc de Toscane et Tunis, du 26 avril 1816, ibid., p. 21, 22. Quant à d'autres peuples de l'Afrique qui étaient en usage de vendre aux nations chrétiennes leurs prisonniers et autres, réduits par eux à l'esclavage, il est à espérer que dans peu il ne leur restera plus guère d'occasions d'exercer ce détestable trafic, quand les efforts réunis des puissances à colonies auront réussi à proscrire entièrement la traite des nègres. V. plus haut, 150 b.

(b) Jusqu'aux temps plus récents, il était reçu de convenir à la fois, dans les cartels, et de l'échange et de la rançon pécuniaire d'après la diversité du grade pour solder le compte en cas de l'inégalité de nombre ou de grade des prisonniers; V., par exemple, le cartel entre la France et l'Angleterre, du 12 mars 1780, dans mon Recueil a, t. IV, p. 276; b, t. III, p. 300. La France a rejeté, dans la guerre de la révolution, toute rançon, en décrétant le 25 mai 1793 de n'admettre que l'échange d'homme pour homme, de grade pour grade, etc. V. décret du 25 mai 1793, dans

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