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de ces deux sens; car non-seulement la nation peut déléguer cette nomination, mais elle ne peut que la déléguer, par la raison toute simple qu'une nation ne peut exercer en masse aucun acte des cinq pouvoirs politiques, et par conséquent il faut bien que quelqu'un les exerce par délégation.

» Ce que M. de Martens a donc voulu dire, et on peut encore le conjecturer d'après les exemples qu'il cite lui-même, c'est que le souverain peut déléguer à des tiers le droit de nommer des agents diplomatiques; ce qui ne saurait être douteux, si on s'arrête à la simple nomination. Mais si l'on veut étendre cette autorisation à la faculté de donner à l'agent diplomatique des instructions et des ordres qu'il ait à observer comme s'ils étaient émanés du souverain lui-même, on commettrait une très-grave erreur. L'agent diplomatique ne saurait regarder comme expression de la volonté du souverain que les ordres qui lui sont transmis par le ministère d'État auquel il ressortit. Il trahirait ses devoirs si, en sa qualité d'interprète de son gouvernement auprès de celui auque il est envoyé, il avançait comme expression de la volonté souveraine ce qui lui aurait été dicté par une autre autorité que celle exclusivement avouée par la loi comme organe authentique des décisions du chef de l'État. On comprend que nous entendons parler des gouvernements constitutionnels. S'il était question des monarchies absolues, on ne pourrait rien dire de positif, car on ne saurait prescrire des règles à l'arbitraire. >>

2188. Du Droit de recevoir des Ministres.

CH. V.]

Ceux qui ont le droit d'envoyer des ministres ont aussi celui d'en recevoir, et il n'y a qu'eux qui en jouissent; de sorte que le droit de légation, le droit actif et le droit passif dépendent inséparablement l'un de l'autre, tant en général que même par rapport aux différents grades de missions.

[Le droit de recevoir des ministres est, comme celui d'en envoyer, une conséquence de la souveraineté. Ils sont corrélatifs. Cependant HEFFTER, le Droit international public, traduction de M. Bergson, § 200, estime qu'on ne saurait naturellement refuser à des particuliers le droit de recevoir des ministres publics. Rien,

suivant cet auteur, ne les empêche de recevoir d'un souverain étranger des agents diplomatiques. Par quels motifs serait-il défendu à une tête couronnée d'envoyer un représentant auprès d'une maison princière non souveraine, par exemple, dans une affaire matrimoniale ou dans d'autres affaires purement personnelles ? Nous ne saurions nous ranger à cette opinion et reconnaître le caractère et les priviléges de l'agent diplomatique à un personnage agissant dans une des hypothèses prévues par Heffter. Il représente simplement dans ces divers cas des intérêts privés.

Il n'y a pas obligation comme il est dit ci-après au § 190, mais simplement convenance ou raison politique pour un État souverain de recevoir les ministres publics d'une autre puissance; aussi est-il libre de fixer les conditions de leur admission et de déterminer les droits et les prérogatives qu'il leur accordera. Il lui appartient également de se refuser à recevoir tel ou tel individu comme ministre d'une autre puissance, et il ne doit aucun compte des raisons personnelles ou politiques qui lui dictent ce refus.

L'état de guerre ne dispense pas les souverains de l'obligation de recevoir et d'écouter les ministres des autres puissances. Ces rapprochements sont même le seul moyen de traiter de la paix ou d'adoucir les maux de la guerre. L'agent de la puissance ennemie ne peut se présenter sans une permission spéciale qui prend le nom du sauf-conduit et qui est habituellement demandée par un parlementaire ou par un ennemi commun. La guerre n'est pas par elle-même un motif suffisant de refuser un sauf-conduit; il faut avoir quelque raison particulière et sérieuse de le faire Telle serait, dit VATTEL, le Droit des gens, édit. Guillaumin, liv. IV, ch. v, § 67, une crainte raisonnable et justifiée par la conduite même d'un ennemi artificieux, qu'il ne pense à envoyer ses ministres, à faire des propositions que dans la vue de désunir des alliés, de les endormir par des apparences de paix et de les surprendre. C'est aussi le sentiment de Burlamaqui, Principes du droit des gens, chap. XIII, § 4. CH. V.]

2189. - Comment le droit d'Ambassade se perd.

Le droit d'ambassade étant un droit essentiel du gouvernement, il appartient, en cas de vacance du trône dans les monarchies, à celui ou à ceux qui, d'après la constitution,

sont autorisés à tenir les rênes du gouvernement pendant l'interrègne. Le monarque qui abdique volontairement la couronne ne peut plus exercer le droit d'ambassade, ni le monarque prisonnier, tant que dure sa détention. Au reste, la perte involontaire de la possession du trône ôte aussi peu au monarque légitime le droit d'ambassade, que la possession de fait l'accorde à l'usurpateur. C'est pourquoi la réception ou l'envoi d'un ministre sont considérés en Europe comme des actes de reconnaissance de celui dont on le reçoit ou auquel on l'envoie, et donnent quelquefois lieu à des plaintes de la part du parti opposé (§ 80).

[On s'est demandé si une nation cessait d'être souveraine et perdait le droit d'ambassade par cela seul qu'elle était tributaire d'une autre nation. Évidemment non. Le tribut est une preuve de faiblesse, mais il n'exclut pas la souveraineté et par suite le droit d'ambassade. Telle est l'opinion de MERLIN, Rép., vo Ministre public, sect. 11, § 1, n. 3.

On peut, d'après le même auteur, dire la même chose d'un État vassal. Aussi, depuis la paix de Westphalie surtout, accordait-on le droit d'ambassade aux princes et aux États de l'empire germanique. Sous la nouvelle constitution politique de l'Allemagne établie par les traités de 1815, le droit des États souverains unis seulement par les liens de la Confédération germanique ne fait aucun doute et est exercé sans contestation.

L'existence d'un traité d'alliance inégale et même un traité de protection, se conciliant avec la souveraineté, ne dépouillent point un État du droit d'envoyer et de recevoir des ministres publics. V. Conf. VATTEL, le Droit des gens, édit. Guillaumin, liv. IV, ch. v, § 58; BURLAMAQUI, Principes du Droit des gens, ch. xIII, § 2; DE RÉAL, t. V, ch. 1, sect. VI, n. 2.

La question de savoir si une ville sujette, se reconnaissant telle, mais ayant néanmoins le droit de traiter avec les puissances étrangères, pouvait envoyer à ces puissances des ministres publics, s'est élevée à l'occasion de la ville de Neufchâtel. Contrairement

à l'opinion de Vattel, édit. préc., liv. IV, ch. v, § 60, MERLIN, Loc. cit,, n. 9, décide avec raison qu'on ne peut être à la fois sujet et souverain et que la ville sujette cesse par sa position même d'avoir l'indépendance nécessaire au droit de légation. Aussi, avant 1789 comme depuis 1815, la ville de Neufchâtel adressait-elle les réclamations qu'elle pouvait avoir à présenter au gouvernement français, par l'intermédiaire du roi de Prusse reconnu par le traité d'Utrecht, seigneur souverain de la principauté de Neufchâtel et Valengin.

M. Pinheiro-Ferreira présente sur ce paragraphe les observations suivantes :

<< L'auteur oublie dans ce moment la distinction généralement admise, et par lui-même avouée, des gouvernements de droit et des gouvernements de fait.

>> Sans admettre les définitions que les publicistes ont essayé de donner de ces deux sortes de gouvernements, nous aussi nous l'adoptons.

» Sans répéter donc ici ce que nous avons dit ailleurs à cet égard, nous remarquerons que l'admission de l'ambassadeur d'un gouvernement quelconque suppose que celui qui l'admet reconnaît que la personne au nom de qui l'ambassadeur parle est, à la vérité, un gouvernement; mais de ce seul fait, on ne saurait conclure s'il le reconnaît comme gouvernement de droit ou seulement comme gouvernement de fait.

>> Il n'y a que la nature des stipulations qui peut faire connaître jusqu'à quel point le gouvernement auquel l'ambassadenr a été adressé considère les actes de l'autre gouvernement comme avoués par la nation dont il se dit le représentant. Se borne-t-il à des conventions de peu d'importance ou compatibles avec une durée éphémère de l'autre gouvernement, une telle reconnaissance ne suppose nullement qu'on ait compté sur l'assentiment de toute la nation ce n'est que pour ce fait qu'on a entendu reconnaître que le gouvernement était en mesure de faire accomplir les stipulations dont on sera convenu. Mais si, au contraire, les conditions du traité doivent étendre leur effet à une telle étendue de temps, et embrassent une telle somme d'intérêts, que si le gouvernement avec lequel on a contracté était renversé par la volonté nationale, le traité ne serait considéré que comme une conspiration du gouvernement déchu avec l'étranger contre les intérêts de la nation :

il est dès lors évident que l'on a entendu contracter avec un gouvernement qu'on savait ou qu'on affectait de croire stable et légitime; car, en fait de gouvernement, on ne saurait croire stable que celui qui est légitime. » CH. V.]

190. Du Droit des Ministres.

Comme, les traités exceptés, il n'y a aucune obligation parfaite d'envoyer ou de recevoir un ministre, moins encore d'admettre des missions permanentes, tout État peut fixer les conditions sous lesquelles il veut consentir à la réception d'un ministre étranger. Cependant, 1o dans la pratique une puissance amie ne se refuserait guère aujourd'hui, dans la généralité, à admettre une mission; 2o en consentant à recevoir un ministre, on doit le laisser jouir des droits que la loi naturelle attache essentiellement aux ambassades; 3° il est d'autres droits qui reposent sur des traités particuliers ou sur les lois (a); 4o d'autres sont tellement fondés sur l'usage, qu'ils peuvent être censés accordés tacitement tant qu'on n'a pas déclaré le contraire; 5o enfin d'autres sont arbitraires, et, dépendant des usages particuliers de chaque cour, ne sont pas susceptibles d'être ramenés à des règles générales.

(a) V. les lois des diverses puissances de l'Europe sur les prérogatives des ministres étrangers, dans le Supplément à mes Erzählungen merkwürdiger Fälle aus dem Völkerrecht, t. I, p. 330-377; t. II, p. 344 et suiv.; et une liste plus ample, dans mon Guide diplomatique, chap. 1, sect. III, De chaque puissance.

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