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sommes donc dégradés, et comment? Cette corruption que Platon voyait en lui n'était pas apparemment quelque chose de particulier à sa personne, et sûrement il ne se croyait pas plus mauvais que ses semblables. Il disait donc essentiellement comme David: Ma mère m'a conçu dans l'iniquité; et si ces expressions s'étaient présentées à son esprit, il aurait pu les adopter sans difficulté. Or, toute dégradation ne pouvant être qu'une peine, et toute peine supposant un crime, la raison seule se trouve conduite, comme par force, au péché originel: car notre funeste inclination au mal étant une vérité de sentiment et d'expérience proclamée par tous les siècles, et cette inclination toujours plus ou moins victorieuse de la conscience et des lois, n'ayant jamais cessé de produire sur la terre des transgressions de toute espèce, jamais l'homme n'a pu reconnaître et déplorer ce triste état sans confesser par là même le dogme lamentable dont je vous entretiens ; car il ne peut être méchant sans être mauvais, ni mauvais sans être dégradé, ni dégradé sans être puni, ni puni sans être coupable.

Enfin, messieurs, il n'y a rien de si attesté, rien de si universellement cru sous une forme ou sous une autre, rien enfin de si intrinsèquement plausible que la théorie du péché originel.

Laissez-moi vous dire encore ceci : Vous n'éprouverez, j'espère. nulle peine à concevoir qu'une intelligence originellement dégradée soit et demeure incapable (à moins d'une régénération substantielle) de cette contemplation ineffable que nos vieux maîtres appelèrent fort à propos vision béatifique, puisqu'elle produit, et que même elle est le bonheur éternel; tout comme vous concevrez qu'un œil matériel, substantiellement vicié, peut être incapable, dans cet état, de supporter la lumière du soleil. Or, cette incapacité de jouir du SOLEIL est, si je ne me trompe, l'unique suite du péché originel que nous soyons tenus de regarder comme naturelle et indépendante de toute transgression actuelle. La raison peut, ce me semble, s'élever jusque-là ; et je crois qu'elle a droit de s'en applaudir sans cesser d'être docile.

L'homme ainsi étudié en lui-même, passons à son histoire.

'La perte de la vue de Dieu, supposé qu'ils la connaissent, ne peut manquer de leur causer habituellement (aux enfants morts sans baptême) une douleur sensible qui les empêche d'être heureux. (Bougeant. Exposition de la doctrine chrétienne, in-12, Paris, 1746, tome II, ch. 2, art. 2, page 150, et tome III, sect. iv, ch. 3, page 343.)

Tout le genre humain vient d'un couple. On a nié cette vérité comme toutes les autres : eh! qu'est-ce que cela fait?

Nous savons très-peu de choses sur les temps qui précédèrent le déluge, et même, suivant quelques conjectures plausibles, il ne nous conviendrait pas d'en savoir davantage. Une seule considération nous intéresse, et il ne faut jamais la perdre de vue, c'est que les 2 châtiments sont toujours proportionnés aux crimes, et les crimes toujours proportionnés aux connaissances du coupable; de manière que le déluge suppose des crimes inouïs, et que ces crimes supposent des connaissances infiniment au-dessus de celles que nous possédons. Voilà ce qui est certain et ce qu'il faut approfondir. Ces connaissances, dégagées du mal qui les avait rendues si funestes, survécurent dans la famille juste à la destruction du genre humain. Nous sommes aveuglés sur la nature et la marche de la science par un sophisme grossier qui a fasciné tous les yeux : c'est de juger du temps où les hommes voyaient les effets dans les causes, par celui où ils s'élèvent péniblement des effets aux causes, où ils ne s'occupent même que des effets, où ils disent qu'il est inutile de s'occuper des causes, où ils ne savent pas même ce que c'est qu'une cause. On ne cesse de répéter : Jugez du temps qu'il a fallu pour savoir telle ou telle chose! Quel inconcevable aveuglement! Il n'a fallu qu'un instant. Si l'homme pouvait connaître la cause d'un seul phénomène physique, il comprendrait probablement tous les autres. Nous ne voulons pas voir que les vérités les plus difficiles à découvrir sont très-aisées à comprendre. La solution du problème de la couronne fit jadis tressaillir de joie le plus profond géomètre de l'antiquité; mais cette même solution se trouve dans tous les cours de mathématiques élémentaires, et ne passe pas les forces ordinaires d'une intelligence de quinze ans. Platon, parlant quelque part de ce qu'il importe le plus à l'homme de savoir, ajoute tout de suite avec cette simplicité pénétrante qui lui est naturelle : Ces choses s'apprennent aisément et parfaitement, SI QUELQU'UN NOUS LES ENSEIGNE, voilà le mot. Il est, de plus, évident pour la simple raison que les premiers hommes qui repeuplèrent le monde après la grande catastrophe, eurent besoin de secours extraordinaires pour vaincre les difficultés de toute

'E: ôtôáaxoi tis. Ce qui suit n'est pas moins précieux; mais, dit-il, personne ne nous l'apprendra, à moins que Dieu ne lui montre la route. 'AXX' ¿uò' äv ôíôáželev, εἰ μὴ Θεὸς ὑφηγοῖτο. Epin, Opp. tome IX, page 259.

espèce qui s'opposaient à eux 1; et voyez, messieurs, le beau caractère de la vérité! S'agit-il de l'établir? les témoins viennent de tous côtés et se présenteut d'eux-mêmes: jamais ils ne se sont parlé, jamais ils ne se contredisent, tandis que les témoins de l'erreur se contredisent, même lorsqu'ils mentent. Écoutez la sage antiquité sur le compte des premiers hommes: elle vous dira que ce furent des hommes merveilleux, et que des êtres d'un ordre supérieur daignaient les favoriser des plus précieuses communications. Sur ce point il n'y a pas de disonance: les initiés, les philosophes, les poëtes, l'histoire, la fable, l'Asie et l'Europe n'ont qu'une voix. Un tel accord de la raison, de la révélation et de toutes les traditions humaines, forme une démonstration que la bouche seule peut contredire. Non-seulement donc les hommes ont commencé par la science, mais par une science différente de la nôtre, et supérieure à la nôtre; parce qu'elle commençait plus haut, ce qui la rendait même trèsdangereuse; et ceci vous explique pourquoi la science dans son principe fut toujours mystérieuse et renfermée dans les temples, où elle s'éteignit enfin, lorsque cette flamme ne pouvait plus servir qu'à brûler. Personne ne sait à quelle époque remontent, je ne dis pas les premières ébauches de la société, mais les grandes institutions, les connaissances profondes, et les monuments les plus magnifiques de l'industrie et de la puissance humaine. A côté du temple de SaintPierre à Rome, je trouve les cloaques de Tarquin et les constructions cyclopéennes. Cette époque touche celle des Étrusques, dont les arts et la puissance vont se perdre dans l'antiquité, qu'Hésiode appelait grands et illustres, neuf siècles avant Jésus-Christ qui envoyèrent des colonies en Grèce et dans nombre d'îles, plusieurs siècles avant la guerre de Troie. Pythagore, voyageant en

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'Je ne doute pas, disait Hippocrate, que les arts n'aient été primitivement des ➜ grâces (Oε☎v xápitaç) accordées aux hommes par les dieux. (Hippocr. Epist. in Opp. ex edit. Foesii. Francfort, 1621, in-fol. page 1274.) Voltaire n'est pas de cet avis : Pour forger le fer, ou pour y suppléer, il faut tant de HASARDS heureux, tant d'industrie, tant de siècles! (Essai, etc. introd. page 45.) Ce contraste est piquant : mais je crois qu'un bon esprit qui réfléchira attentivement sur l'origine des arts et des sciences, ne balancera pas longtemps entre la grâce et le hasard.

2 Dià ante rem romanam. Tit. Liv.

• Théog. v. 114. Consultez, au sujet des Étrusques, Carli-Rubbi, Lettere americane, p. III, lett. 11, pages 94-104 de l'édit. in-8° de Milan. Lanzi, Saggio di lingua etrusca, etc. 3 vol. in-8°, Roma, 1780.

Égypte six siècles avant notre ère, y apprit la cause de tous les phénomènes de Vénus. Il ne tint même qu'à lui d'y apprendre quelque chose de bien plus curieux, puisqu'on y savait de toute antiquité que Mercure, pour tirer une déesse du plus grand embarras, joua aux échecs avec la lune, et lui gagna la soixante et douzième partie du jour. Je vous avoue même qu'en lisant le Banquet des sept sages, dans les œuvres morales de Plutarque, je n'ai pu me défendre de soupçonner que les Égyptiens connaissaient la véritable forme des orbites planétaires. Vous pourrez, quand il vous plaira, vous donner le plaisir de vérifier ce texte. Julien, dans l'un de ses fades discours (je ne sais plus lequel), appelle le soleil le dieu aux sept rayons. Où avait-il pris cette singulière épithète? Certainement elle ne pouvait lui venir que des anciennes traditions asiatiques qu'il avait recueillies dans ses études théurgiques; et les livres sacrés des Indiens présentent un bon commentaire de ce texte, puisqu'on y lit que sept jeunes vierges s'étant rassemblées pour célébrer la venue de Crischna, qui est l'Apollon indien, le dieu apparut tout à coup au milieu d'elles, et leur proposa de danser; mais que ces vierges s'étant excusées sur ce qu'elles manquaient de danseurs, le dieu y pourvut en se divisant lui-même, de manière que chaque fille eut son Crischna. Ajoutez que le véritable système du monde fut parfaitement connu dans la plus haute antiquité. Songez que les pyramides d'Égypte, rigoureusement orientées, précèdent toutes les époques certaines de l'histoire; que les arts sont des frères qui ne peuvent vivre et briller qu'ensemble; que la nation qui a pu créer des couleurs capables de résister à l'action libre de l'air pendant trente siècles, soulever à une hauteur de six cents pieds des masses qui braveraient toute notre mécanique 2, sculpter sur le granit des oiseaux dont un voyageur moderne a pu reconnaître toutes les espèces ; mais que cette nation, dis-je, était nécessairement tout aussi éminente dans les autres arts, et savait même nécessairement une foule de choses que nous ne savons pas. Si

'On peut lire cette histoire dans le traité de Plutarque De Iside et Osiride. cap. 12. Il faut remarquer que la soixante et douzième partie du jour multipliée par 360 donne les cinq jours qu'on ajouta, dans l'antiquité, pour former l'année solaire, et que 360 multipliés par ce même nombre donnent celui de 25,920, qui exprime la grande révolution résultant de la précession des équinoxes.

2 Voyez les Antiq. égypt., grecq., etc., de Caylus, in-4o, tome V, préface.

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Voyez le voyage de Bruce et celui de Hasselquist, cité par M. Bryant. New system, or an Analysis of ancient mythology, etc.; in-4o, tome III, page 301.

de là je jette les yeux sur l'Asie, je vois les murs de Nemrod élevés sur une terre encore humide des eaux du déluge, et des observations astronomiques aussi anciennes que la ville. Où placerons-nous donc ces prétendus temps de barbarie et d'ignorance? De plaisants philosophes nous ont dit: Les siècles ne nous manquent pas : ils vous manquent très-fort; car l'époque du déluge est là pour étouffer tous les romans de l'imagination; et les observations géologiques qui démontrent le fait, en démontrent aussi la date, avec une incertitude limitée, aussi insignifiante, dans le temps, que celle qui reste sur la distance de la lune à nous, peut l'être dans l'espace. Lucrèce même n'a pu s'empêcher de rendre un témoignage frappant à la nouveauté de la famille humaine; et la physique, qui pourrait ici se passer de l'histoire, en tire cependant une nouvelle force, puisque nous voyons que la certitude historique finit chez toutes les nations à la même époque, c'est-à-dire vers le vIII° siècle avant notre ère. Permis à des gens qui croient tout, excepté la Bible, de nous citer les observations chinoises faites il y a quatre ou cinq mille ans, sur une terre qui n'existait pas, par un peuple à qui les jésuites apprirent à faire des almanachs à la fin du XVIe siècle; tout cela ne mérite plus de discussion laissons-les dire. Je veux seulement vous présenter une observation que peut-être vous n'avez pas faite: c'est que tout le système des antiquités indiennes ayant été renversé de fond en comble par les utiles travaux de l'académie de Calcutta, et la simple inspection d'une carte géographique démontrant que la Chine n'a pu être peuplée qu'après l'Inde, le même coup qui a frappé sur les antiquités indiennes a fait tomber celles de la Chine, dont Voltaire surtout n'a cessé de nous assourdir.

L'Asie, au reste, ayant été le théâtre des plus grands merveilles, il n'est pas étonnant que ses peuples aient conservé un penchant pour le merveilleux plus fort que celui qui est naturel à l'homme en général, et que chacun peut reconnaître dans lui-même. De là vient qu'ils ont toujours montré si peu de goût et de talent pour nos sciences de conclusions. On dirait qu'ils se rappellent encore la science primitive et l'ère de l'intuition. L'aigle enchaîné demande-t-il une montgolfière pour s'élever dans les airs? Non, il demande seulement que ses liens soient rompus. Et qui sait si ces peuples ne sont pas destinés encore à contempler des spectacles qui seront refusés au génie ergoteur de l'Europe? Quoi qu'il en soit, observez, je vous prie, qu'il

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