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En vain leurs mortelles compagnes
Les comblaient de baisers de miel ;
Ils erraient seuls par les campagnes,
Et montaient, de nuit, les montagnes,
Pour revoir de plus près le Ciel;

Et si, plus prompt que la tempête,
Un Ange pur, au rameau d'or,
Vers un monde ou vers un prophète
Volait, rasant du pied la tête
Ou de l'Horeb ou du Thabor,

Au noble exilé de sa race

Il lançait vite un mot d'adieu,

Et, tout suivant des yeux sa trace,
L'autre espérait qu'un mot de grâce
Irait jusqu'au trône de Dieu.

Le Creux de la vallée

La solitude est mauvaise à celui qui n'y vit pas avec Dieu.

RENÉ.

Au fond du bois, à gauche, il est une vallée
Longue, étroite; à l'entour, de peupliers voilée;
Loin des sentiers battus; à peine du chasseur
Connue, et du berger; l'herbe en son épaisseur
N'agite sous vos pas couleuvre ni vipère;

A toute heure, au mois d'août, un zéphir y tempère,
A l'ombre des rameaux, les cuisantes chaleurs
Qui sèchent le gazon et font mourir les fleurs.
Mais vers le bas surtout, dans le creux, où la source
Se repose et sommeille un moment dans sa course,
Et par places scintille en humides vitraux,
Ou murmure invisible à travers les sureaux,
Que le vallon est frais! L'alouette y vient boire,
La sarcelle y baigner sa plume grise et noire,
La poule d'eau s'y pendre au branchage mouvant.
En me promenant là, je me suis dit souvent :
Pour qui veut se noyer la place est bien choisie.
On n'aurait qu'à venir, un jour de fantaisie,
A cacher ses habits au pied de ce bouleau,
Et, comme pour un bain, à descendre dans l'eau ;

Non pas en furieux, la tête la première;
Mais s'asseoir, regarder; d'un rayon de lumière
Dans le feuillage et l'eau suivre le long reflet;
Puis, quand on sentirait ses esprits au complet,
Qu'on aurait froid, alors, sans plus traîner la fête,
Pour ne plus la lever, plonger avant la tête.

C'est là mon plus doux vou, quand je pense à mourir.
J'ai toujours été seul à pleurer, à souffrir;

Sans un cœur près du mien j'ai passé sur la terre;
Ainsi que j'ai vécu, mourons avec mystère,
Sans fracas, sans clameurs, sans voisins assemblés.
L'alouette, en mourant, se cache dans les blés;
Le rossignol, qui sent défaillir son ramage,
Et la bise arriver, et tomber son plumage,
Passe invisible à tous comme un écho du bois :
Ainsi je veux passer. Seulement, un... deux mois,
Peut-être un an après, un jour... une soirée,
Quelque pâtre inquiet d'une chèvre égarée,
Un chasseur descendu vers la source, et voyant
Son chien qui s'y lançait sortir en aboyant,
Regardera la lune avec lui qui regarde
Éclairera ce corps d'une lueur blafarde;

Et soudain il fuira jusqu'au hameau, tout droit.
De grand matin venus, quelques gens de l'endroit,
Tirant par les cheveux ce corps méconnaissable,
Cette chair en lambeaux, ces os chargés de sable,
Mêlant des quolibets à quelques sots récits,
Deviseront longtemps sur mes restes noircis,
Et les brouetteront enfin au cimetière;

Vite on clouera le tout dans quelque vieille bière,
Qu'un prêtre aspergera d'eau bénite trois fois;
Et je serai laissé sans nom, sans croix de bois !

Et durant ces beaux plans d'un bonheur que j'espère,
Que devient, croyez-vous, et l'herbe sans vipère,
Et le zéphyr, et l'onde aux mobiles vitraux,
Et l'abeille qui chante et picore aux sureaux,
Et, de longs peupliers tout à l'entour voilée,
A gauche, au fond du bois, la tranquille vallée?

En m'en revenant un soir d'été

Vers neuf heures et demie.

Que faudrait-il, hélas! pour que cette grande âme
Reprît goût à la vie et ranimât sa flamme?
Jeune, comme il veillit! Comme il se traîne seul!
A le voir si voûté, l'on dirait un aïeul!

Il se ride, il jaunit, il penche vers la tombe;

Du front, chaque matin, une mèche lui tombe.

Sans doute, bien des coups, dès longtemps, l'ont blessé ; Son destin finira, tel qu'il a commencé,

Dans l'ennui, dans les pleurs; il connaît trop la vie,
Et combien tout est vain dans tout ce qu'on envie ;
Sans doute, il sait trop bien ce que valent de soins
La gloire, le bonheur, fantômes! Mais, au moins,

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Si quelque chose ici le consolait encore !
Car son génie ardent, chaque nuit, se dévore,
Comme la lampe, au soir, laissée en un caveau,
Sans qu'une vierge y verse un aliment nouveau.

Est-elle donc bien loin, la vierge, où donc est-elle,
Qui pourrait ranimer cette lampe immortelle ?...

Peut-être elle a passé, ce soir, tout près de lui,
Mais pour la lui montrer la lune n'a pas lui.
Peut-être, lorsqu'au parc il prit la grande allée,
Elle était sur sa route, assise et non voilée;
Mais, lui, marchait sans voir et le front soucieux,
Ou bien un éventail la cachait à ses yeux;
Un regard eût tout fait! Peut-être c'était celle
Que je vis l'autre jour, au lac, sur la nacelle.
Non pas qu'elle ait, je pense, un cœur capable, au fond,
De sentir le poète et son amour profond,

Qu'elle vaille bien mieux qu'Adèle ou que Fanie *,

Ni qu'elle entende fort ce que c'est que génie.

Mais elle est blonde et blanche; elle a le front brillant;

Et sa bouche, où scintille un ivoire riant,

Petite

*. C'est bien Fanie que l'on a droit d'écrire. Fanie, pavío en grec, veut dire proprement petite lumière, petit flambeau.

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