Images de page
PDF
ePub

Et pour plus aiguiser la flamme provocante,
Vous vous pariez le sein par un art diligent:
Tantôt l'onyx gravé figurait la Bacchante,
Tantôt l'épingle ouvrait son papillon d'argent *.

Six ans entiers, six ans, sans marchander ma peine,
Comme un chien aboyant suit le croissant qui fuit,
J'ai suivi ce dur sein, cette avare fontaine,
Ce beau fruit odieux dont l'éclat m'a séduit.

Il était si facile à celle qui m'embrase
D'apaiser mon supplice et de me faire heureux;
Il eût été si doux, dans la commune extase,
De s'enivrer à temps au rameau savoureux !

Tout disait de mourir, et les molles délices
Du fruit presque échappé de son réseau brillant,
Et la langueur du soir, la blancheur des calices
Que la rose affaiblie étale en s'effeuillant.

* Όρμοι δ' ἀμφ' ἁπαλῇ δειρῇ περικαλλέες ἦσαν, Καλοί, Χρύσειοι, παμποίκιλοι· ὡς δὲ σελήνη, Στήθεσιν ἀμφ' ἁπαλοῖσιν ἐλάμπετο, θαῦμα ιδέσθαι.

HOMERE, Hymne d Venus.

On demande pardon de tout ce grec; mais l'ambition de l'éditeur, il l'avoue, serait que cette Suite de Joseph Delorme sentît quelque peu son Anthologie.

L'automne laissait choir sa dernière corbeille;
Toute vie était lasse, et tout orgueil brisé;

Le vôtre est seul debout; comme au matin, il veille:
Vous portiez le bonheur, vous l'avez refusé.

Mais, vengeance et retour! et terme du martyre!
Tant et tant et si bien vous avez attendu,

Que le fruit s'est flétri: tout mon désir expire,
Madame, et je suis libre, et vous m'avez perdu.

La Suivante d'Emma *.

Ne sit ancillæ... amor pudori...

HORACE.

Emma, vous fûtes belle, et depuis Champmêlé
Rien de si cher que vous au public assemblé
Ne reçut chaque soir accueil plus unanime,
N'eut un accent plus tendre et plus de grâce intime,
Et ne fit naître à l'âme aussi touchante erreur;
Non!... et jamais Contat, Gaussin ou Le Couvreur
N'eurent autant qu'Emma d'artifice et d'empire
Pour ravir d'une larme et troubler d'un sourire;

*

N'est-ce point mademoiselle Mars, les soirs d'Hernani?

Nulle ne déploya des charmes plus aimés;

Beaucoup, blessés par vous, sans vous être nommés,
Sont morts; beaucoup en vain vous ont ouvert leur âme;
Des conquérants grondants, lions au cœur de flamme,
Ont gémi dans vos bras et baisé vos pieds nus;
Et maintenant, hélas! que les ans sont venus,
Que vos attraits s'en vont au vent qui les dévore,
Inimitable Emma, vous nous charmez encore:
Vous semblez par instants la même qu'autrefois;
Vos yeux encor sont doux, et jeune est votre voix ;
Votre front a gardé sa chevelure noire,
Votre main sa blancheur, et vos dents leur ivoire,
Et la nuit, au théâtre, un public enchanté
Avec illusion croit à votre beauté.

Mais bien tard, de plus près, quand derrière la scène,
La curiosité, jeunes gens, nous entraîne
(Car ce n'est plus l'amour) dans la loge, au boudoir,
Où se fait et défait la toilette du soir,

Que dirai-je? on vous voit, on aime à vous entendre;
On regrette tout bas ce que rien ne peut rendre;
On jouit des trésors de votre esprit charmant;
En vous on veut connaître un dernier monument
De l'âge qui n'est plus, d'un règne qui s'efface;

- Et pendant ce temps-là, souvent passe et repasse
Votre fraîche suivante, alerte, au pied glissant,
Fine de taille, à l'œil doux, furtif, agaçant,
Dont on ne sait le nom; elle tourne sans cesse
Détachant vos jayoux, vos robes de princesse,

Et sans bruit les emporte, et bientôt reparaît;
Et, tout la regardant, l'adolescent distrait

A peine vous répond,... car elle est jeune et belle;
Et, s'il revient demain, c'est peut-être pour elle.

I

« Je ne veux plus, je ne chercherai plus, » me disait-elle. Je répondais:

Amie, il faut aimer quand le feu couve encore
Et qu'une main fidèle en refait les apprêts;
Il faut rendre à l'autel ce qui tout bas dévore
Et qu'on regrette après.

Il faut aimer tandis que l'âme endolorie
N'a laissé qu'un éclair au front inaltéré,

Et qu'à de jeunes yeux l'amant soumis s'écrie:
«Par toi je revivrai! »

Amie, il faut aimer pour qu'à l'heure où tout passe, A l'âge où toutes fleurs quitteront le chemin, Dans les landes du soir en entrant, tête basse, Nous nous serrions la main.

Il faut aimer pour l'heure où les suprêmes transes
Dans un sein qui se brise éteindront les soupirs:
Le dernier nous rendra toutes les espérances
Et tous les souvenirs!

II

CHANSON.

Dans des coins bleus parsemés d'or
(Sans trop le dire)

Il faut qu'on cache âme et trésor,
Et doux martyre.

Quand tout déborde en l'univers,
Quand nul n'a honte;

Quand la rumeur sur tous concerts
Étouffe et monte;

Quand va l'injure au front d'acier
Et la huée,

Et la louange au plus grossier

Prostituée;

« PrécédentContinuer »