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Quand le talent trop virginal,
S'il ne renie,

S'il ne baise au pied l'infernal,
N'a qu'avanie;

Quand c'est le règne du méchant,
Ou du cupide,

Ou du cœur sourd pour qui le chant
N'est qu'un son vide;

Oh! s'il se peut, s'il est encor
Lieux où l'on fuie,

Dans des coins bleus parsemés d'or
Cachons la vie!

Moi, j'en sais un, bien bleu, bien pur,
Où Beauté siège,

Beauté sans fard, lys dans l'azur,
Candeur de neige.

Ou Reine ou Muse, essor de cœur
Et fantaisie !

Valmore y vient, comme une sœur
En poésie.

Là, chaque jour, je veux venir,
O Bien-aimée ;

Dans ton doux règne il faut tenir
L'âme enfermée;

Soumission, amour sans fin,

Joie ou martyre;

Pleurs sur les mains, pleurs sur un sein
Qui bas soupire.

III

Quand votre père octogénaire
Apprend que vous viendrez visiter le manoir,
Ce front tout blanchi qu'on vénère

De plaisir a rougi, comme d'un jeune espoir.

Ses yeux, où pâlit la lumière,

Ont ressaisi le jour dans un éclair vermeil,
Et d'une larme à sa paupière
L'étincelle allumée a doublé le soleil.

Il vous attend: triomphe et joie! Des rameaux sous vos pas! chaque marbre a sa fleur, Le parvis luit, le toit flamboie, Et rien ne dit assez la fête de son cœur.

Moi qui suis sans flambeaux de fête;

Moi qui n'ai point de fleurs, qui n'ai point de manoir, Et qui du seuil jusques au faîte

N'ornerai jamais rien pour vous y recevoir;

Qui n'ai point d'arbres pour leur dire

Ce qu'il faut agiter dans leurs tremblants sommets

Ce qu'il faut taire ou qu'il faut bruire;

Chez qui, même en passant, vous ne viendrez jamais;

Dans mon néant, ô ma Princesse,

Oh! du moins j'ai mon cœur, la plus haute des tours: Votre idée y hante sans cesse;

Vous entrez, vous restez, vous y montez toujours.

Là, dans l'étroit et sûr espace

Vous monterez sans fin par l'infini degré,
Amie, et si vous êtes lasse,

Plus haut, montant toujours, je vous y porterai **.

IV

Plus que narcisse et pâle tubéreuse,

Plus que blanc nénuphar aux troublantes odeurs, Doux sont à l'âme, après l'absence affreuse,

* Se rappeler le vers de Théocrite dans l'Oaristys: Αλλάλαις λαλέοντι τεὸν γάμον αἱ κυπάρισσοι.

Cette pièce a été publiée dans je ne sais plus lequel de mes volumes de prose et glissée au bas d'une page sous le couvert d'un autre nom, comme j'ai fait souvent. Elle est de moi, de ce moi défunt que j'appelle Joseph Delorme.

L'heureux retour et l'haleine amoureuse
De ma Beauté, la plus chaste des fleurs,

Parfum léger qui dit d'abord : C'est elle!
Petit parfum qu'on distingne entre tous,
Qu'à chaque brise on sent venir vers nous,
Qu'on voit sortir de la tige fidèle :
L'air s'en embaume, et connaît l'Immortelle.

Mais qui dira l'autre parfum caché,
Parfum mortel et d'amères délices,
Qui fait pâlir nénuphars et narcisses?
Oh! l'amant seul, à vos genoux penché,
Sait le mystère et garde les supplices :
Au fond de lui, c'est la fleur de désir,
Par vous craintive, et si close au plaisir !

V

Comment chanter quand l'Amie est en pleurs,
En pleurs ardents, en cuisantes douleurs?
Quand l'insomnie

A son chevet, comme pour l'insulter,
Chaque nuit, dresse une image bannie,
Comment chanter?

D'un court sommeil quand un odieux rêve
Toujours l'éveille, et debout la soulève;
Pâleur de mort!

Quand, plus étreint que ce vieillard de Troie,
Sous deux serpents son noble cœur se tord
Comme une proie;

Tenant sa main que je n'ose baiser,
Dans ma tendresse essayant d'apaiser
Son âpre veine,

Quand j'ai senti passer un brusque effroi,
Et ce beau sein ressaisi d'une peine

Qui n'est pas moi,

Comment chanter?

Mais si la belle aimée

S'est adoucie et par degrés calmée;

Si sa pâleur

N'est plus qu'un charme où sourit l'amour même; Sans s'irriter, si sa molle douleur

Permet Je t'aime!

Si son regard le plus lent, le plus fin,
Envoie au mien, dans un oubli divin,
L'âme sacrée,

Et si sa lèvre, enflant ses beaux trésors,
Semble mûrir pour l'heure désirée,

On chante alors;

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