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VIII

SONNET.

Une soirée encore était presque passée :
Je ne la voyais plus que devant des témoins;
Sous ces yeux étrangers, oh! si nos yeux du moins
Pouvaient en doux éclairs s'envoyer la pensée!

J'étais loin, je me lève; elle, plus empressée,
Et dans son propre ennui devinant tous mes soins,
D'un trait et sans quitter l'aiguille aux mille points,
Prend la chaise et tout contre à ses pieds l'a placée;

Et quand, l'instant d'après, je cherche où me rassoir,
Du regard et du doigt où l'aiguille étincelle,
Sa grâce m'a fait signe, et me voilà près d'elle!

Nos regards retrouvés s'oubliaient à se voir;
Et toujours, cependant, allaient ses doigts de fée,
Piquant dans le satin la rosette étoffée.

IX

A une amazone.

Dans ces essors fougueux d'un galop insensé
Où va, soir et matin, votre coursier lancé,
Dans ces fuites sans fin sur la pâle bruyère,
Vous vous croyez bien chaste, Amazone si fière !
Pourtant dans les hasards de cet emportement
J'ai, Madame, un rival, vous avez un amant...

-Et qui donc? - Le ZEPHYRE. Oh! non ce zéphyr tendre,
Fade, et que sans sourire on ne peut plus entendre,
Ce zéphyr des boudoirs, des bosquets de Paphos,
Ce badin langoureux éteint sous des pavots;

Non, mais le grand ZEPHYRE, à l'aile tiède, immense,
D'Aquilon et d'Eurus le rival en puissance,

Avant que dans Paphos il fût efféminé;

Aux flots d'Egée aussi par les Dieux déchaîné;
Fraîchissant, frissonnant, s'égayant dans l'aurore *,
A soupirs redoublés battant le lac sonore,

Horrificans Zephyrus proclivas incitat undas.

CATULLE.

Et HOMERE, Odyssée, liv. 11, vers 121; IV, 402; ▼, 295, et en vingt autres endroits,

Ακραῆ Ζέφυρον κελάδοντ ̓ ἐπὶ οἴνοπα πόντον.

Sous la chaude nuée emplissant tous les airs,
Enflant d'aise et d'amour la cavale aux déserts,
Et qui luttant sur toi dans ta rapide ivresse,

Sur ton front, sur ton sein, sur ton voile en détresse,
T'apporte obscurément délire et volupté,

A toi qui te crois chaste, ô si fière Beauté !

X

A elle, qui était allée entendre des scènes
de l'opéra d'Orphée.

Tandis que vous alliez ouïr les pleurs d'Orphée
Et que Gluck vous ouvrait son royaume infini,
Moi, j'allais égarant ma douleur étouffée,
Et, par la sombre nuit, j'errais comme un banni.

Sous un croissant moqueur qui sourit avec ruse,
Pareil au chien d'Hécate aboyant longuement,
J'allais jetant ma plainte à la cité confuse,
Et criant: « Je suis seul et ne suis plus amant! >>

Ces pleurs que vous versiez sur la fable sacrée
Et pour une Ombre vaine évanouie au jour,
Je les ai demandés d'une lèvre altérée,
Au nom d'un véritable et d'un vivant amour.

Ce que l'art vous apprend et le chant vous révèle
De ces veuves douleurs d'un cœur inconsolé,
Cet obstiné sanglot d'une plainte immortelle,
Je vous l'ai fait entendre, et n'ai rien éveillé.

En me voyant gémir, votre froide paupière
M'a refermé d'abord ce beau ciel que j'aimais.
Comme aux portes d'Enfer à vos lèvres de pierre
Vous m'avez opposé pour premier mot Jamais!

Oh! ne le croyez pas, que de tels mots s'oublient,
Ni que l'amitié calme y fonde ses douceurs;
Ils sont âpres et durs les seuls nœuds qui me lient;
Ils s'useront peut-être, et les Dieux sont vengeurs.

Mais ce n'est point vengeance ici que je réclame;
Loin de moi de prétendre offenser ni toucher!
J'exhale amèrement la peine de mon âme,
Je l'exhale sans charme, et me plains au rocher.

ΧΙ

SONNET.

Osons tout et disons nos sentiments divers :

Nul moment n'est plus doux au cœur mâle et sauvage Que lorsqu'après des mois d'un trop ingrat servage, Un matin, par bonheur, il a brisé ses fers.

La flèche le perçait et pénétrait ses chairs,
Et le suivait partout; de bocage en bocage
Il errait. Mais le trait tout d'un coup se dégage;
Il le rejette au loin, tout sanglant, dans les airs.

O joie! ô cri d'orgueil! ô liberté rendue!
Espace retrouvé! courses dans l'étendue!
Que les ardents soleils l'inondent maintenant!

Comme un guerrier mûri que l'épreuve rassure,
A mainte cicatrice ajoutant sa blessure,
Il porte haut la tête et triomphe en saignant.

Répit.

Otez, ôtez bien loin toute grâce émouvante,
Tous regards où le cœur se reprend et s'enchante
Otez l'objet funeste au guerrier trop meurtri!
Ces rencontres, toujours ma joie et mon alarme,
Ces airs, ces tours de tête, ô Femmes, votre charme;
Doux charme, par où j'ai péri!

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