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REPRISE.

I

C'est fait, mon Cœur, quittons la liberté!
ETIENNE DE LA BOÉTIE, Sonnets.
Si faut-il une fois brûler d'un feu durable.
LA FONTAINE, Élég. 11.

N'avoir qu'un seul désir, n'aimer qu'un être au monde,
L'aimer d'amour ardente, idéale et profonde;

Voir presque tous les jours, et souvent sans témoins,
Cette beauté, l'objet de mes uniques soins;
Lui parler longuement des doux secrets de l'âme,
De l'une et l'autre vie; et, sitôt que la flamme
Qui sort de son regard s'est trop mêlée au mien,
Ralentir tout à coup le rapide entretien ;
Sous ma paupière en pleurs noyer mon étincelle;
Refouler les torrents de mon cœur qui ruisselle;
Me taire, ou lui parler d'un accent moins aimant,
De peur de donner jour à l'attendrissement;

Ou bien quand, près de moi, muette, indifférente,
Elle livre au hasard sa rêverie errante,

Moi devant qui toujours elle est seule, elle est tout,
Être là comme un meuble, en silence, debout;
N'oser, même d'un mot, ramener sa pensée,
Mais grossir lentement ma douleur amassée,

Et quand j'ai le cœur plein, sortir au désespoir,
Sortir, pour que peut-être elle songe, le soir,
Que je fus bien distrait, bien ennuyé près d'elle,
Pour que je lui paraisse un ami peu fidèle,

Et que, si quelque absence un jour nous séparait,
A m'oublier longtemps elle ait moins de regret;
Vivre ainsi, se gêner, mentir à ce qu'on aime;
Enchaîner cet aveu qui vole de lui-même;
Mordre sa lèvre en sang, pétrifier ses yeux;
En pâlir, en mourir,...

et sentir que c'est mieux !

II

Oh! que son jeune cœur soit paisible et repose! Que rien n'attriste plus ses yeux bleus obscurcis ! Pour Elle le sourire ou les larmes sans cause! Pour moi les vrais soucis!

Pour moi le sacrifice et sa brûlante veille,
Le silence et l'ennui de ne rien exprimer,
Comme au novice amant qui croit que c'est merveille
Qu'on puisse un jour l'aimer!

Pour moi, lorsqu'en passant son frais regard m'attire
Et dit avec bonheur: Ami, ne viens-tu pas ?
Pour moi, comme un fardeau, d'hésiter à lui dire
Mon cœur et ses combats,

De moins souvent mêler mon haleine à la sienne,
Et le soir, à l'abri du monde et des rivaux,
De n'oser éclairer sa tendresse ancienne

A des rayons nouveaux!

Pour moi de ne plus lire à sa face pâlie
Les signes orageux d'un céleste avenir!
Pour Elle les trésors de la mélancolie,
La paix du souvenir;

Le bonheur souverain de gouverner une âme,
De la sentir, à soi, muette, à son côté;

Des gazons sous ses pas, et son pur front de femme
Dans la sérénité;

Un sommeil sans remords avec l'essaim fidèle
Et les songes légers d'un amour sans effroi!
Amour! abeille d'or! oh! tout le miel pour Elle,
Et l'aiguillon pour moi!

III

Mercredi, six heures du soir, en face de la pièce d'eau.

Mon âme est ce lac même où le soleil qui penche, Par un beau soir d'automne, envoie un feu mourant; Le flot frissonne à peine, et pas une aile blanche, Pas une rame au loin n'y joue en l'effleurant;

Tout dort, tout est tranquille; et le cristal limpide, En se refroidissant à l'air glacé des nuits,

Sans écho, sans soupir, sans un pli qui le ride, Semble un miroir tout fait pour les pâles ennuis.

Mais ne sentez-vous pas, Madame, à son silence,
A ses flots transparents de lui-même oubliés,
A sa calme étendue où rien ne se balance,
Le bonheur qu'il éprouve à se taire à vos pieds,

A réfléchir en paix le bien-aimé rivage,
A le peindre plus pur en ne s'y mêlant pas,
A ne rien perdre en soi de la divine image
De Celle dont sans bruit il recueille les pas?

IV

Comme au matin l'on voit un Essaim qui butine
S'abattre sur un Lys immobile et penché:
La tige a tressailli, le calice s'incline,
Et s'incline avec lui tout le trésor caché;

Et tandis que l'Essaim des abeilles ensemble
Pèse d'un poids léger et blesse sans douleur,
De la pure rosée incertaine et qui tremble
Deux gouttes seulement s'échappent de la fleur.

Ce sont tes pleurs d'hier, tes larmes adorées,
Quand sur ce front pudique, interdit au baiser,
Mes lèvres (oh! pardonne!) avides, altérées,
Ont osé cette fois descendre et se poser:

Ton beau cou s'inclina, ta brune chevelure
Laissa monter dans l'air un parfum plus charmant;
Mais quand je m'arrêtai contemplant ta figure,
Deux larmes y coulaient silencieusement.

V

SONNET.

Que vient-elle me dire, aux plus tendres instants,
En réponse aux soupirs d'une âme consumée,
Que vient-elle conter, ma folle Bien-Aimée,
De charmes défleuris, de ravages du temps,

De bandeaux de cheveux déjà moins éclatants?
Qu'a-t-elle à me montrer sur sa tête embaumée
Comme un peu de jasmin dans l'épaisse ramée,
Quelques rares endroits pâlis dès le printemps?

Qu'a-t-elle? dites-moi; fut-on jamais plus belle?
Le désir la revêt d'une flamme nouvelle;

Sa taille est de quinze ans, ses yeux gagnent aux pleurs;

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