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Mais une veste en cuir, où vite il écrivait,
Sur les bords et partout, sitôt qu'il le trouvait,
Beau mot cicéronien, ou beau vers de canzone

XIV

My shame in crowds, my solitary pride.
GOLDSMITH, The deserted village.

Jeune, avide, inconnu, j'ai désiré la gloire,
J'ai voulu quelque éclat à mon front ennobli;
Puis, quand j'eus obtenu plus que je n'osais croire,
J'ai soudain demandé l'oubli.

J'ai fait, pour regagner l'obscurité première,
Le contraire des forts et des cœurs glorieux :
Je me suis tu longtemps, j'ai caché la bannière
Qu'appelaient déjà bien des yeux.

J'ai fui mon nom redit et le bruit déjà proche,
Aussi prompt, je crois bien, qu'un autre, aux jours passés,
Que voulaient faire évêque Aquilée, Antioche,

Fuyait les peuples empressés.

*Ce détail est historique, comme on le peut lire dans le Nouveau traité de diplomatique des Bénédictins.

J'ai fui du nid qu'on guette et du buisson qui chante;
J'ai laissé mon sentier de peur qu'on le connût;
Et dans la foule entré, dans la poudre mouvante,
L'un de tous, j'ai payé tribut.

Et ce n'est plus qu'au soir, par la lande secrète,
Sous les rares croissants, qu'au verger désiré,
A l'ermitage en fleurs, Vaucluse du poète,
J'ai repris le rêve sacré,

Trompant l'œil curieux, le passant qui m'effraie,
Qui, dès qu'il sait sa route à quelque frais réduit,
Passe auprès chaque fois, et secouant la haie,
Réclame, comme un droit, son fruit;

Non pas au moins, non pas qu'entre tous il vous aime,
Non qu'il vive des sucs arrosés de vos pleurs;
Car au détour de là, tous fruits, les moindres même,
Lui sont aussi bons ou meilleurs.

Or, si j'étais ainsi, quand par pudeur pour elle
La Muse me vouait aux seuls échos des bois,
Qu'est-ce donc à présent qu'un tendre amour s'y mêle
Et qu'un nom tremble dans ma voix?

O sainte Poésie, intime, et qu'il faut taire,

Belle aujourd'hui pour une..., un jour pour quelques-uns, Mon secret devant tous, mon orgueil solitaire,

Amour a doublé tes parfums!

Aussi je viens à toi, mais plus timide encore,
De moi laissant au monde un spectre sans chanson,
Une ombre qui sourit : l'âme a suivi l'aurore
Et se renferme en son buisson.

Au loin l'air retentit; l'orme superbe expose
Mille prix disputés à ses rameaux pendants;
Le buisson s'épaissit d'une fleur longtemps close,
Qui ne se penche qu'en dedans.

Hélas! et bien souvent en vain elle se penche,
Car Celle qui devait à temps la respirer,
Craintive, ne vient pas, et la rose trop blanche
Aura passé sans enivrer.

Poésie odorante, immobile et pâlie!

Berceau tout d'épaisseur, et d'ombre, et de gazon!
Blancheur que nul zéphyr n'essuie et ne déplie!
Rosée où ne boit nul rayon!

Oh! puisse-t-il un jour, si chéri dans son ombre,
Berceau qui nous aura, tous deux, si peu reçus,
Sous ses rameaux baissés, toujours clos au grand nombre,
Mais des vrais amants aperçus,

Puisse-t-il immortel, dans sa fleur encor rare,
Peindre aux tendres heureux nos noms avec honneur,
Et par nos chants si doux sous le sort qui sépare,
Leur dire d'aimer leur bonheur !

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Si quelque blâme, hélas! se glisse à l'origine
En ces amours trop chers où deux cœurs ont failli,
Où deux êtres, perdus par un baiser cueilli,
Sur le sein l'un de l'autre ont béni la ruine;

Si le monde, raillant tout bonheur qu'il devine,
N'y voit que sens émus et que fragile oubli;
Si l'Ange, tout d'abord se voilant d'un long pli,
Refuse d'écouter le couple qui s'incline;

Approche, ô mon Amie, approche encor ton front,
Serrons plus fort nos mains pour les ans qui viendront :
La faute disparaît dans sa constance même.

Quand la fidélité, triomphant jusqu'au bout,
Luit sur des cheveux blancs et des rides qu'on aime,
Le Temps, vieillard divin, honore et blanchit tout!

XVI

Qui sapit in tacito gaudeat ille sinu.
TIBULLE.

. fut heureux en silence.

ANDRÉ CHÉNIER.

Non, je ne chante plus... L'oiseau sous le feuillage
Aux instants les plus doux n'a de chants ni de voix;
Perdu dans son bonheur comme en un saint orage,
Il a peur d'éveiller l'écho jaloux des bois.
Il soupire, il se tait; il palpite, il expire;
Il ne confierait pas au plus voisin zéphire
Le moindre son brillant pour être rapporté;
Tout son souffle amoureux est à la volupté.
Que lui font les concerts des hôtes du grand chêne,
Tous ces gosiers rivaux chantant à pleine haleine,
Bruyants et glorieux, purs favoris de l'art,
Ou ceux dans leur buisson qui chantent à l'écart?
Que lui fait qu'on le croie absent ou mort lui-même ?
Que, ne l'entendant pas, on ignore qu'il aime,
Et qu'on dise en riant qu'il s'est évanoui?

Si le bonheur nous prend, taisons-nous aujourd'hui !
Ton sein contre le mien, ô ma belle oppressée,
Comme un calice plein gardons notre pensée!
Ta voix qui balbutie est douce en se brisant,
Et ta lèvre me parle un parler suffisant.

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