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Loisirs et souvenirs viendront trop tôt, je pense;
Trop tôt le sort fâcheux, l'empêchement, l'absence
(Oh! jamais la froideur, jamais !), mais l'âge enfin,
Nous sèvreront du bien, seul réel et divin!
Que ferons-nous alors, mon âme? Que ferai-je,
Sinon de déployer ce qu'aujourd'hui j'abrège,
De rouvrir en pleurant tous mes bonheurs secrets,
Et, n'en jouissant plus, de les chanter après *?

XVII

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Printemps qui sitôt rachète
Les mois perdus et les ans !
Fraîcheur facile et parfaite
Au sortir des maux pesants!
Germes que la terre enfante,
Désirs dont l'âme s'enchante,

« Je n'ai jamais conçu l'amour sans le mystère, et là où était le mystère, là pour moi déjà était l'amour. » (Pensées de Joseph Delorme.)

Mimnerme,

Κρυπταδιὴ φιλότης, a dit

Mimnerme, ce huitième Sage de la Grèce,

celui qu'on aurait droit d'appeler le Sage du plaisir.

Après d'amères rigueurs!
Prompt oubli dans la vallée,
Source en nous renouvelée,
Rajeunissement des cœurs!

Hier la grêle et la tempête
Sur nous roulaient en éclats;
Aujourd'hui nous avons fête
Dans la plaine des lilas *.
La sève, un temps endormie,
Partout monte, ô mon Amie,
Et va féconder l'été.

Tes pleurs coulent, même signe!
Comme les pleurs de la vigne,
Ce n'est que luxe et beauté.

Combien tient-il de jeunesses
Dans un seul cœur de mortel?
Combien de fois les promesses
Nous font-elles arc-en-ciel?
Jusqu'à ce que l'ombre règne,
Et que la vieillesse éteigne
Ces flambeaux qu'Amour ornait;
Jusqu'à ce que le mystère
De la tombe nous enserre
Sous le gazon qui renaît !

* Probablement Romainville. Il y avait encore un Romainville en ce temps-là.

XVIII

Brune aux yeux bleus, superbe au regard tendre,
Pourquoi mêler des dons à séparer,

Un charme double à qui sait le comprendre?...
Non, ce n'est pas guérir, c'est enivrer!

L'échanson noir, dans le festin antique,
Versait un vin sombre et noir comme lui;
Le blond enfant, à la blanche tunique,
Verse un vin clair pour le cœur réjoui.

Mais si tous deux, dans une même coupe,
Versaient ensemble avec un soin jaloux...
Brune aux yeux bleus, ah! ce philtre qu'on coupe,
Et qu'on redouble, est un poison trop doux!

XIX

D'autres amants ont eu, dans leur marche amoureuse,
Les sentiers plus fleuris, la trace plus heureuse,
Plus facile et riante et conforme au plaisir,

Les lieux de rendez-vous qu'ils se pouvaient choisir,
En des berceaux couverts, ou le long des allées,

Conviaient, conduisaient leurs attentes voilées, Leur envoyaient au front mille et mille senteurs, Et faisaient autour d'eux les oiseaux plus chanteurs. Tantôt, en plein midi, quand la chasse brillante, En feu sous le soleil et déjà ruisselante,

N'avait d'yeux qu'à la meute et qu'au cerf relancé,
La beauté, comme lasse, au franchir d'un fossé,
S'égarait, et glissait du palefroi fidèle

Dans les bras de celui qui ne suit que pour elle;
Et l'aboiement lointain, la fanfare et les cris,
N'étaient plus qu'un accord à des soupirs chéris.
Tantôt, bien tard, au ciel quand la lune se lève,
L'amante qu'on espère, accomplissant le rêve,
Apparaissait penchée à son balustre d'or;

Et ses cheveux pendants, et tout ce blond trésor,
Ses mains, et ses parfums, et sa molle caresse,
Comme à l'Endymion qu'effleure la déesse,
Allaient, et, se teignant dans l'astre aux pâles flots,
Pleuvaient sur le plus cher des tendres Roméos.
Tantôt le gris matin et l'aube qu'on devine
Voyaient dans la vapeur courir une ombre fine,
Et la porte du parc avait crié bien bas;...
Ou vers le pavillon, plutôt, tournant ses pas,
Vers le kiosque orné qui donne sur la route,
Elle allait la rosée, en perles, goutte à goutte
Emaillait ses cheveux, et noyait le satin
De ses pieds qui froissaient la lavande et le thym;
Et si, des grands bosquets côtoyant la lisière,
Un obstacle a saisi sa robe prisonnière,

C'était, pour tous retards semés en si beau lieu, Quelque buisson de rose au piédestal d'un dieu. Nous, ce n'est pas ainsi!

Quand la rare quinzaine,

Après maint contre-temps, se répare et ramène
La douceur de se voir, je vais longeant exprès,
Au lieu des quais voisins, ouverts et peu secrets,
La rue où sans soleil la pauvreté s'entasse,
Et plus sûr que par là nul ne dira ma trace;
Je vais, et pour témoins de l'espoir qui me luit,
Pour arbres et buissons, je n'ai que le réduit
De l'humaine misère, et des figures mortes
Aspirant un peu d'air sur le devant des portes;
Des enfants, que Lycurgue eût d'abord rejetés,
Jouant, tout maladifs, en bruyantes gaietés;
Des femmes dont le port promet qu'elles sont belles,
Mais dont l'œil et la joue et les maigreurs cruelles
Accusent le dur sort où s'appauvrit leur sang;
La dispute parfois et le cri glapissant,

Parfois un fol éclat qui non moins me déchire,
Et là, là même aussi, l'amour et le sourire.
Ainsi, sans rien laisser, pauvres hommes, de nous,
J'arrive, en méditant à mon bien le plus doux,
Jusqu'à la tour, encor sur pied, par où s'atteste
L'hôtel des vieux Capets dans son unique reste,
Tour aujourd'hui perdue, étouffée entre murs,
Logeant, au lieu des rois, bien des hôtes obscurs,
Des hôtes seulement de métier et de peine;

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