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Qu'au moins abrité sous la grange

Qui domine la plaine, à cette horreur étrange, Aux flots grossis, fouettés des vents,

Au déchirement des nuées,

Au son des cloches remuées,

Des cloches des hameaux au plus lointain du ciel, A ces beautés je m'esjouisse *

Jusqu'à ce que, gagnant par degrés, s'épaississe Un voile d'ombre universel!

Oui, tant qu'Avril qui recommence,
Doux Soir, épandra sa semence

Et sa senteur en pluie à tes cheveux épars;
Tant qu'aux longs jours où tu recules,

L'Été ménagera tes douteux crépuscules
Et s'égaiera sous tes retards;

Tant qu'après ses grappes vermeilles
Automne emplira tes corbeilles

Lentement, à regret, des couronnes des bois;
Tant que de son tapis blanchâtre

Hiver amortira tes pas, et près de l'âtre
Consolera tous tes effrois :

*

Éjouir, ou plutôt esjouir, vieux mot que réjouir ne remplace pas.

Aussi longtemps, belle Vesprée,
Invoquant ton heure assurée,
L'Amitié qui sourit, l'Etude au chaste front,
La Sagesse sensible encore,
La Fantaisie errante et qui de jour s'ignore,
Soir, ces doux hôtes t'aimeront!

Aussi longtemps l'Amour qui mêle
Aux courts plaisirs l'âme immortelle,
Ira par tes Édens méditer ses secrets :
Puisse-t-il jamais dans l'absence

Ne languir trop sevré de ta sainte puissance,
Plus sainte à l'ombre des forêts!

XXI

Le long de cette verte et sereine avenue,
Derrière, à droite, au fond, laissant la tour connue
Et le bois protecteur où nous venons d'errer,
Sans trop voir Saint-Mandé qui doit nous ignorer,
Tandis que devant nous la prochaine Barrière,
Bizarrement dressée en colonnes de pierre,
Annonce aux yeux la ville, et dit de loin qu'il faut,
Pauvres amants heureux, nous séparer bientôt,

Durant ces courts moments d'une plus calme ivresse,
Redoublant de lenteur sous le soleil qui baisse,
Dans ce silence ému, dans nos regards de feu,
A ton bras, Ange aimé, sais-tu quel est mon vou?
Mon vou, c'est que l'allée au lent retour propice,
Ces maisons de côté que le rosier tapisse,

Ces petits seuils riants sans un œil curieux,
Ces arbres espacés où règne l'air des cieux,
Tout cela dure et gagne en longueur infinie;
Que par l'enchantement de quelque bon Génie,
A mesure que fuit derrière abandonné

Le beau bois verdoyant, de sa tour couronné,
Abaissant à nos yeux ses colonnes d'Hercule,
L'idéale Barrière elle-même recule;
Et nous irions ainsi sans jamais approcher!
Le soleil cependant viendrait de se coucher,
Et le soir faisant signe aux timides étoiles
Baignerait au couchant la frange de ses voiles:
Mais, sous les cieux rougis ou sous le dais du soir,
Nous, bien qu'un peu lassés, sans rien apercevoir,
Sans dire que c'est long ni presser le mystère,
Nous irions, nous irions, bienheureux sur la terre,
Jouissant de l'air pur, de parler, de rêver,
Et croyant vaguement à la longue arriver.
Et Lénore pourtant, notre bonne déesse,

Qui jamais ne se plaint, mais quelquefois nous presse,
Au large devant nous, grave et d'un pas royal,
Comme dans les jardins de quelque Escurial,
Son parasol ouvert, marcherait sous la lune,

Sans troubler d'un seul mot l'illusion commune.
Et le soir redoublant d'astres et de beautés,
Et l'univers confus nageant dans des clartés,
Nous aussi de langueur baignés par tous nos pores,
Sans plus comprendre rien aux couchants, aux aurores,
Aux terrestres chemins où s'attardent nos pieds,
A pas toujours plus lents, l'un sur l'autre appuyés,
Mollement nous irions, perdus dans la pensée
Que l'heure du retour n'est pas encor passée.
Et sans douleur pour nous la fatigue croîtrait;
Et tout bruit, toute ville au loin disparaîtrait;
Et sous les blancs rayons l'avenue éternelle,
Au gré de notre pâle et mourante prunelle,
Ferait luire en tremblant, comme entre des cyprės,
De purs tombeaux d'albâtre et mille gazons frais;...
Jusqu'à ce que Lénore y glissant la première,
Nous la suivions bientôt sur l'herbe sans poussière,
Inséparable couple, expirant et brisé,

Enchaînant dans nos bras le temps éternisé!

XXII

(Il y faudrait de la musique de Gluck.)

Laissez-moi! tout a fui. Le printemps recommence;
L'été s'anime, et le désir a lui;
Les sillons et les cœurs agitent leur semence.
Laissez-moi! tout a fui.

Laissez-moi! dans nos champs, les roches solitaires, Les bois épais appellent mon ennui.

Je veux, au bord des lacs, méditer leurs mystères, Et comment tout m'a fui.

Laissez-moi m'égarer aux foules de la ville!
J'aime ce peuple et son bruit réjoui;
Il double la tristesse à ce cœur qui s'exile,
Et pour qui tout a fui.

Laissez-moi! midi règne, et le soleil sans voiles
Fait un désert à mon œil ébloui.
Laissez-moi! c'est le soir, et l'heure des étoiles.
Qu'espérer? tout a fui.

Oh! laissez-moi, sans trêve, écouter ma blessure,
Aimer mon mal et ne vouloir que lui!
Celle en qui je croyais, Celle qui m'était sûre...
Laissez-moi! tout a fui!

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