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Il est doux, quoi qu'on dise, avec celle qui charme
D'échanger plus d'un mot, de croiser plus d'une arme,
De parler gloire et Grèce et Rome, et cætera.
Pourvu qu'en tous propos la grâce insinuante
Mêle je ne sais quoi de Ninon souriante,
Que Dacier toujours ignora.

On écoute, on s'enflamme. A vous sur toute chose La politique plaît, et pour vous plaire on ose; Sur un fond de désir je m'y sens animer;

Pitt ou Thiers, peu m'importe, et ma verve est rapide... Tout d'un coup un regard humide

Avertit tendrement qu'il est temps de s'aimer.

Sonnet..

A la comtesse Marie.

Αλλος γάρ τ' ἄλλοισιν ἀνὴρ ἐπιτέρπεται ἔργοις.

HOMERE, Odyssée, XIV.

Trahit sua quemque voluptas.

VIRGILE.

Le vieux coursier hennit aux escadrons fumants;
Le vieux nocher s'émeut au murmure de l'onde;
Napoléon captif, s'il regardait le monde,

Lui lançait, dit Victor, de longs rayonnements.

Moi dont l'humble bonheur n'eut que de courts moments
Et de qui le destin moins hautement se fonde,

Si le frais souvenir m'offre une tresse blonde,
Mon œil a retrouvé ses éblouissements.

Ainsi quand je vous vis du premier jour, Madame,
Une boucle brillait sur votre joue en flamme;
Il m'en était resté comme un éclair lointain.

J'ai retrouvé

Mais voilà que tardif, vous revoyant encore, boucle aussi fraîche qu'Aurore, Et le même rayon s'y jouait ce matin.

Sonnet.

A Marie dite La Petite Bohême.

Un or frisé de maint crespe anelet.

RONSARD.

Ces beaux petits cheveux aux doux flots ondulés,
Rebelles à la main, à l'ongle qui s'y joue,
Qui veulent s'échapper tout le long de la joue,
Oh! laissez-les courir! oh! laissez, laissez-les!

Tout frisés par nature et d'un tour fin roulés, Sans qu'un réseau les serre ou qu'un ruban les noue, Oh! laissez-les ainsi! La grâce les avoue;

Pétrarque les eût dits crêpés ou crêpelés *.

Telle sur la colline, aux courses de Vaucluse, La fontaine en courant, la Nymphe qui s'amuse Laisse parfois un flot s'enfuir hors de son lit;

Ou telle, au pied des monts, votre aimable Corrèze Oublie à travers champs, dans les fleurs ou la fraise, Quelque frais ruisselet dont le pré s'embellit.

Le Bouquet.

Tout passe, tout renaît; le printemps recommence : Il rend la joie au monde et la vie à nos sens. Marie, au boulevard, a remplacé Clémence : Bouquetière de mai doit n'avoir que quinze ans.

* C'est par ces termes de crespés, crespelės, que les poètes du seizième siècle traduisent volontiers les gentillesses de Pétrarque sur les cheveux de sa Laure.

Bouton qui s'ouvre à peine, et qui promet la rose, Tuviens t'offrir à nous, et tu nous dis : « Cueillez ! Cueillez, il en est temps: même avant d'être éclose, Souvent la fleur échappe aux rameaux dépouillés.

Toute fleur de beauté n'a que de courts passages;
Jouissons, jouissons de l'heure et du rayon :
C'est ce qu'ont, de tout temps, répété les plus sages,
Et Marion le sait autant qu'Anacreon.

Quand, ta rose à la main, tu prends ma boutonnière,
Poursuivant le passant de ton joli caquet,
Je dis « Fi d'une fleur, gentille bouquetière!
J'achète la corbeille et veux tout le bouquet;

« Je veux ta lèvre fraîche et ta gorge brillante,
Les parfums naturels qu'exhalent tes cheveux,
Le noeud prompt et léger que fait ta main coulante...
Vite un bouquet, Marie ! et viens le faire à deux *. »

* Mais, en fait de Bouquetière, voici ce que j'aime mieux et qui est du Joseph Delorme en prose:

Traduit (ou censé traduit) d'une épigramme de l'Anthologie:

« Charmante Bouquetière, qui es toi-même comme une fleur riante dans l'avenue des Tombeaux, tu m'offres chaque fois que je passe une couronne, et chaque fois je la prends et j'en décore le marbre de celle que je pleure et qui ornait de sa tendresse mes dernières et pâlissantes sai

A la comtesse Marie.

Lu le 31 décembre à minuit.

Heureux qui dans Tibur, sous ses triples fontaines,
Sous l'arc-en-ciel en feu des bruissantes eaux,
Sous les grands châtaigniers des Collines romaines,
Sur les flancs reverdis des éternels tombeaux,
Grandeurs à ravir même une âme délaissée,
Heureux qui, dans ces lieux, doubla votre pensée
Et fit les cieux plus beaux!

Et dans Lucques encore, et tout près aux Cascines,
Quand s'ouvre avec l'été la galerie en fleur,
Quand les odeurs des pins et les odeurs marines
Et la brise du soir confondent leur fraîcheur,
Ame en tous lieux de soins et d'amitié bercée,
Heureux qui, parmi tous, tenait votre pensée,
Y faisant le bonheur !

sons. Et ce n'est pas moi seulement; tous ceux qui passent comme moi veulent prendre de tes mains les fleurs. Jamais les morts chéris, jamais les mortes, les amantes même les plus pleurées, n'ont été honorées plus pieusement; jamais elles n'ont reçu plus de fleurs fidèles en toute saison, et jusque dans l'hiver de l'année, que depuis que toi, la fraiche Bouquetière, comme le plus léger des printemps, tu es assise, guirlandes et couronnes en main, au seuil des tombeaux. »>

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