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La foule riante et sereine

Ne voit rien ou regarde ailleurs;
L'élu que le génie entraîne

Est toujours, sans qu'on le comprenne,
En butte aux profanes railleurs.

De nuit, sur une tour obscure,
Et sous la bise qui sifflait,
Lorsqu'un fantôme à lourde armure,
Poussant un lugubre murmure,
Fit trois fois signe au jeune Hamlet,

D'abord Hamlet, hors de lui-même,
Recule, puis, le glaive en main,
Revient et suit, hagard et blême,
Ce spectre qu'il craint et qu'il aime,
Et qui lui montre son chemin ;

Il le suit le long des murailles,
Entre avec lui dans la forêt,
Arrive au champ des funérailles,
Et là s'émurent ses entrailles
En entendant l'affreux secret.

Le matin sa face pâlie

Marquait un sinistre tourment;

Chacun déplora sa folie,

Et la désolée Ophélie

Ne reconnut plus son amant.

Tel est le destin du poète :
Errer ici-bas égaré;

Invoquer le grand Interprète;
Écouter la harpe secrète,

Et se mirer au lac sacré !

Sonnet.

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d'Aline,
Débordant le bandeau qui les voile à nos yeux,
Baignent des deux côtés ses sourcils gracieux:
Tel un double ruisseau descend de la colline.

Et sa main, soutenant ce beau front qui s'incline,
Aime à jouer autour, et dans les flots soyeux
A noyer un doigt blanc, et l'ongle curieux
Rase en glissant les bords où leur cours se dessine.

Mais, au sommet du front, où le flot séparé
Découle en deux ruisseaux et montre un lit nacré,
Là, je crois voir Amour voltiger sur la rive,

Nager la Volupté sur deux vagues d'azur,
Ou sur un vert gazon, sur un sable d'or pur,
La Rêverie assise, aux yeux bleus et pensive.

Bonheur champêtre.

A mon ami E. T. de La R.

Lorsqu'un peu de loisir me rend à la campagne,
Et qu'un beau soir d'automne, à travers champs, je gagne
Les grands bois jaunissants;

Que le bruit de mes pas sur les feuilles séchées,
Réveillant mille voix en mon âme cachées,
Berce et calme mes sens;

Que je songe au bonheur, à ce flottant nuage
Qu'un rayon de soleil de loin dore au passage
Et qu'emporte le vent;

Que je songe à la vie, à ces jeunes années
Si fraîches d'espérance et si vite fanées;
Souvent, alors, souvent,

Las de m'être égaré de clairière en clairière
Et d'avoir du long bois côtoyé la lisière,
Si soudain au détour

J'aperçois, sur le seuil d'une cabane blanche,
A table, un vigneron, joyeux comme au dimanche,
Et ses fils alentour,

Je me dis: « O bonheur ! pourtant j'en étais digne !
A l'ombre d'un pommier, au pied de cette vigne,
Et sous ce petit mur,

Quelques amis, l'étude, à mon âme calmée
Suffisaient; oui, c'est là près d'une épouse aimée
Qu'il fallait vivre obscur. >>

Je dis, et, tout marchant, je caresse mon rêve:
Ma femme est jeune et belle, et son amour m'élève
Des fils qui me sont chers;

Ma maison au hameau, parmi toutes, est celle
Où vous voyez un toit dont l'ardoise étincelle
Et des contrevents verts.

Les matins de printemps, quand la rosée enivre
Le gazon embaumé, je sors avec un livre
Par la porte du bois;

Les soirs d'hiver, autour du foyer qui pétille,
A haute voix je lis à ma jeune famille
Les récits d'autrefois.

Les champs, l'obscurité, des enfants, une femme,
Nul regret du passé, nul désir en mon âme!...
Ainsi je vais rêvant...

Mais j'ai vu du faubourg fumer les cheminées;
J'ai regagné la ville aux nuits illuminées
Et le pavé mouvant.

Adieu l'illusion! Qu'elle était vaine et folle!
Ce souffle matinal, ce parfum qui s'envole,
Ce gazon du chemin,

Cette main à baiser, à presser dans la mienne,
Tout cela, pour un jour, c'est enivrant; mais vienne,
Vienne le lendemain,

L'amour passe; et la fleur, où d'abord l'œil se pose,
Pâlit sous le regard et n'est plus une rose;

Le calice a jauni.

Et puis, quand l'homme est seul, loin du bruit et du monde, Du profond de son cœur plus haut s'élève et gronde

La voix de l'Infini.

Parle, que nous veux-tu, voix puissante et bizarre?
Tantôt c'est un soupir, tantôt une fanfare,
Un chant, un cri de nuit;

Tantôt j'entends des chars emportés par les fées,
Et tantôt c'est la Gloire agitant des trophées
Qui passe et qui s'enfuit.

L'enclos qu'on aimait tant devient triste; on dessine
Un palais fantastique, et, comme aux jours d'Alcine,
Des lieux d'enchantement;

Et bientôt, pour saisir la proie insaisissable,
En idée on franchit monts et plaines de sable
Sur un coursier fumant.

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