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vera, par exemple, dans les canons de Nicée, dans la décrétale de saint Léon 2, dans les autres décrets de l'Église, que les passages de l'Écriture, sur laquelle on fonde la prohibition de l'usure pour les ecclésiastiques, regardent égale ment tous les chrétiens : il faudra donc conclure, dès-là, que l'on a voulu faire une obligation spéciale aux clercs de ce qui étoit d'ailleurs établi par les règles communes de l'Évangile : vous ne vous tromperez pas en tirant dans le même cas une conséquence semblable des canons où les spectacles sont défendus à tout l'ordre ecclésiastique; et le canon du concile de Tours, que nous avons rapporté, vous en sera un grand exemple.

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spectateurs oisifs. La raison de ce philosophe étoit qu'en contrefaisant ou en imitant quelque chose, on en prenoit l'esprit et le naturel : on devenoit esclave avec un esclave; vicieux avec un homme vicieux; et surtout, en représentant les passions, il falloit former au dedans celles dont on vouloit porter au dehors l'expression et le caractère. Le spectateur entroit aussi dans le même esprit : il louoit et admiroit un comédien qui lui causoit ces émotions; ce qui, continue-t-il, n'est autre chose que « d'arroser de mauvaises herbes » qu'il falloit laisser entièrement dessécher. » Ainsi, tout l'appareil du théâtre ne tend qu'à faire des hommes passionnés, et à fortifier « cette par>> tie brute et déraisonnable, » qui est la source de toutes nos foiblesses. Il concluoit donc à rejeter tout ce genre « de poésie voluptueuse, qui, » disoit-il, est capable seule de corrompre les » plus gens de bien. »

15. Par ce moyen, il poussoit la démonstration jusqu'au premier principe, et ôtoit à la comédie tout ce qui en fait le plaisir, c'est-à-dire le jeu des passions. On rejette en partie sur les libertés et les indécences de l'ancien théâtre les invectives des Pères contre les représentations et les

14. On dit qu'il faut bien trouver un relâchement à l'esprit humain, et peut-être un amusement aux cours et au peuple. Saint Chrysostôme répond 3 que, sans courir au théâtre, nous trouverons la nature si riche en spectacles divertissants, et que d'ailleurs la religion et même notre domestique sont capables de nous fournir tant d'occupations où l'esprit se peut relâcher, qu'il ne faut pas se tourmenter pour en chercher davantage : enfin, que le chrétien n'a pas tant besoin de plaisir, qu'il lui en faille pro-jeux scéniques. On se trompe, si on veut parler curer de si fréquents et avec un si grand appareil. Mais si notre goût corrompu ne peut plus s'accommoder des choses simples, et qu'il faille réveiller les hommes gâtés par quelques objets d'un mouvement plus extraordinaire; en laissant à d'autres la discussion du particulier, qui n'est point de ce sujet, je ne craindrai point de prononcer qu'en tout cas il faudroit trouver des relâchements plus modestes, des divertissements moins emportés. Pour ceux-ci, sans parler des Pères, il ne faut, pour les bien connoître, consulter que les philosophes. « Nous ne recevons, » dit Platon ", ni la tragédie nila comédie dans » notre ville. » L'art mème qui formoit un comédien à faire tant de différents personnages lui paroissoit introduire dans la vie humaine un caractère de légèreté indigne d'un homme, et directement opposé à la simplicité des mœurs. Quand il venoit à considérer que ces personnages, qu'on représentoit sur les théâtres, étoient la plupart ou bas ou même vicieux, il y trouvoit encore plus de mal et plus de péril pour les comédiens, et il craignoit que « l'imitation ne les >> amenat insensiblement à la chose même 5. » C'étoit saper le théâtre par le fondement, et lui ôter jusqu'aux acteurs, loin de lui laisser des

'Can. XVII; tom. 11 Concil. col. 38.

-3

de la tragédie : car ce qui nous reste des anciens païens en ce genre-là (j'en rougis pour les chrétiens) est si fort au-dessus de nous en gravité et en sagesse, que notre théâtre n'en a pu souffrir la simplicité. J'apprends même que les Anglois se sont élevés contre quelques uns de nos poëtes, qui, à propos et hors de propos, ont voulu faire les héros galants, et leur font pousser à toute outrance les sentiments tendres. Les anciens, du moins, étoient bien éloignés de cette erreur, et ils renvoyoient à la comédie une passion qui ne pouvoit soutenir la sublimité et la grandeur du tragique et toutefois ce tragique, si sérieux parmi eux, étoit rejeté par leurs philosophes. Platon ne pouvoit souffrir les lamentations des théâtres, qui « excitoient, dit-il', et flattoient en »> nous cette partie foible et plaintive, qui s'é>> panche en gémissements et en pleurs. » Et la raison qu'il en rend, c'est qu'il n'y a rien sur la terre ni dans les choses humaines, dont la perte mérite d'être déplorée avec tant de larmes. Il ne trouve pas moins mauvais qu'on flatte cette autre partie plus emportée de notre ame, où règnent l'indignation et la colère : car on la fait trop émue pour de légers sujets. La tragédie a donc tort, et donne au genre humain de mauvais exemples, lorsqu'elle introduit les hommes et 2 Ep. 1, univ. Ep. | même les héros ou affligés ou en colère, pour

per Camp. etc. cap. 11. - Homil. xxxvii, al. xxXVIII in Matt. n. 6; tom. vii, pag. 422, 423. - De Repub. lib. 11, 11. - Ibid.

De Rep. lib. 111. X.

des biens ou des maux aussi vains que sont ceux
de cette vie; n'y ayant rien, poursuit-il, qui
doive véritablement toucher les ames, dont la na- |
ture est immortelle, que ce qui les regarde dans
tous leurs états, c'est-à-dire, dans tous les siècles
qu'elles ont à parcourir. Voilà ce que dit celui
qui n'avoit pas ouï les saintes promesses de la
vie future, et ne connoissoit les biens éternels
que par des soupçons ou par des idées confuses :
et néanmoins il ne souffre pas que la tragédie
fasse paroître les hommes ou heureux ou mal-
heureux par des biens ou des maux sensibles:
« tout cela, dit-il ', n'est que corruption: » et
les chrétiens ne comprendront pas combien ces
émotions sont contraires à la vertu !

philosophe trouvoit si indigne, qu'il ne lui eût fallu que cette raison pour condamner la comédie.

18. Quoique Aristote son disciple aimât à le contredire, et qu'une philosophie plus accommodante lui ait fait attribuer à la tragédie une manière, qu'il n'explique pas ', de purifier les passions en les excitant (du moins la pitié et la crainte), il ne laisse pas de trouver dans le théâtre quelque chose de si dangereux, qu'il n'y admet point la jeunesse pour y voir ni les comédies ni même les tragédies 2, quoiqu'elles fussent aussi sérieuses qu'on le vient de voir; parcequ'il faut craindre, dit-il, les premières impressions d'un âge tendre que les sujets tragiques auroient trop ému. Ce n'est pas qu'on y jouât alors, comme parmi nous, les passions des jeunes gens: nous avons vu à quel rang on les reléguoit; mais c'est en général, que des pièces d'un si grand mouvement remuoient trop les passions, et qu'elles représentoient des meurtres, des ven

dont ce philosophe ne vouloit pas que la jeunesse entendit seulement parler, bien loin de les voir si vivement représentés et comme réalisés sur le théâtre.

16. La comédie n'est pas mieux traitée par Platon que la tragédie. Si ce philosophe trouve si foible cet esprit de lamentation et de plainte que la tragédie vient émouvoir, il n'approuve pas davantage « cette pente aveugle et impétueuse à se » laisser emporter par l'envie de rire, que la comédie remue. Ainsi la comédie et la tragé-geances, des trahisons et d'autres grands crimes die, le plaisant de l'un et le sérieux de l'autre, sont également proscrits de sa république, comme capables d'entretenir et d'augmenter ce qu'il y a en nous de déraisonnable. D'ailleurs, les pièces comiques étant occupées des folies et des passions de la jeunesse, il y avoit une raison particulière de les rejeter; « de peur, disoit-il 3, qu'on ne >> tombât dans l'amour vulgaire : » c'est-à-dire, comme il l'expliquoit, dans celui des corps, qu'il oppose perpétuellement à l'amour de la vérité et de la vertu. Enfin aucune représentation ne plaisoit à ce philosophe, parcequ'il n'y en avoit point « qui n'excitât ou la colère, ou l'amour, ou quel-passions? Mais laissons, si l'on veut, à Aristote » que autre passion. »

17. Au reste, les pièces dramatiques des anciens, qu'on veut faire plus licencieuses que les nôtres, et qui l'étoient en effet jusqu'aux derniers excès dans le comique, étoient exemptes du moins de cette indécence qu'on voit parmi nous, d'introduire des femmes sur le théatre. Les païens mêmes croyoient qu'un sexe consacré à la pudeur ne devoit pas ainsi se livrer au public, et que c'étoit là une espèce de prostitution. Ce fut aussi à Platon une des raisons de condamner le théâtre en général '; parceque la coutume régulièrement ne permettant pas d'y produire les femmes, leurs personnages étoient représentés par des hommes, qui devoient, par conséquent, non seulement prendre l'habit et la figure, mais encore exprimer les cris, les emportements et les foiblesses de ce sexe ce que ce

De Rep. lib. x. 2 Ibid. De Legib. lib. VI. - De Rep. ib. x. - Ibid. lib. 111.

Je ne sais pourquoi il ne vouloit pas étendre plus loin cette précaution. La jeunesse et même l'enfance durent long-temps parmi les hommes: ou plutôt on ne s'en défait jamais entièrement : quel fruit, après tout, peut-on se promettre de la pitié ou de la crainte qu'on inspire pour les malheurs des héros, si ce n'est de rendre à la fin le cœur humain plus sensible aux objets de ces

cette manière mystérieuse de les purifier, dont ni lui ni ses interprètes n'ont su encore donner de bonnes raisons: il nous apprendra du moins qu'il est dangereux d'exciter les passions qui plaisent; auxquelles on peut étendre ce principe du même philosophe, que « l'action suit de » près le discours, et qu'on se laisse aisément » gagner aux choses dont on aime l'expression :>> maxime importante dans la vie, et qui donne l'exclusion aux sentiments agréables qui font maintenant le fond et le sujet favori de nos pièces de théâtre.

19. Par un principe encore plus universel, Platon trouvoit tous les arts qui n'ont pour objet que le plaisir, dangereux à la vie humaine; parcequ'ils vont le recueillant indifféremment des sources bonnes et mauvaises, aux dépens de tout et mème de la vertu, si le plaisir le de

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saints Pères, qui ont essuyé de pareilles difficultés de la bouche des défenseurs des spectacles, nous ont ouvert le chemin pour leur répondre que les délectables représentations qui intéressent les hommes dans des inclinations vicieuses, sont proscrites avec elles dans l'Écriture. Les immodesties des tableaux sont condamnées par tous les passages où sont rejetées en général les choses déshonnêtes : il en est de même des représentations du théâtre. Saint Jean n'a rien oublié, lorsqu'il a dit : « N'aimez point le » monde, ni ce qui est dans le monde : celui

» en lui; car tout ce qui est dans le monde est >> concupiscence de la chair, ou concupiscence » des yeux, ou orgueil de la vie; laquelle con» cupiscence n'est point de Dieu, mais du mon» de. » Si la concupiscence n'est pas de Dieu, la délectable représentation qui en étale tous les attraits n'est non plus de lui, mais du monde, et les chrétiens n'y ont point de part.

mande. C'est encore un nouveau motif à ce philosophe pour bannir de sa république les poëtes comiques, tragiques, épiques, sans épargner ce divin Homère, comme ils l'appeloient, dont les sentences paroissoient alors inspirées: cependant Platon les chassoit tous, à cause que, ne songeant qu'à plaire, ils étalent également les bonnes et les mauvaises maximes; et que sans se soucier de la vérité, qui est simple et une, ils ne travaillent qu'à flatter le goût et la passion, dont la nature est compliquée et variable. C'est pourquoi « il y a, dit-il 2, une ancienne antipathie entre » les philosophes et les poëtes: » les premiers» qui aime le monde, l'amour du Père n'est point n'étant occupés que de la raison, pendant que les autres ne le sont que du plaisir. Il introduit donc les lois, qui à la vérité renvoient ces derniers avec un honneur apparent, et je ne sais quelle couronne sur la tête, mais cependant avec une inflexible rigueur, en leur disant Nous ne pouvons endurer ce que vous criez sur vos théâtres, ni dans nos villes écouter personne qui parle plus haut que nous. Que si telle est la sévérité des lois politiques, les lois chrétiennes souffriront-elles qu'on parle plus haut que l'Évangile? qu'on applaudisse de toute sa force, et qu'on attire l'applaudissement de tout le public à l'ambition, à la gloire, à la vengeance, au point d'honneur, que Jésus-Christ a proscrit avec le monde? ou qu'on intéresse les hommes dans des passions qu'il veut éteindre? Saint Jean crie à tous les fidèles et à tous les âges : « Je vous » écris, pères, et à vous, vieillards; je vous écris, » jeunes gens; je vous écris, enfants; chrétiens, » tant que vous êtes, n'aimez point le monde; » car tout y est ou concupiscence de la chair, ou >> concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie. » Dans ces paroles, et le monde, et le théâtre qui en est l'image, sont également réprouvés : c'est le monde, avec tous ses charmes et toutes ses pompes, qu'on représente dans les comédies. Ainsi, comme dans le monde, tout y est sensualité, curiosité, ostentation, orgueil; et on y fait aimer toutes ces choses, puisqu'on ne songe qu'à y faire trouver du plaisir.

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Saint Paul aussi a tout compris dans ces paroles 2 : « Au reste, mes frères, tout ce qui est » véritable, tout ce qui est juste, tout ce qui » est saint (selon, le grec, tout ce qui est chaste,

tout ce qui est pur), tout ce qui est aimable, » tout ce qui est édifiant; s'il y a quelque vertu >> parmi les hommes, et quelque chose digne de » louange dans la discipline, c'est ce que vous >> devez penser: »tout ce qui vous empêche d'y penser, et qui vous inspire des pensées contraires, ne doit point vous plaire, et doit vous être suspect. Dans ce bel amas de pensées que saint Paul propose à un chrétien, qu'on trouve la place de la comédie de nos jours, quelque vantée qu'elle soit par les gens du monde.

Au reste, ce grand silence de Jésus-Christ sur les comédies me fait souvenir qu'il n'avoit pas besoin d'en parler à la maison d'Israël, pour laquelle il étoit venu, où ces plaisirs de tout temps n'avoient point de lieu. Les Juifs n'avoient de spectacles pour se réjouir que leurs fêtes, leurs sacrifices, leurs saintes cérémonies: gens simples et naturels par leur institution primitive, ils n'avoient jamais connu ces inventions de la Grèce : et après ces louanges de Balaam 3, « Il n'y a » point d'idole dans Jacob, il n'y a point d'au»gure, il n'y a point de divination, »> on pouvoit encore ajouter : Il n'y a point de théâtres, il n'y a point de ces dangereuses représentations : ce peuple innocent et simple trouve un assez agréable divertissement dans sa famille parmi ses enfants: c'est où il se vient délasser à l'exemple de ses patriarches, après avoir cultivé ses -Num. XXIII. 21, 23.

I. Joan. 11. 13. - ' Philipp. IV. 8.

inutilités dans leurs écrits: Et, leur disoit-il', je vous prie « qu'on ne rende point agréable ce

terres ou ramené ses troupeaux, et après les autres soins domestiques qui ont succédé à ces travaux; et il n'a pas besoin de tant de dépenses ni» qui est inutile: Ne faciant delectabilia quæ de si grands efforts pour se relâcher.

C'étoit peut-être une des raisons du silence des apôtres, qui, accoutumés à la simplicité de leurs pères et de leur pays, n'étoient point sollicités à reprendre en termes exprès, dans leurs écrits, des pratiques qu'ils ne connoissoient pas dans leur nation: il leur suffisoit d'établir les principes qui en donnoient du dégoût : les chrétiens savoient assez que leur religion étoit fondée sur la judaïque, et qu'on ne souffroit point dans l'Église les plaisirs qui étoient bannis de la Synagogue: quoi qu'il en soit, c'est un grand exemple pour les chrétiens, que celui qu'on voit dans les Juifs; et c'est une honte au peuple spirituel, de flatter les sens par des joies que le peuple charnel ne connoissoit pas.

21. Il n'y avoit parmi les Juifs qu'un seul poëme dramatique, et c'est le Cantique des cantiques. Ce cantique ne respire qu'un amour céleste : et cependant, parcequ'il y est représenté sous la figure d'un amour humain, on défendoit la lecture de ce divin poëme à la jeunesse aujourd'hui on ne craint point de l'inviter à voir soupirer des amants pour le plaisir seulement de les voir s'aimer, et pour goûter les douceurs d'une folle passion. Saint Augustin met en doute, s'il faut laisser dans les églises un chant harmonieux, ou s'il vaut mieux s'attacher à la sévère discipline de saint Athanase et de l'Eglise d'Alexandrie, dont la gravité souffroit à peine, dans le chant ou plutôt dans la récitation des Psaumes, de foibles inflexions: tant on craignoit, dans l'Église, de laisser affoiblir la vigueur de l'ame par la douceur du chant. Je ne rapporte pas cet exemple pour blâmer le parti qu'on a pris depuis, quoique bien tard, d'introduire les grandes musiques dans les églises pour ranimer les fidèles tombés en langueur, ou relever à leurs yeux la magnificence du culte de Dieu, quand leur froideur a eu besoin de ce secours. Je ne veux done point condamner cette pratique nouvelle par la simplicité de l'ancien chant, ni même par la gravité de celui qui fait encore le fond du service divin je me plains qu'on ait si fort oublié ces saintes délicatesses des Pères, et que l'on pousse si loin les délices de la musique, que, loin de les craindre dans les cantiques de Sion, on cherche à se délecter de celles dont Babylone anime les siens. Le même saint Augustin reprenoit des gens qui étaloient beaucoup d'esprit à tourner agréablement des

'Conf. lib. x, cap. xxx111; tom. 1, col. 187.

:

» sunt inutilia: » maintenant on voudroit permettre de rendre agréable ce qui est nuisible; et un si mauvais dessein, dans la Dissertation, n'a pas laissé de lui concilier quelque faveur dans le monde.

22. Il est temps de la dépouiller de l'autorité qu'elle a prétendu se donner par le grand nom de saint Thomas et des autres saints. Pour saint Thomas, on oppose deux articles de la question de la modestie extérieure2; et on dit qu'il n'y a rien de si exprès que ce qu'il enseigne

en faveur de la comédie. Mais d'abord il est bien certain que ce n'est pas ce qu'il a dessein de traiter. La question qu'il propose dans l'article second est à savoir s'il y a des choses plaisantes, joyeuses, ludicra, jocosa, qu'on puisse admettre dans la vie humaine, tant en actions qu'en paroles, dictis seu factis: en d'autres termes, s'il y a des jeux, des divertissements, des récréations innocentes : et il assure qu'il y en a, et même quelque vertu à bien user de ces jeux, ce qui n'est point révoqué en doute et dans cet article il n'y a pas un seul mot de la comédie : mais il y parle en général des jeux nécessaires à la récréation de l'esprit, qu'il rapporte à une vertu qu'Aristote a nommée eutrapelia3, par un terme qu'il nous faudra bientôt expliquer.

Au troisième article, la question qu'il examine est à savoir s'il peut y avoir de l'excès dans les divertissements et dans les jeux : et il démontre qu'il peut y en avoir, sans dire encore un seul mot de la comédie au corps de l'article, en sorte qu'il n'y a là aucun embarras.

Ce qui fait la difficulté, c'est que saint Thomas, dans ce même article, se fait une objection, qui est la troisième en ordre, où, pour montrer qu'il ne peut y avoir d'excès dans les jeux, il propose l'art des baladins, histrionum, histrions, comme le traduisent quelques uns de nos auteurs, qui ne trouvent point dans notre langue de terme assez propre pour exprimer ce mot latin; n'étant pas même certain qu'il faille entendre par-là les comédiens. Quoi qu'il en soit, saint Thomas s'objecte à lui-même que dans cet art, quel qu'il soit et de quelque façon qu'on le tourne, on est dans l'excès du jeu, c'est-à-dire du divertissement, puisqu'on y passe la vie; et néanmoins la profession n'en est pas blåmable. A quoi il répond, qu'en effet elle n'est pas blåmable, pourvu qu'elle garde les règles qu'il lui prescrit,

1 De Anima, et ejus orig. lib. 1, n. 3; tom. x, col. 339. 22. 2. q. CLXVIII, art, 2 et 3. — De Mor. lib. 1v, cap. XIV,

« qui sont de ne rien dire et ne rien faire d'illi- | décrédités, et peut-être renversés entièrement. » cite, ni rien qui ne convienne aux affaires et Ils se relevèrent quelque temps après sous une >> au temps: »> et voilà tout ce que l'on tire de ce autre forme, dont il ne s'agit pas ici, mais, saint docteur en faveur de la comédie. comme l'on ne voit pas que saint Thomas en ait fait aucune mention, l'on peut croire qu'ils n'étoient pas beaucoup en vigueur de son temps, où l'on ne voit guère que des récits ridicules d'histoires pieuses, ou en tout cas certains jongleurs, joculatores, qui divertissoient le peuple, et qu'on prétend à la fin que saint Louis abolit, par la peine qu'il y a toujours à contenir de telles gens dans les règles de l'honnêteté.

23. Mais afin que la conclusion soit légitime, il faudroit, en premier lieu, qu'il fût bien certain que, sous le nom d'histrions, saint Thomas eût entendu les comédiens : et cela, loin d'être certain, est très faux; puisque sous ce mot d'histrions il comprend manifestement un certain joueur, joculator, qui fut montré en esprit à saint Paphnuce, comme un homme qui l'égaloit en vertu. Or, constamment ce n'étoit pas un comédien, mais un simple « joueur de flûte qui » gagnoit sa vie à cet exercice dans un village, » in vico: » comme il paroît par l'endroit de la vie de ce saint solitaire, qui est cité par saint Thomas'. Il n'y a donc rien, dans ce passage, qui favorise les comédiens : au contraire, on peut remarquer que Dieu voulant faire voir à un grand saint que dans les occupations les plus vulgaires il s'élevoit des ames cachées, d'un rare mérite, il ne choisit pas des comédiens, dont le nombre étoit alors si grand dans l'empire, mais un homme qui gagnoit sa vie à jouer d'un instrument innocent: qui encore se trouva si humble, qu'il se croyoit le dernier de tous les pécheurs, à cause, dit-il, que de la vie des voleurs il avoit passé à cet état honteux, fœdum artificium comme il l'appeloit: non qu'il y eût rien de vicieux, mais parceque la flùte étoit parmi les anciens un des instruments les plus méprisés : à quoi il faut ajouter qu'il quitta ce vil exercice aussitôt qu'il eut reçu les instructions de saint Paphnuce et c'est à quoi se réduit cette preuve si décisive, qu'on prétend tirer de saint Thomas à l'avantage de la comédie.

24. Quoi qu'il en soit, en troisième lieu, il ne faut pas croire que saint Thomas ait été capable d'approuver les bouffonneries dans la bouche des chrétiens, puisque, parmi les conditions sous lesquelles il permet les réjouissances, il exige, entre autres choses, « que la gravité n'y soit pas » entièrement relâchée; ne gravitas animæ to» taliter resolvatur'. » Il faudroit donc, pour tirer de saint Thomas quelque avantage, faire voir, par ce saint docteur, que cette condition convienne aux bouffonneries poussées à l'extrémité dans nos théâtres, où l'on en est comme enivré; et prouver que quelque reste de gravité s'y conserve encore parmi ces excès. Mais saint Thomas est bien éloigné d'une doctrine si absurde, puisqu'au contraire dans son commentaire sur ces paroles de saint Paul : « Qu'on n'entende » point parmi vous de saleté, turpitudo ; de pa» roles folles, stultiloquium; de bouffonneries, » scurrilitas2; » il explique ainsi ces trois mots : « L'apôtre, dit-il 3, exclut trois vices, tria vitia » excludit la saleté, turpitudinem, qui se » trouve in tactibus turpibus et amplexibus et » osculis libidinosis, » car c'est ainsi qu'il l'explique « les folles paroles, stultiloquium; Secondement, lorsqu'il parle dans cet endroit c'est-à-dire, continue-t-il, celles qui provodu plaisir que ces histrions donnoient au peuple »quent au mal, verba provocantia ad malum: en paroles et en actions, il ne sort point de l'i- » et enfin les bouffonneries, scurrilitatem; dée des discours facétieux accompagnés de gestes » c'est-à-dire, poursuit saint Thomas, les paroplaisants : ce qui est encore bien éloigné de la » les de plaisanterie, par lesquelles on veut comédie. On n'en voit guère en effet, et peut- » plaire aux autres: » et contre lesquelles il alêtre point, dans le temps de ce saint docteur. lègue ces paroles de Jésus-Christ en saint MatDans son livre sur les Sentences, il parle lui- thieu : « On rendra compte à Dieu de toute même des « jeux du théâtre comme de jeux qui » parole oiseuse: id est verbum joculatorium >> furent autrefois : ludi qui in theatris ageban-» per quod volunt inde placere aliis: De omni » tur 2: » et dans cet endroit, non plus que dans » verbo otioso, etc. » tous les autres où il traite des jeux de son temps, les théâtres ne sont pas seulement nommés. Je ne les ai non plus trouvés dans saint Bonaventure son contemporain. Tant de décrets de l'Église et le cri universel des saints Pères les avoit

Vit. Patr. Ruf. in Paphn. cap. xvI. Hist. Laus. c. LXIII. -In 4. dist. XVI, q. IV, art. 2. c.

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:

Il compte donc manifestement ces trois choses parmi les vices, tria vilia, et reconnoît un vice ou une malice particulière dans les paroles par lesquelles on veut plaire aux autres et les faire rire, distincte de celle des paroles qui portent au

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