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Vous ne vous trompez pas de croire qu'il y a beaucoup de choses dans la vie des saints, que l'on y a mises avec peu de choix mais vous pourriez vous tromper, et en trouver basses quelques unes, où il y a un trait secret de Dieu, qui les relève. On n'est pas obligé à tout croire; mais il est bon de laisser passer ce qui choque, en prenant soigneusement ce qui édifie. Éprouvez tout, dit saint Paul ', et retenez ce qui est bon. Quand Dieu me donnera quelque chose sur les sujets que vous me marquez, je vous le donnerai de même, comme venant de cette source: en attendant, je vous assure qu'ayant soumis vos dispositions au jugement de celui qui vous tient la place de Dieu sur la terre, vous devez, en attendant la résolution, approcher de lui sans hésiter, avec la même liberté et confiance. Je prie notre Seigneur qu'il soit avec vous.

A Germigny, ce 2. mai 1686.

cœur, prendre de bonnes résolutions pour en venir à la pratique, et surtout beaucoup prier Dieu, qui nous les inspire, de nous en donner l'accomplissement.

Je trouve ordinairement beaucoup de foiblesse à tant distinguer l'essence et les attributs de Dieu: on est bien éloigné des vues simples, quand on fonde son oraison sur ces distinctions. En un mot, tout ce qui unit à Dieu, tout ce qui fait qu'on le goûte, qu'on se plaît en lui et qu'on se repose en lui, qu'on se réjouit de sa gloire et de sa félicité, et qu'on l'aime si purement qu'on en fait la sienne; et que non content des discours, ni des pensées, ni des affections, ni des résolutions, on en vient solidement à la pratique de se détacher de soi-même et des créatures; tout cela est bon, tout cela est la vraie oraison.

Il faut surtout observer de ne pas tourmenter sa tête, ni même de ne pas trop exciter son cœur; mais de prendre ce qui se présente à la vue de l'ame; et sans ces efforts violents, qui sont plus imaginaires que véritables et fonciers, se laisser doucement attirer à Dieu. S'il reste Sur la meilleure manière de faire l'oraison; les règles quelque goût sensible, on peut le prendre comme qu'on doit suivre à l'égard du prochain, le dégagement en passant et sans s'en repaître; et aussi, sans le des créatures, et la modération dans les pratiques exté-rejeter avec tant d'effort, le laisser couler, et s'é

rieures.

LETTRE II.

Pour commencer, ma Fille, par vos demandes sur l'oraison, il me faudroit un loisir que je n'ai pu trouver pour y répondre exactement : il faudroit même auparavant avoir su de vous certaines choses, qui ne se peuvent guère éclaircir que par une conférence. Néanmoins, pour ne vous pas laisser tout-à-fait en suspens, je vous dirai qu'il me paroit dans la dévotion d'à présent un défaut sensible; c'est qu'on parle trop de son oraison et de son état. Au lieu de tant demander les degrés d'oraison, il faudroit, sans tant de réflexions, faire simplement l'oraison selon que Dieu le donne, sans se tourmenter à discourir dessus.

Je ne vois rien qui m'apprenne qu'on soit toujours en même état, ni qu'on ait une manière d'oraison fixe. Le Saint-Esprit jette les ames tantôt en bas, tantôt en haut. Tantôt il semble les porter à la perfection, tantôt les réduire, et comme les rappeler au commencement. Il n'y a qu'à se conformer, dans ses changements, à la disposition où il nous met, et en tout suivre son attrait.

Quand les considérations se présentent, il faut les prendre, pourvu qu'elles soient bonnes : quand, sans tant de réflexions, on est pris comme soudainement d'une vérité, il faut y attacher son

I. Thess. v. 21. 11.

couler soi-même en Dieu et en son éternelle vérité par le fond de l'ame, aimant Dieu, et non pas le goût qu'on en a, sa vérité, et non pas le plaisir qu'elle nous donne.

Lorsqu'on dit qu'on est sans actes, il faut bien prendre garde à ce qu'on entend par actes; car assurément quand on parle ainsi, le plus souvent on ne sait ce qu'on dit. Tout cela, ma Fille, doit être éclairci de vive voix, et seroit trop long à écrire. Au surplus, suivez, sans hésiter, la voie

que

Dieu vous ouvre; ne souhaitez pas un plus haut degré d'oraison, pour être plus unie à Dieu; mais souhaitez d'être unie de plus en plus à Dieu, et qu'il vous possède et vous occupe; et que vous soyez autant à lui par votre consentement, que vous êtes à lui par le droit suprême qu'il a sur vous par la création et par la rédemption.

A l'égard des créatures, je vous donne pour règle assurée de n'avoir égard au prochain, que pour éviter de le mal édifier: du reste, qu'il pense ou ne pense pas, cela vous doit être indifférent par rapport à vous, quoique vous deviez souhaiter, par rapport à lui, qu'il pense bien. Undes moyens dont Dieu se sert pour nous détacher de la créature, c'est de nous y faire éprouver toute autre chose que ce que nous souhaitons et voudrions y trouver; afin que par ces expériences de la créature, nous rompions tout attachement avec elle, et que nous nous rejetions en plein abandon vers celui qui est toute bonté,

toute sagesse, toute justice, toute perfection. | perfection ne consiste pas; mais faire chaque Amen, amen.

En voilà assez, quant à présent: voilà le plus important; le reste ne se peut traiter que dans une conversation, sous les yeux de Dieu. J'ajouterai seulement qu'il y a souvent beaucoup d'illusion à multiplier les pratiques extérieures: il y faut garder de certaines bornes qu'il n'est pas aisé de donner; et il me semble en général que vous y donnez un peu trop : c'est de quoi il faudra parler plus à fond.

chose en union avee Dieu par Jésus-Christ.

Sur votre confession, vous prierez Dieu qu'il vous pardonne; et afin de recevoir ses lumières, vous lirez attentivement le chapitre x11 de saint Jean avec un profond étonnement sur l'incrédulité du monde, et sur l'inutilité de la foi dans un si grand nombre de chrétiens. Et en vous en faisant l'application à vous-même, appliquez-vous aussi avec attention au règne de Jésus-Christ et à son triomphe. Parfumez ses pieds et sa tête, et priez-le de vous faire entendre quels parfums vous y devez employer. Mandez-moi à votre grand loisir ce que cette lecture aura produit; elle fait trembler, elle console; elle fait je ne sais quoi dans certains cœurs qui ne se peut bien exprimer; et un mélange si simple de tant de divers sentiments, qu'on s'y perd.

Je reçois les deux petits vœux: pour le dernier, je ne puis aller si vite que vous souhaitez; outre qu'il y a dans le vôtre quelque chose qu'il faut expliquer plus distinctement, pour ne point causer dans la suite, quand il les faudroit faire, des

Contentez-vous des communions que vous faites n'ajoutez point d'austérités à celles que j'ai approuvées. Ne faites point de vœux nouveaux, que je ne les aie bien examinés. Je prie Dieu qu'il soit avec vous: je n'ai rien trouvé que de bien dans votre retraite; je ferai réflexion sur la fin. Au reste, comme je vois que vous écrivez les oraisons que vous faites, afin que j'en juge, je l'approuve pour cette fois; mais je ne crois pas qu'il faille s'occuper de son oraison jusqu'à l'écrire. Il est bon d'écrire les principales résolutions pour s'en souvenir, et les motifs principaux dont on est touché, quand on voit qu'en les re-embarras inutiles. Attendez donc jusqu'à mon lisant le sentiment s'en renouvelle mais je conseille de laisser passer ce qui est passé; de peur de croire que ce qu'on a pensé mérite d'être écrit, si ce n'est pour le soumettre à la censure, s'il étoit suspect ; et du reste prier beaucoup, comme disoit saint Antoine, sans songer qu'on prie. La simplicité de cœur, la droiture de cœur, ce qui fait l'homme simple et droit devant Dieu, c'est ce qu'il faut desirer d'entendre, pour s'y conformer de tout son cœur. Amen,

amen.

Je ne puis encore déterminer le temps de ma visite; il faut attendre que j'aie vidé beaucoup d'affaires, qui m'empêcheroient de la faire avec le repos et l'attention que je veux y apporter. De Meaux, ce 19 septembre 1686.

LETTRE III.

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retour, et ne faites rien précipitamment. Les empressements intérieurs, quelque violents qu'ils soient, sont sujet à cette règle de saint Paul : Éprouvez tout, retenez le bien '. Pratiqueź cependant toutes les choses que vous y avez marquées, comme si vous y étiez astreinte par vœu.

Vous me demandez quelques règles de perfection; en voici deux de saint Paul : Que chacun, dit-il, ne regarde pas ce qui lui convient; mais ce qui convient aux autres 2. Si on observe exactement ce principe de saint Paul, on ne donnera jamais rien à son humeur et à sa propre satisfaction: mais dans tout ce qu'on dira et dans tout ce que l'on fera, on aura égard à ce qui peut calmer, éclairer et édifier les autres. Soutenezvous dans cette pratique par ce mot du même apôtre Jésus-Christ ne s'est point plu en luimême 3.

La seconde pratique du même saint Paul est dans ces paroles: Celui qui s'estime quelque chose n'étant rien, se trompe lui-même 1. Le fruit son empressement pour faire des vœux, et lui trace des de ce précepte est non seulement de ne s'offenrègles de perfection.

Il lui donne des avis sur les pratiques extérieures, modère

J'ai vu et j'ai approuvé, ma Fille, toutes les pratiques que vous me marquez: il n'en est pas de même des demandes, dont je veux prendre une connoissance particulière avant que de rien permettre. Il ne faut pas se laisser aller à des pratiques extraordinaires, dans lesquelles la

Apud Cass. Collat. 1x, de Órat. c. 31.

ser de rien; car celui qui s'offense se croit sans doute quelque chose: mais il doit se considérer comme un pur néant, à qui ni Dieu ni la créàture ne doivent rien, si ce n'est de justes supplices; et se tenir toujours en état de recevoir tout par une pure et gratuite libéralité, et par une continuelle et miséricordieuse création. Essayezvous sur ces deux pratiques qui enferment toutes I. Thess. v. 21. - Philip. II. 4. - Rom. xv. 3. Gal. VI. 3.

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les autres, et qui sont le comble de la perfection. Priez Dieu, ma Fille, qu'il me les fasse entendre et pratiquer moi-même qui vous les propose. Jésus-Christ soit avec vous: Jésus vous soit Emmanuel, Dieu avec vous. Amen, amen. N'hésitez point à m'écrire sur les affaires de la maison. Celle de M. N*** est accommodée : son humilité l'a fait céder à mes raisons et à mes prières.

A Meaux, ce 2 novembre 1686.

LETTRE IV.

Sur les austérités, le desir de la vie religieuse, et les avantages de la maladie.

Il n'y a point à hésiter, ma Fille, non seulement à manger gras pendant le carême, mais encore à rompre le jeûne : l'état de votre santé le demande, et je vous l'ordonne, après que vous en aurez, par respect, demandé la permission à votre curé. Ces fluxions survenues vous obligent à vous modérer sur les austérités, après même que votre santé sera rétablie : car, outre qu'il est vraisemblable qu'elles y ont pu contribuer, c'est assez qu'on le croit; et il vaut bien mieux surseoir aux austérités que d'indisposer la communauté contre vous. Ce n'est pas que j'approuve la curieuse recherche qu'on a faite de ce qui étoit dans votre cellule; mais il ne faut pas laisser de garder de justes mesures sur tout cela.

Autant que je loue le desir pressant qui vous attire à la religion, autant je crains de vous amuser par des pensées et des agitations inutiles. Vous vous trompez bien, quand vous croyez que vous trouveriez dans la religion la liberté que vous souhaitez, pour vous abandonner aux mouvements qui vous pressent. Chaque état a ses contraintes; et celui de la religion en a que vous n'avez pas expérimentées, mais qui ne sont guère moins pénibles que celles dont vous vous plaignez. Le tout est de savoir s'abandonner à Dieu en pure foi, et s'élever au-dessus des captivités où il permet que nous soyons à l'extérienr. Où est l'esprit du Seigneur, là se trouve la liberté1 véritable. Je ne veux donc pas que vous vous occupiez l'esprit de cette pensée de religion, sans pourtant vous exclure d'embrasser ce saint état, dans les occasions que la divine Providence me fera connoître.

Pour ce qui regarde votre conscience et votre intérieur, il faut attendre que je sois à Meaux, plus en liberté de m'y appliquer,, et d'écouter le Saint-Esprit sur votre sujet.

II. Cor. 111. 47.

Dites à ma sœur N*** que le vrai temps d'expier ses péchés et de goûter la grace du pardon, est celui de la maladie; pendant que cette épine nous perce et nous pénètre, que la main de Dieu est sur nous, et qu'il nous impose lui-même notre pénitence, selon la mesure de son infinie miséricorde. Récitez-lui à genoux auprès de son lit, dans cet esprit, le psaume xxx1, et dites-lui cé que Dieu vous inspirera pour la consoler, pendant qu'elle ne se peut dire à elle-même tout ce qu'elle voudroit bien. Je prie Dieu qu'il soit avee

vous.

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A Paris, ce 40 mars 1687.

LETTRE V.

lui donne pour sujet d'oraison la miséricorde et la toutepuissance de Dieu, et explique comment il faut le louer dans toutes les créatures.

J'aurai soin, ma Fille, de vous envoyer le livré que vous me demandez; je souhaite que vous y trouviez votre nourriture. Marchez en humilité et en confiance. Employez quinze jours durant, un des quarts d'heure de votre oraison, sur ces paroles de David: Deus meus, misericordia mea1: « Mon Dieu, ma miséricorde ; » à quoi il ajoute : Misericordia mea et refugium meum2: « Mon Dieu, ma miséricorde et mon refuge. »> Ma vue est que vous fassiez attention que Dieu n'est pas seulement miséricordieux; mais qu'il est tout miséricorde, et mème miséricorde par rapport à nous. Ma miséricorde et mon refuge; ce qui fait qu'on s'abandonne à lui sans réserve, et qu'on ne veut s'appuyer que sur lui comme sur le Dieu de miséricorde, ni chercher ailleurs son refuge.

Cette quinzaine achevée, pareille pratique sur ces paroles du Cantique de la sainte Vierge : Respexit humilitatem ancillæ suæ 3 : «Il a re» gardé la bassesse de sa servante,» par puré miséricorde. Mais une miséricorde infinie, qui avec cela est toute puissante, que ne peut-elle pas? C'est pourquoi elle ajoute: Fecit mihi magna qui potens est : « Celui qui est tout puissant, le >> seul puissant, » comme dit l'apôtre : car nul autre n'est puissant que Dieu; tout le reste n'est qu'impuissance tout est impossible à la créature, tout est possible à Dieu. Celui donc qui est souverainement puissant a fait en moi seion sa puissance, et il y a fait par conséquent de grandes choses. Il n'y a de grand que ce qu'il fait. Ce que Dieu a fait de grand en la sainte

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Vierge est d'avoir fait Jésus-Christ en elle et d'elle, et de l'avoir fait tout ensemble la plus grande et la plus humble de toutes les créatures. Ces deux considérations sont très bien liées ensemble; car tout cela est un ouvrage de toutepuissance, et un ouvrage de miséricorde. Il n'y a donc qu'à s'abandonner à Dieu, afin qu'il fasse en nous selon sa puissance et selon sa miséricorde, et ensuite lui être fidèle: mais c'est encore lui qui le donne, et en cela consiste sa grande puissance et sa grande miséricorde. Je ne veux point que vous vous inquiétiez si vous passez le quart d'heure entier sur ces deux versets; il me suffit que vous le souhaitiez et que vous le commenciez, laissant à Dieu le surplus.

la nature. Je ne parle point du détail que le Saint-Esprit vous fera trouver. Jésus-Christ soit avec vous, ma Fille! je vous bénis en son saint nom.

A Germigny, ce 2 juin 1687.

LETTRE VI.

De quelle manière elle devoit se conduire dans la visite prochaine, à l'égard des charges, et dans ses peines.

Pour répondre à vos deux lettres, je vous dirai, ma Fille, premièrement, au sujet de la visite, que vous devez dire sincèrement à votre supérieur les défauts communs où vous croirez Pour Le sujet de votre retraite pourra être de con- qu'il pourra mettre utilement la main.... sidérer la beauté des œuvres de Dieu dans les ce qui regarde les supérieures, surtout en ce qui sept jours de la création, dans le cantique Be-les pourroit commettre ensemble, vous me le nedicite, et dans le psaume Laudate Dominum réserverez. de cœlis. Considérez ce que Dieu a fait pour l'homme, et qu'il a fait l'homme un abrégé de son grand ouvrage; et desirez de le louer dans toutes les créatures et pour toutes les créatures, en faisant un bon usage d'elles toutes, et les sanctifiant par cet usage, afin que Dieu y soit glorifié. Bon usage de la lumière et des ténèbres bon usage de la pluie et du beau temps: bon usage de la sérénité et des tempêtes: bon usage du feu et de la glace: bon usage de tout ce qui est, et à plus forte raison bon usage de soi-ouvrir sur votre intérieur dans la visite; il y aumême bon usage de ses yeux, de ses oreilles, de sa langue, de sa bouche, de ses mains, de ses pieds et de tout son corps; et à plus forte raison encore, bon usage de son ame, de son intelligence, où est la véritable lumière; de sa volonté, où doit être le feu immortel, pur et céleste de l'amour de Dieu.

Jamais il ne faut donc s'impatienter, quelque mal qui nous arrive par la créature, quelle qu'elle soit, ni par le froid ni par le chaud, ni par aucune autre chose, parceque ce seroit s'impatienter contre Dieu même, dont chaque créature fait la volonté, comme dit David : « Le feu, la grêle, » la neige, la glace, le souffle des vents et des >> tempêtes, tout cela accomplit sa parole1. » Accomplissons-la donc aussi, et soyons-lui fidèles, étant injuste que notre liberté ne nous serve qu'à nous affranchir de ses lois, elle qui nous est donnée et qui a été faite, non pour se retirer de cet ordre, mais pour s'y ranger et s'y soumettre volontairement.

Vous voyez tout cela en Jésus-Christ, dont la nourriture a été en tout et partout de faire la volonté de son Père 2, afin de sanctifier ainsi toute

* Ps. CXI VIII. 8. — ? Joan, tv, 34,

Ne demandez point à vous défaire des charges que vous avez laissez-vous-les ôter avec humilité et sans dire un mot ; et demeurez-y de même, si l'obéissance le veut. Tel est l'ordre de Dieu. Je vous permets cependant, si l'on vous dépose de l'emploi où vous êtes, de demander d'ètre sacristine, pour l'amour du céleste Époux; mais sans empressement. Ne songez qu'à entretenir l'union des supérieures, quoi qu'il en puisse arriver contre vous. Rien ne vous oblige à vous

roit même du péril à le faire sur certaines choses : abandonnez-vous à Dieu. Je vous défends de rien entreprendre sur votre desir pour la religion, sans mon ordre exprès. Attendez en paix la volonté de Dieu.

Quant à vos dispositions et aux graces que vous recevez, je n'y trouve rien de suspect, et vous pouvez marcher en confiance dans cette voie. Les miséricordes de Dieu sont inexplicables, et infiniment au-dessus de ce que nous pouvons en penser. Faites tout le bien que vous pourrez à tout le monde; mais n'attendez de récompense ni de reconnoissance que de Dieu seul. Toutes les fois que la peine dont vous m'écrivez reviendra, ayez recours au même remède : songez à l'état tranquille où étoit saint Jean sur cette divine poitrine du Sauveur, et au doux repos qu'il y goûta: songez quelle grace c'est que d'y être admise: elle ne fut donnée qu'à saint Jean; et voulant saint Pierre la trouva si grande, que, tirer un secret du sein de Jésus, il n'osa en parler lui-même; mais il engagea saint Jean à le demander, par cette sainte familiarité que le Sauveur lui permettoit. Il faudroit donc être un saint Jean en pureté, en bonté, en charité, en douen amour: mais Jésus se communique à ceur,

qui il lui plaît, comme il lui plaît. A lui l'em-mour de Dieu, à cause de l'incompatibilité de cet pire, à lui la gloire dans tous les siècles. Tout à amour, qui adoucit tout, avec la disposition d'ai

vous.

A Germigny, ce 10 octobre 1687.

LETTRE VII.

Sur la charge de maîtresse des novices; les desseins de Dieu à l'égard des ames ;] et ce qu'elles doivent faire dans les différents états par où elles passent.

J'avois déja ouï parler du dessein qu'on avoit sur vous, ma Fille; et j'avois dit que je ne voulois entrer en rien dans ce détail, mais tout laisser à l'obéissance : c'est le seul parti qu'il y ait à prendre.

Il est juste, pour le bien même de vos novices, qu'on leur fasse sentir qu'on ne disposera de ce qui les touche qu'avec vous. Je suis persuadé que madame votre supérieure en usera ainsi, et vous soutiendra dans un emploi si laborieux et si important. La difficulté ne vous rebutera point, si vous songez à cette parole de saint Paul 2: Je puis tout en celui qui me fortifie. C'est dans l'accomplissement de la volonté de Dieu qu'il faut chercher le remède de toutes ses peines, et particulièrement de celles qui vous viennent pour l'avoir suivie. Obéissez donc par amour; et offrez-vous à Dieu pour faire sa volonté en union avec Jésus-Christ, qui a dit, comme dit saint Paul3 en venant au monde, qu'il venoit pour accomplir la volonté de Dieu. Voilà l'écrit que vous m'avez demandé : vous y trouverez de quoi vous soutenir dans votre emploi, et de quoi vous instruire dans la conduite des ames qui sont soumises à vos soins, et même de la vôtre, en voyant les différents états où Dieu peut les mettre, et où il les met en effet. En appliquant aux autres ce qui leur convient, appliquez-vous aussi à vous-même ce qui peut vous convenir.

Il y a des ames qui portent dans leur état une expérience réelle et sensible de la dépendance où nous sommes à l'égard de Dieu de telles ames se voient à chaque moment en état que leur volonté leur échappe, et toujours prêtes à tomber, ou de consentement ou même par effet, dans des péchés où les plus grands pécheurs tombent à peine: et quoique d'un côté elles ressentent des ardeurs et des transports inexplicables causés par l'amour de Dieu, elles sont sujettes à des retours terribles, et se sentent souvent disposées envers le prochain, d'une manière qui leur fait croire qu'elles ne peuvent en même temps avoir l'a

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greur où elles se sentent, à laquelle à chaque moment elles croient être prêtes à consentir, ou même y consentir en effet.

Le dessein de Dieu sur de telles ames est de les tenir attachées à lui par un entier et perpétuel abandon à ses volontés; de même qu'une personne qui se verroit toujours prête à tomber dans un précipice, ou un abîme affreux, sans une main qui la soutiendroit, s'attache d'autant plus à cette main, qu'elle voit que pour peu qu'elle en soit abandonnée elle périt. Ainsi en est-il de la main de Dieu à l'égard de ces ames: car elles doivent croire par la foi, et ressentir par expérience, qu'il n'en est pas de l'effet de la grace comme d'une maison, qui, étant une fois bâtie par son architecte, se soutient sans son secours; mais comme de la lumière, qui ne dure pas toute seule comme d'elle-même dans l'air, pour y avoir été une fois introduite par le soleil; mais qui y doit être continuellement entretenue: en sorte que l'ame pieuse et justifiée n'a pas été faite une fois juste pour durer comme d'ellemême dans cet état, mais qu'elle est à chaque moment faite juste et défendue contre le règne du péché si bien que tout son secours est dans cette main invisible qui la soutient de moment en moment, et ne cesse de la prévenir par ses graces, et de la remplir à chaque instant de l'esprit de sainteté et de justice.

De teiles ames sont portées à faire tous les jours de nouveaux efforts pour détruire en elles le péché et leurs inclinations perverses, et elles voudroient se mettre en pièces, et, pour ainsi dire, se déchiqueter par des austérités et des disciplines jusqu'à se donner la mort, et ne cessent de demander qu'on leur fasse faire quelque chose pour déraciner leurs mauvaises inclinations; et il ne leur est donné d'autres secours contre leur malignité, que ce simple et pur abandon, de moment en moment, à la main de Dieu qui les soutient; se tenant uniquement à elle, et lui remettant leur volonté et leur salut comme un bien qu'elles ne peuvent et ne veulent tenir que de sa seule, très pure et très gratuite miséricorde.

Quant aux austérités que de telles ames veulent faire, cela vient en elles de deux principes; l'un, qui les fait entrer dans le zèle de la justice de Dieu pour détruire le péché, et le punir en elles-mêmes comme il le mérite: ce qui est très bon, mais qui doit être modéré; parceque pour le punir selon son mérite, il ne faudroit rien moins que l'enfer. L'autre principe, c'est que l'ame qui sent sa prodigieuse foiblesse, et se sent

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