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c'est qui donne lieu à la division et à la contra- | suivi d'un secret remords: le mouvement indélidiction. Il faut tout dire aux supérieurs, quand béré peut troubler et humilier l'esprit, mais n'exc'est pour mettre ordre aux choses des demi- cite pas ce remords qui fait sentir à la conscience explications ne font qu'embarrasser les affaires, qu'elle est coupable. et donner lieu à des mouvements irréguliers.

Je vous permets les liaisons que vous voudrez avec nos filles de Jouarre, que vous me nommez dans votre lettre mais que tout cela soit dans la grande règle de la charité, et loin des petits mystères assez ordinaires parmi les filles.

J'approuve votre silence durant ce saint temps, et la permission que vous en avez demandée à votre supérieure est de bon exemple, et satisfaisante pour elle. Agissez toujours ainsi par esprit d'obéissance, et pour le bien de la paix.

Le sermon dont vous me parlez m'a surpris: j'approfondirai cette affaire, aussitôt que je serai de retour.

Il n'est pas nécessaire de faire un acte de contrition sur chaque péché en particulier, pourvu qu'on les déteste tous de tout son cœur, et tout ce que l'on a fait qui déplaît à Dieu. Je ne sais, ma Fille, pourquoi vous demandez tant qu'on vous distingue ce qui peut être mortel parmi vos péchés : ce n'est pas là ma pratique, et j'ai de bonnes raisons pour cela.

Vous ne sauriez rien faire de mieux la nuit de Noël, que de bien méditer devant Dieu ce qui est dit de l'Enfant Jésus aux versets 34 et 35 du chapitre II de saint Luc, en le joignant au verset 16 du xxvine d'Isaïe, cité par saint Pierre en sa première Epitre, chapitre II, versets 6, 7, 8; saint Paul aux Romains, chapitre 1x, verset 33; et à la parole de Jésus-Christ même en saint Matthieu, chapitre x1, verset 6. Offrez-moi à Dieu; afin que, s'il me l'inspire, je traite dignement un si grand sujet le jour de Noël, et que je fasse trembler ceux à qui Jésus-Christ est un sujet de con

Ce n'est point du tout mon intention que vous me demandiez des permissions de m'écrire : c'est multiplier les lettres sans nécessité,let allonger les affaires. Écrivez-moi pour la maison ce que vous trouverez nécessaire; écrivez-moi aussi de même sur ce qui vous touche: ce n'est pas cela que je veux empêcher, mais l'amusement. Notre Sei-tradiction et de scandale. Commencez par lire, gneur soit avec vous.

A Paris, ce 5 décembre 1691.

LETTRE XXX.

Il explique la différence d'un premier mouvement et d'un acte délibéré; et l'instruit sur l'étendue que doivent avoir les actes de contrition.

J'écris à madame B*** ce qui me paroit nécessaire pour établir la confiance entre elle et vous Pour lui mettre l'esprit en repos du côté de Jouarre, je lui dis que j'ai permis votre commerce, et que vous n'y emploierez ni vos novices ni trop de temps. Vous pouvez lui dire que la proposition de la sœur N*** n'est qu'un discours en l'air, et qu'il n'y a rien à compter là-dessus.

Puisqu'en arrivant de Jouarre je me trouve assez de loisir, je vais répondre, ma Fille, aux demandes de votre billet.

Je suis étonné du scrupule que vous avez de m'avertir de ce qu'il est bon que je sache, et de la crainte que vous avez d'y blesser la charité, puisque je vous ai dit tant de fois le contraire.

La différence d'un premier mouvement et d'un acte délibéré est trop sensible pour mériter qu'on se tourmente à l'expliquer, puisqu'un premier mouvement est une chose dont on n'est pas le maître, et qu'on l'est d'un acte délibéré. Il n'y a qu'à bien écouter le fond de sa conscience, pour en connoître la différence. L'acte délibéré est

au premier loisir, tous les endroits que je vous marque, et donnez-vous à Dieu pour en être pénétrée durant la nuit de Noël. Chantez-y de cœur le psaume LXXXVIII.

Je veux bien recevoir le présent que vous me destinez, pour cette fois seulement.

Vous avez bien fait de m'exposer cette peine sur votre santé : il faut dire, toutes les fois qu'elle reviendra: Retire-toi de moi, satan. Dieu soit avec vous, ma fille je vous bénis en son saint

nom.

A Meaux, ce 19 décembre 1691.

LETTRE XXXI.

Il lui recommande d'accomplir, à l'égard de sa supérieure, la parole du Sauveur à saint Jean : zèle qu'il a pour la conduire à la perfection.

Je n'ai de loisir, ma Fille, que pour vous mander la réception de votre paquet. Je ferai au premier jour toutes les réponses, et je verrai avec joie monsieur votre fils. Comme ces lettres pour Jouarre sont fort pressées, je vous prie de les rendre au plus tôt. Dites à madame votre supérieure l'ordre que vous en avez, et demandez-lui sa permission; afin que nous accomplissions cette parole du Sauveur1: Laissez-moi faire pour cette heure; car c'est ainsi qu'il faut que nous accomplissions

'Matt. 111. 15.

toute justice. Prenez bien garde que c'est avant de recevoir le baptême que Jésus-Christ parle ainsi, et que cette justice, dont il parle, est de faire souvent, par une soumission volontaire, ce dont on pourroit s'exempter par des ordres supérieurs.

Je vous prie aussi de faire en sorte que votre communication avec Jouarre ne vous retarde ni ne vous empêche en aucune partie de vos devoirs et de vos emplois ; et de rendre souvent compte en général de cela à madame votre supérieure, lui demandant même son avis, s'il arrivoit que cela vous causât de l'embarras.

Elle ne me parle point de vos austérités : n'en faites plus à présent, et jusqu'à ce que votre santé soit rétablie, sans ma permission.

Je suis contraint de finir, en vous assurant, ma Fille, que votre ame m'est très chère, et que je n'oublierai rien pour vous porter à la perfection à laquelle vous aspirez,

A Paris, ce 5 janvier 1692.

LETTRE XXXII.

Il lui donne des règles pour sa conduite extérieure et intérieure; l'exhorte à s'abandonner aux transports de l'amour divin; combat les erreurs de certains mystiques, et décrit les effets de l'amour de Dieu.

J'ai reçu, ma Fille, votre présent; mais je suis bien fâché de n'avoir point vu monsieur votre fils. Je n'ai presque point bougé d'ici, et j'ai même gardé la chambre durant quelques jours; par ce moyen mon rhume n'a rien été : et jusqu'ici, Dieu merci, ces petites précautions me délivrent de ces incommodités qui ne méritent pas d'être comptées.

Vos desirs seront accomplis: vous serez dans mon cœur pour y être continuellement offerte à Dieu; afin qu'il vous tire à lui de la manière qu'il sait, et que vous ne cessiez de lui dire : Tirezmoi; nous courons après vos parfums'; nous courons entraînés par une invincible douceur, par votre vérité, par votre bonté, par vos attraits infinis, par votre beauté, qui n'est autre chose que votre sainteté et votre justice.

Tout ce que vous me mandez de la part du père P*** est très nécessaire, et conforme à mes sentiments.

La règle que vous me demandez pour votre conduite, quant à l'extérieur, est toute faite dans vos constitutions; on ne pourroit y ajouter que quelques austérités, auxquelles je ne consens point que vous vous abandonniez au-delà de ce

'Cant. 1.3.

que je vous ai permis, à moins qu'un confesseur discret ne vous les impose en pénitence.

Quant à la règle de l'intérieur, la vôtre, má Fille, doit être de faire, dans chaque action, ce que vous verrez clairement être le plus agréable à Dieu, et le plus propre à vous détacher de vous-même, sans autre obligation que celle que l'Évangile vous propose, ou que vos autres vœux vous ont imposée, en attendant que Dieu nous éclaire sur ce que vous avez tant dans l'esprit.

Le plus difficile à résoudre sur votre conduite seroit de savoir si vous devez vous abandonner à ces transports ardents de l'amour divin, à cause de la crainte que vous avez qu'ils pourroient être quelquefois accompagnés de quelque mauvais effet mais comme je ne crois pas qu'il soit en votre pouvoir de les arrêter, Dieu même a décidé le cas, par la force du mouvement qu'il vous inspire. C'est d'ailleurs une maxime certaine dans la piété, que lorsque le tentateur mèle son ouvrage à celui de Dieu, et même que Dieu lui permet d'augmenter la tentation à mesure que Dieu agit de son côté, il n'en faut pas pour cela donner un cours moins libre à l'œuvre de Dieu; mais se souvenir de ce qui fut dit à saint Paul: Ma grace te suffit; car la force prend sa perfection dans l'infirmité 1. Méditez bien ce passage, et ne laissez point gêner votre cœur par toutes ces anxiétés; mais dans la sainte liberté des enfants de Dieu, et d'une épouse que son amour enhardit, livrez-vous aux opérations du Verbe, qui veut laisser couler sa vertu sur vous.

Tenez pour certain, quoi qu'on vous dise, que les mystiques se trompent ou ne s'entendent pas eux-mêmes, quand ils croient que les saintes délectations que Dieu répand dans les ames sont un état de foiblesse, ou qu'il leur faut préférer les privations, ou enfin que ces délectations empêchent ou diminuent le mérite. La source du mérite, c'est la charité, c'est l'amour ; et d'imaginer un amour qui ne porte point de délectation, c'est imaginer un amour sans amour, et une union avec Dieu, sans goûter en lui le souverain bien, qui fait le fond de son être et de sa substance. Il est vrai qu'il ne faut pas s'arrêter aux vertus et aux dons de Dieu; et saint Augustin a dit que c'est de Dieu dont il faut jouir : mais enfin, il ajoute aussi que c'est par ses dons qu'on l'aime, qu'on s'y unit, qu'on jouit de lui 2. Et s'imaginer des états où l'on jouisse de Dieu, par autre chose que par un don spécial de Dieu, c'est se repaître l'esprit de chimères et d'illusions,

La pureté de l'amour consiste en deux choses: l'une, à rendre à Dieu tous ses dona corvme cho. ♦ 11 Cor. XII. 2. — Voyez tout le premier tivre de S. Aug, de Doct. Chr. t. ш. Op.

ses que l'on tient de lui seul; l'autre, de mettre ses dons dans leur usage véritable, en nous en servant pour nous plaire en Dieu, et non en nousmêmes. Les mystiques raffinent trop sur cette séparation des dons de Dieu d'avec lui. La simplicité du cœur fait recevoir ces dons comme étant de Dieu qui les met en nous, et on n'aime à être riche que par ses largesses. Au surplus, un vrai amour ne permet pas d'être indifférent aux dons de Dieu : on ne peut pas ne pas aimer sa libéralité; on l'aime tel qu'il est, et, pour ainsi dire, dans le plus pur de son être, quand on l'aime comme bienfaisant, et comme béatifiant; et tout le reste est une idée qu'on ne trouve point ni dans l'Écriture ni dans la doctrine des saints.

On peut souhaiter l'attrait, comme on peut souhaiter l'amour où il porte; on peut souhaiter la délectation, comme une suite et comme un motif de l'amour, et un moyen de l'exercer avec plus de persévérance. Quand Dieu retire ce qu'il y a de sensible dans les délectations, il ne fait que les enfoncer plus avant, et il ne laisse non plus les ames saintes sans cet attrait, que sans amour. Quand la douce plaie de l'amour commence une fois à se faire sentir à un cœur, il se retourne sans cesse, et comme naturellement, du côté d'où lui vient le coup, et à son tour il veut blesser l'Époux, qui dans le saint Cantique dit': Vous avez blessé mon cœur, ma Sœur, mon Épouse; encore un coup, vous avez blessé mon cœur par un seul cheveu qui flotte sur votre cou. Il ne faut rien pour blesser l'Époux: il ne faut que laisser aller au doux vent de son inspiration le moindre cheveu, le moindre de ses desirs: car tout est dans le moindre et dans le seul; tout se réduit à la dernière simplicité.

Soyez douce, simple et sans retour, ma Fille, et allez toujours en avant vers le chaste Époux: suivez-le, soit qu'il vienne, soit qu'il fuie; car il ne fuit que pour être suivi.

Tout ce que vous avez pensé, ma Fille, sur votre desir est sans fondement et impraticable. Laissez croître ce desir de la religion; mais reposez-vous sur Dieu pour les moyens, les occasions et le temps de l'accomplir: autrement, toujours occupée de ce qui ne se pourra pas, vous ne ferez jamais ce qui se peut, et ce que Dieu veut de vous actuellement. Notre Seigneur soit

avec vous.

A Versailles, ce 17 janvier 1692.

Cant. IV. 9,

LETTRE XXXIII.

Sur les épreuves par lesquelles Dieu la faisoit passer; et la conduite du prélat dans la direction des ames.

J'ai vu par votre lettre, ma Fille, la fâcheuse maladie qui vous est survenue: nos filles de Jouarre m'en ont écrit aussi avec inquiétude. Dieu vous éprouve en toutes manières : ce sont là autant de traits de Jésus-Christ crucifié, qu'il imprime sur vous. Allez avec lui dans le sacré jardin; prenez à deux mains la coupe qu'il vous présente, et n'en perdez pas une goutte. Je suis fort consolé de ce que vous me mandez que Vous êtes bien aise de souffrir, et que ces coups dont Dieu vous frappe rabattent vos autres peines. Ce m'en est pourtant une grande, de voir que vous soyez exercée en même temps au dedans et au dehors. Il en a été de même du Sauveur : il vous donne des moyens de lui montrer votre amour, et il ne peut rien faire de plus efficace pour vous déclarer le sien.

J'ai vu et considéré toutes vos lettres: je n'ai rien eu de présent pour y répondre; j'ai eu aussi fort peu de loisir. Il faut toujours exposer les choses; parceque cela fait entrer dans l'ordre de l'obéissance, et dès-là c'est un grand soutien. Mais Dieu ne me donne pas toujours, et je n'ai pas toujours le temps: en ce cas, il faut se servir, avec une grande soumission, des règles que j'ai données pour les dispositions de même nature. La conduite des ames est un mystère : il faut que Dieu y agisse des deux côtés. Entendez ceci, ma Fille; Dieu vous en donnera l'intelligence. Je tâche d'être fidèle à donner ce que je reçois: quand jene reçois rien de particulier, j'abandonne tout à Dieu, et je le prie de subvenir à ma pauvreté. Je vous ai offerte à Dieu, et je ne cesserai de Vous y offrir.

J'ai vu le Père qui veut bien nous faire la grace d'accepter la direction de la maison. J'ai vu aussi madame Tanqueux, avec laquelle je me suis expliqué de beaucoup de choses: tout s'est passé, ce me semble, fort agréablement de part et d'autre.

Je suis à vous de tout mon cœur. A Paris, ce 21 février 1692.

LETTRE XXXIV.

Usage qu'elle doit faire d'un écrit qu'on lui avoit envoyé par son ordre desir de la communauté pour posséder Jésus-Christ dans le saint-sacrement; comment elle doit se conduire pour attirer en elle l'Epoux céleste.

L'écrit que vous avez reçu de Jouarre vous a été envoyé par mon ordre exprès, et je vous ai mandé à vous-même qu'il y avoit quelque chose

pour vous dans le paquet dont je vous chargeois. d'y assurer votre retraite. Madame B*** ne doit ། Quoique cet écrit soit fait à la prière de quelques pas vous refuser votre congé, après la manière religieuses, le fond en est commun à tous les dont je lui en écris : elle aura pourtant de la peine. chrétiens. Ainsi,, vous le pouvez communiquer Je l'assure que vous ne songez point à aller mainaux personnes qui vous le demandent, et à toutes tenant à Paris : en effet, la maison seroit trop les personnes faisant profession de piété et de seule. Je vous attendrai lundi ; et en vous attenretraite. J'en dis autant d'autres écrits, excepté dant, je demanderai à Dieu, de tout mon cœur, ce qui regarde la conscience, ou les particulières le don de conseil avec le fruit de bonté par rapdispositions des personnes. Je n'écris rien que je port à vos intentions. Je trouverai, s'il plaît à veuille être secret il faut seulement prendre Dieu, tout le temps dont vous aurez besoin. Je garde de ne pas divulguer de tels écrits aux gens suis, ma Fille, très cordialement à vous. profanes et mondains, qui prennent le mystère de la piété et de la communication avec Dieu, pour un galimatias spirituel.

Vous avez plus sujet de craindre d'offenser Dieu en me taisant les choses, ou ne me les disant pas assez à fond, qu'en me les découvrant simplement: vous devez être bien persuadée que je ne me laisserai pas prévenir, et que je ne condamnerai ni ne soupçonnerai personne sans preuve. Entendez le sermon, quoiqu'il vous en coûte de peines et de répugnances.

Je loue vos transports envers Jésus-Christ caché au saint-sacrement, et ceux de nos chères sœurs je le donnerai quand il faudra, et quand j'aurai prévenu certaines noises que je dois éviter. Voilà la lettre que j'écris sur ce sujet à votre communauté.

J'ai reçu vos vœux et vos soupirs, mes Filles. Dans les bienfaits communs, c'est un commencement de possession, que d'avoir la liberté de souhaiter, puisque les souhaits font naître des prières ardentes, et qui arrachent tout des mains de Dieu. C'est à lui qu'il faut s'adresser pour obtenir l'accomplissement de vos saints desirs. Je serai attentif à sa voix, et toujours disposé à vous satisfaire.

Souvenez-vous, mes Filles, sur toutes choses, de l'union et de la régularité, qui sont fondées l'une et l'autre sur l'obéissance: ce sont là les grands attraits qui attireront chez vous l'Époux céleste, en qui je suis à vous de tout mon cœur. A Meaux, ce 4 avril 1692.

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A Meaux, ce 30 mai 1692.

LETTRE XXXVI.

Sur l'état de l'épouse qui soupire après le divin Époux.

Le fond des dispositions que vous m'exposez, ma Fille, dans votre lettre, est très bon. L'épouse disoit ': Aussitót que mon Époux a fait entendre sa voix, je suis tombée en défaillance. L'original porte: Mon ume s'en est allée; elle s'est échappée. Dieu vous fait sentir quelque chose de cette disposition. L'épouse s'échappoit encore à peu près de cette manière, lorsqu'elle disoit : Soutenez-moi par des fleurs, et par des essences de fruits confortatifs, parceque je languis d'amour 2? L'ame défaillante demande un soutien: ais elle en reçoit un bien plus grand que celui qu'elle demande; car l'Époux approche luimême, au verset suivant, et la soutenant et l'embrassant en même temps, et par-là lui faisant sentir toute la douceur et la force de sa grace.

Les caresses intérieures que l'ame fait alors à l'Époux céleste lui sont d'autant plus agréables, qu'elles sont plus libres et plus pleines de confiance mais il faut s'en tenir là; et l'épanchement où l'on se sent porté envers les personnes qu'on sait ou qu'on croit lui être unies, a quelque chose de délicat et même de dangereux.

Ne voyez-vous pas que la chaste et fidèle épouse, en rencontrant ses compagnes et celles qui sont disposées à chercher l'Époux avec elle, sans leur faire aucunes caresses, leur donne seulement la commission d'annoncer à son bien-aimé ses transports et l'excès de son amour 3. Cela veut dire qu'on peut quelquefois épancher son cœur, en confessant combien on est prise et éprise du céleste Époux; mais il ne faut pas aller plus loin. Et quand l'Époux sollicite sa fidèle épouse à chanter pour ses amis, elle lui dit : Fuyez, mon bien-aimé1; ce n'est point à vos amis que je veux plaire, je ne me soucie pas même de les voir ni de leur parler; fuyez, fuyez en un lieu où je sois Cant. v. 2, 6. 2 Ibid. 11. 5. Cant. VIII, 15, 44.

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3 Ibid. v. 8, 9, 17.

Seule avec vous. On doit être dans d'extrêmes | parcequ'il est de sa justice, de sa sagesse et de réserves avec tout autre qu'avec l'Époux, et c'est sa bonté. Il n'en faut pas davantage; et alors avec lui seul qu'il est permis de s'abandonner notre sommeil loue Dieu, et confesse notre infirà ses desirs; car il est le seul dont les baisers, les mité, qui est la peine de notre péché. embrassements et les caresses sont chastes, et inspirent la chasteté.

Puisque vous voulez le savoir, ma Fille, le jour de mon baptême est le jour de saint Michel, en septembre; le jour que j'ai été consacré prê

sacre est celui de saint Matthieu. Je vous suis bien obligé de vouloir communier en ces jours-là à mon intention, et demander à Dieu les graces dont j'ai besoin pour être un chrétien digne de ce nom, et pour remplir mon ministère.

Réjouissez-vous avec Jésus-Christ, de ce qu'il est le plus beau des enfants des hommes; et sou-tre est le samedi de la Passion; le jour de mon venez-vous qu'il faut mettre parmi ses beautés la bonté qu'il a de vouloir gagner les cœurs, et les remplir de lui-même. Je le prie qu'il vous soulage. Marchez en confiance : il vous regarde, et son regard vous soutient. Le surplus de votre lettre se remettra à un autre temps. Vivez cependant en paix, ma Fille; car il n'y a rien de mal à craindre que de perdre Dieu, que personne ne vous peut ravir si vous l'aimez. Je suis à vous de bien bon cœur.

A Germigny, ce 10 juillet 1692.

LETTRE XXXVII.

Comment tout est amour; vraie manière de consacrer son sommeil à Dieu; règles sur la prière vocale; instructions sur le pur amour.

Oh! non, ma Fille, je ne prétends pas me comprendre dans le silence que je vous propose. Parlez-moi quand vous en serez pressée par l'Esprit; car il faut que je vous écoute, et que j'écoute Dieu pour vous: il faut que la même voix de l'Esprit, qui se fera entendre dans votre cœur, retentisse dans le mien, afin que je vous réponde ce que Dieu me donnera.

Tout est amour; tout aime Dieu à sa manière, même les choses insensibles: elles font sa volonté ; et parcequ'elles ne peuvent pas connoître ni aimer, il semble qu'elles s'efforcent, dit saint Augustin, à le faire connoitre, afin de nous provoquer à aimer leur auteur: c'est ainsi que

tout est amour.

Il n'est pas besoin d'avoir de l'esprit, ni d'inventer de belles pensées, pour consacrer son sommeil à Dieu qu'ainsi ne soit; en disant que vous ne savez que dire, vous avez tout dit. Oui, je voudrois, mon Dieu, que chaque respiration, que chaque battement de cœur fût un acte d'amour : je voudrois être moi-même tout amour, êtrc écrasée et anéantie; en sorte qu'il ne restat de moi que l'amour, et une éternelle louange de votre saint nom. Voilà qui est fait; cela suffit. On cède après cela à la nécessité; parceque Dieu l'a ordonnée, l'a établie; et on aime son ordre,

1 Enar. II in Ps. xxvi, n. 12; tom. IV, col. 424.

Pour les prières vocales, qui ne sont d'aucune sorte d'obligation, quand vous vous sentirez attirée à quelque chose de plus intime, suivez votre attrait. Pour l'office, quoique vous n'y soyez pas absolument obligée, je ne crois pas que cela fût bien de le laisser.

Quand vous me pressez, ma Fille, de vous répondre sur vos questions de l'amour de Dieu, vous ne songez pas à ce qu'il faudroit pour y satisfaire, et que d'ailleurs cela n'est point nécessaire; car c'est le cas où arrive ce que dit saint Jean ' : L'onction vous enseigne tout. L'amour s'apprend par l'amour : et à l'égard de ce pur amour, ce qu'il en faut savoir, c'est qu'il emporte un dépouillement universel: cela va bien loin et porte des impressions bien crucifiantes. C'est pourquoi je ne croirois pas qu'il fallut ni le desirer ni le demander à Dieu, encore moins se mettre en peine de ce que c'est ; car le propre de cet amour, c'est de se cacher soi-même à soi-même : quand on le sent, ordinairement on ne l'a pas; quand on l'a, on ne sait ce que c'est; je veux dire qu'on le sait bien moins lorsqu'on l'a, que lorsqu'on ne l'a pas. Car quand on ne l'a pas, on en raisonne comme les autres; mais quand on l'a, on se tait, on ne sait qu'en dire, et on ne peut en parler si ce n'est dans certains élans que Dieu envoie lorsqu'on y pense le moins. J'ai des raisons de croire qu'il n'est pas à propos de le demander; mais de s'offrir à Dieu avec un entier dépouillement, pour faire sa volonté en général.

Vous pouvez dire à la communauté que je permets qu'on garde le saint-sacrement les deux jours que vous me marquez, pourvu qu'il y ait toujours quelqu'un devant, même pendant la nuit, sans néanmoins dire mot. Dites à madame B*** qu'à force de venir de temps en temps dans la maison, Jésus-Christ s'y formera enfin une demeure stable. Je prie le Seigneur qu'il soit

avec vous.

A Meaux, ce 4 août 1692.

1. Joan. 11. 27.

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