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mais très aisée à surprendre, et elle doit beaucoup craindre l'illusion.

:

ligieuse, détachée de tout au dedans et au dehors.

Quoique j'écrive à madame de Luynes, je vous charge de lui dire que j'irai bientôt à Torcy, et que j'ai un grand desir de la voir; celui de vous soulager dans votre peine y entre pour beaucoup. Vous pouvez, en attendant, faire ce que vous me proposez; le reste se dira de vive voix. Assurez-vous que votre ame m'est toujours également chère: ceux qui vous ont dit le contraire, et que je n'étois pas content de vous, ne m'ont pas connu: tenez-vous assurée de moi en notre Seigneur à jamais.

Cette sorte d'oraison, qui lui plait, y est fort exposée, à cause qu'on y aime la singularité, et qu'on se met au nombre de ceux qui trouvent bas et vulgaire tout ce qui n'est pas raffiné: mauvais caractère, qui fait des superbes, d'autant plus dangereusement trompés, qu'ils s'imaginent être humbles, en croyant que Dieu agit seul en eux, sans qu'ils fassent rien; ce n'est pas là l'oraison ni la piété que Jésus-Christ nous a enseignée. La simplicité en est la marque; elle suit la voie commune et battue la charité en est l'ame; Jésus-Christ en est le soutien. Cette personne m'est fort suspecte de ce côté-là. Il y a bien de la différence entre s'exciter doucement et tranquillement, et demeurer immobile et sans action, en attendant que Dieu nous excite. Ex- Il lui indique les moyens de se procurer du soulagement hortez cette bonne fille à lire mon traité sur les États d'Oraison : elle y trouvera la spiritualité de l'Écriture sainte et des saints, et elle y apprendra surtout qu'il faut agir et s'encourager soimême, et ne pas contracter une habitude d'orgueilleuse et présomptueuse paresse, qui mène à la langueur, et par la langueur à la mort.

Vous avez raison, ma Fille, de dire que je ne mesouviens plus, ou presque plus, de tout ce que je vous ai écrit pour votre instruction. Quand ce que Dieu donne pour les ames a eu son effet, il n'est plus besoin de le rappeler avec effort; et il suffit que le fond demeure.

Prenez garde, ma Fille, que je n'approuve que les captivités et les impuissances que peut imposer l'Epoux céleste; gardez-vous bien de vous en faire à vous-même : allez néanmoins sans scrupule, et préférez toujours ce qui est plus simple à ce qui l'est moins. Notre Seigneur soit avec

vous.

A Meaux, ce jeudi matin 1699.

LETTRE CLIII.

Il la console de la mort de madame d'Albert, et l'exhorte à suivre ses exemples.

Quoique vous m'ayez appris une très dure nouvelle, je vous suis obligé, ma Fille, du soin que vous avez pris de me la faire savoir. J'ai invité le père T*** à vous aller consoler. Appliquez-vous à soulager la douleur de madame de Luynes, votre très chère et digne supérieure. Pour madame d'Albert, notre heureuse défunte, elle vous diri gera long-temps, si vous continuez à considérer ceux qu'elle vous donneroit en cas pareils. Vivez et mourez comme sous les yeux d'une si sainte maîtresse, et soyez comme elle une véritable re

A Paris, ée 3 février 1699.

LETTRE CLIV.

dans ses peines.

Les circuits qu'ont faits vos lettres pendant mes voyages à Fontainebleau et ailleurs, ont empêché que je susse sitôt le péril où a été madame de Luynes, votre chère supérieure. En arrivant de Jouarre, j'envoie exprès à Torcy, pour en avoir des nouvelles n'oubliez aucune circonstance, ma Fille, sans quoi je serai toujours en inquiétude.

Abandonnez-vous à Dieu; offrez-lui vos peines pour ceux qui en souffrent de semblables: de quelque côté qu'elles viennent, vous y trouverez du soulagement.

Je vous ai écrit, depuis quelques jours, sur ce qu'il y avoit de plus pressé dans vos dernières lettres, principalement sur la serge; et je vous ai dit que vous ne devez point hésiter d'en demander la dispense, toutes les fois que vous en aurez besoin: du reste, ma Fille, vous n'avez qu'à offrir au saint Époux l'état où il vous met, par la continuation de vos peines. Je vous offrirai de bon cœur à Dieu, madame votre supérieure et vous. A Germigny, ce 14 octobre 1699.

LETTRE CLV.

Il l'exhorte à ne point suivre son inclination, et lui donne quelques avis.

J'écris à madame de Luynes, pour la prier, ma Fille, de ne point venir à Paris sans vous : je m'offre à demander votre obedience à M. l'archevêque, et à faire tout ce qui se pourra pour votre repos. Vous pouvez prendre les mesures dont vous me parlez. Ne suivez point votre inclina. tion, mais les ouvertures que vous trouverez ; et vous les devez regarder comme un témoignage

de la volonté de Dieu,

Je pars demain, s'il plaît à Dieu; je ferai le mieux que je pourrai, par lettres, ce que le temps ne me permet pas de faire de vive voix.

Vous avez pour père, en ce qui regarde votre vocation, monseigneur l'archevêque confiezvous en ses bontés plus que paternelles, et ne m'épargnez pas dans le besoin.

et un effet de sa bonté. | du saint abbé de la Trappe : ainsi je ne puis vous rien dire, ma Fille, sur ses dispositions. S'il a eu, comme on vous l'a dit, de grandes frayeurs des redoutables jugements de Dieu, et qu'elles l'aient suivi jusqu'à la mort; tenez, ma fille, pour certain que la confiance a surnagé, ou plutôt qu'elle a fait le fond de son état. Dieu veuille que vous soyez un jour de même; et qu'à l'exemple de saint Hilarion, pénétrée de ces frayeurs, vous puissiez dire avec courage : « Pars, mon ame, » pars; eh! que crains-tu? tu as servi Jésus>> Christ': » C'est tout ce que je puis vous dire.

Saluez de ma part madame de Luynes, et croyez-moi tout à vous, toujours résolu à ne vous abandonner jamais. Vous pouvez vous confesser à la personne dont vous me parlez : ne vous embarrassez point de certaines matières qui vous peinent. Je prie notre Seigneur, ma Fille, qu'il soit avec vous.

A Paris, ce 26 novembre 4699.

LETTRE CLVI.

Il la tranquillise sur une affaire qui lui causoit des scrupules, et l'exhorte à obéir à sa supérieure.

Ne faites point d'austérités extraordinaires, comme vous en pourriez être tentée, sans ordre particulier, ou de votre supérieure ou de votre confesseur. Je prie Dieu, ma Fille, qu'il soit avec vous. Tenez vos peines au dedans; et croyez que c'est là un des endroits où se doit le plus exercer votre courage.

Je reçois votre dernière lettre : j'ai lu la relation de la mort de M. l'abbé de la Trappe, que Il ne tint pas à moi, ma Fille, que vous ne fus- vous m'avez envoyée, et je vous en remercie : siez avertie que je devois aller hier vous voir mais je dois vous avertir que M. de Séez en a aujourd'hui je suis occupé tout le jour; demain je présenté une toute différente au roi; et M. de ne puis assurer aucun moment je ferai ce que je Saint-André, qui vient de la Trappe, assure que pourrai l'après-diner pour vous aller voir, mais je celle que vous avez vue n'est pas véritable. Après ne puis vous l'assurer. Je dois aller bientôt à Pa- tout, quand elle le seroit, il n'y auroit aucune ris; et certainement j'irai à Torcy. En attendant, conséquence à en tirer; puisque la confiance soyez assurée que vous n'avez rien à craindre et la paix subsistent fort bien sous ces terreurs, pour votre salut dans l'affaire que vous savez : et que je suis assuré, selon que je connoissois ce votre conscience est déchargée entièrement. Vi-saint abbé, qu'elles faisoient son fond. Quand vez en repos, puisque personne ne vous peut dire que vous soyez tenue à davantage que ce que vous avez fait. Agissez toujours ainsi au nom du cher et céleste Époux, qui vous remet au jardin clos, où vous lui avez donné votre foi.

j'aurai l'autre relation, je la donnerai à M. votre fils pour vous la faire tenir.

Au surplus, laissez là toutes ces pensées d'une règle plus étroite; ce n'est qu'amusement d'esprit. Accomplissez vos devoirs selon l'état où vous êtes, et abandonnez tout le reste à la divine miséricorde. Notre Seigneur soit avec vous à jamais, ma chère Fille, et vous fasse une vraie épouse, effrayée à la vérité de son austère ja

Je n'abandonnerai point Torcy tant que vous y serez. Notre Seigneur soit avec vous à jamais. Soyez-lui une fidèle épouse, il vous sera bon et parfait époux. Allez en son nom au lieu où il vous a attirée, et où il a reçu votre foi. Regar-lousie ; mais en même temps livrée à la confiance dez-le en la personne de madame votre supé- en son amour, malgré tout. rieure: attachez-vous à lui obéir plus que jamais, et à la soulager dans les choses qu'elle voudra vous confier, allant même au-devant de ses desirs en sincérité et simplicité, mais sans empressement. Notre Seigneur soit avec vous. A Paris, ce dimanche matin, septembre 1700.

LETTRE CLVII.

Il lui parle d'une relation de la mort de M. de Rancé, et l'assure que la frayeur des jugements de Dieu, et la confiance en sa miséricorde, peuvent très bien s'allier ensemble.

Je n'ai appris aucune circonstance de la mort

A Paris, ce 12 décembre 1700.

LETTRE CLVIII.

Il lui fait craindre l'illusion dans ses desirs d'une règle plus austère; et lui marque comment au milieu de ses peines elle doit faire son oraison.

Je suis bien fâché, ma Fille, de la continuation de vos peines mais prenez courage, et soyez fidèle à l'obéissance et au divin Époux. Si vous tenez l'extérieur en bride, lui-même par sa bonté

4 Voyez saint Jérôme, Vit. S. Hilar., tom. W, part. II, col. 90.

vous soulagera au dedans : il est dans le tombeau; allez avec ses amantes lui porter vos parfums les plus exquis; vous le trouverez vivant. Gardez-vous bien de différer vos pâques; et aussitôt que vous le pourrez, courez à sa table; prenez-le ou comme vivante ou comme morte : fussiez-vous avec son saint corps dans le tombeau, ou même dans les enfers avec sa sainte ame; prenez-le ou mort ou vivant, et enfin en quelque manière qu'il voudra se donner à vous. Ne doutez point, n'hésitez point, en espérance contre l'espérance. Obéissez à ma voix, qui est pour vous celle de Jésus-Christ.

Je ne puis rien vous dire sur ce que vous m'exposez, sinon qu'il faut prendre garde que toutes vos pensées de règle plus austère ne tournent à illusion, et ne soient que tentation: Dieu a fait des miracles pour vous mettre et vous remettre où vous êtes. Dites avec le Psalmiste: Hæc requies mea in sæculum sæculi 1 : « C'est ici mon » repos au siècle des siècles. » J'habiterai dans cette maison, puisque je l'ai choisie, ou plutôt puisque Dieu l'a choisie pour moi. Évitez, ma Fille, ces dangereuses agitations et incertitudes : communiez à votre ordinaire : mettez-vous corporellement devant Dieu à l'oraison, et laissez votre ame devenir ce qu'elle pourra, trop heureuse de pouvoir lancer vers le saint Époux quelques regards furtifs. Je le prie, ma Fille, d'ètre avec et je vous bénis en son saint nom. vous,

Je vous répète encore que vous n'hésiticz point à communier, et que vous avez eu grand tort de différer à le faire.

A Meaux, ce 26 mars 1701.

LETTRE CLIX.

Comment il veut qu'elle soit unie au divin Époux ; il lui prescrit le silence à l'égard de la créature, pour crier au ciel de tout son cœur ; et lui ordonne des pratiques pour se préparer au jubilé.

J'ai reçu, ma Fille, votre dernière lettre et les précédentes. J'y ai vu tous les besoins que vous me marquez: je voudrois pouvoir vous soulager de vive voix ; mais je ne me trouve pas si portatif qu'autrefois, et les voyages me peinent: ainsi, ma Fille, il reste que vous m'écriviez par les voies les plus sûres.

Daigne le saint Époux vous unir à lui et à sa croix par la mortification, et principalement par la mortification intérieure! Soyez en silence à l'égard de la créature, mais criez au ciel de

toute la force de votre cœur dites souvent en

'Ps. cxxxl. 14.

criant de cette sorte le psaume XXXII, en union avec moi, qui le dis aussi très souvent et puisque vous me pressez de vous imposer quelques parties des saintes rigueurs de l'Église, pour vous mieux préparer à son indulgence, je vous ordonne, ma Fille, dans la semaine où vous vous préparerez au jubilé, de dire deux fois les sept Psaumes pénitentiaux, et de faire les pénitences que vous me marquez pour la conversion des plus grands pécheurs, et pour le soulagement des ames du purgatoire.

Je n'ai rien su de la maladie de M. votre fils; j'en prendrai soin à mon retour, qui sera mardi, s'il plaît à Dieu. Je prie le Saint-Esprit de vous unir éternellement au saint Époux.

A Germigny, ce 3 juin 1701.

"

LETTRE CLX.

Il s'excuse de ne pouvoir lui écrire aussi souvent qu'autrefois; l'assure qu'il n'abandonnera jamais le soin de son ame; et l'exhorte à pourvoir à sa santé.

Assurez-vous, ma Fille, que je ne perdrai jamais le soin de votre conduite. La peine que j'ai à présent à écrire est la seule cause qui retient mes lettres, qui ne vous manqueront cependant pas dans le besoin. J'attribue aux peines que vous souffrez la crainte où vous êtes que je n'abandonne le soin de votre ame: je n'en ai jamais eu la pensée, et je ne manque, ce me semble, en rien aux choses essentielles.

Vous pouvez faire, sans scrupule et sans hésiter, ce qui sera nécessaire pour votre santé, par l'avis du médecin, et par votre propre expérience; je vous l'ai déja écrit, et il faut s'en tenir là le divin Époux l'aura pour agréable, je vous l'assure.

Pour vous voir dans ce jubilé, je ne crois pas que je le puisse. Je ne suis guère en état de faire d'autres voyages que ceux qui sont indispensables, et d'une obligation précise. Assurez-vous cependant que la boune volonté ne manquera jamais, et que votre ame ne cessera de m'être chère devant Dieu comme la mienne. Je donnecommodité, nos méditations et nos prières sur rai ordre qu'on vous envoie, par la première commodité, nos méditations et nos prières sur le jubilé.

Je suis bien aise, ma Fille, d'avoir à vous dire que je suis très content de M. votre fils, qui fait les choses avec soin, avec affection et avec

adresse. Je vous assure de très bonne foi que je le trouve un fort honnête homme, très capable, et que je serai ravi de lui faire plaisir en toutes choses. Notre Seigneur soit avec vous,

A Meaux, ce 9 avril 1702,

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LETTRE CLXI.

ture, et à se recueillir tout en Dieu.

que j'approuve et reçois au nom de Dieu, le

Il l'exhorte à la retraite, à peu communiquer avec la créa-priant de la bénir et de la rendre éternelle. Il n'importe guère combien dure une retraite, pourvu que les résolutions qu'on y prend soient persévérantes. Je prie le divin Époux que cela soit ainsi en vous.

Votre lettre, ma chère Fille, me fut rendue hier seulement, par M. l'abbé Bossuet, qui est parti ce matin avant le jour; de sorte que ce ne sera pas lui qui vous portera la réponse.

C'est une grande grace du cher Époux, de vous enfoncer dans la retraite où vous êtes : c'en est une autre de vous empêcher de rien faire paroître d'extraordinaire. Ces deux graces me sont un gage de la présence du céleste Époux, qui ne vous abandonnera pas. Livrez-vous à la solitude et à son esprit détruisant, qui ravage tout aux environs; car il est celui dont les coups sont un soutien, et les ravages une protection. Gardez donc bien la foi à ce saint Époux, et demandez-lui cet amour qui est plus fort que la mort. Communiquez peu à la créature, et avec la créature; soyez recueillie, prêtez l'oreille au dedans, où Dieu vous parlera.

Je retourne à Paris, où je verrai le nouveau marié *, dont je suis toujours très content. Notre Seigneur soit toujours avec vous, ma Fille. A Meaux, ce 21 juin 1702.

LETTRE CLXII.

Je ne puis vous rien décider sur le voyage de Paris; c'est une affaire de médecin : ainsi sur ce sujet je n'ai rien à dire. En général, si vous pouvez éviter de sortir de votre clôture, ce sera sûrement le plus agréable à Dieu, et le meilleur pour vous. Songez que les carmélites et les filles de Sainte-Marie ne sortent jamais, pour quelque cause que ce soit. Que le saint Époux daigne vous garder sous son aile, et soit avec vous, ma Fille.

A Paris, ce 17 décembre 1702.

LETTRE CLXIII.

Il répond à ses demandes sur le desir d'une règle plus austère, sur la stabilité et la pauvreté, sur les confesseurs, sur les prières vocales, et la retraite.

PREMIÈRE DEMANDE. Sur la grande règle où cette personne se sentoit attirée de plus en plus, quoiqu'elle aimât beaucoup sa maison et sa supérieure.

RÉPONSE. Ne pensez point à la grande règle, ma Fille; tenez-vous où vous êtes : la tendance à

Il lui montre le néant de tout ce qui n'est pas Dieu, et la perfection, quand elle tourne en inquiétude l'engage à ne poiat sortir de sa clôture.

Faites ainsi, ma Fille, et vous vivrez: songez à ce qui étoit avant la création du monde; Dieu seul, et hors de lui le pur néant; si l'on peut mettre avant ou après, dedans ou dehors, ce qui n'est rien. Dieu a voulu faire le monde, et lui donner le commencement que lui seul connoît. Le monde ne change pas pour cela de nature; il demeure toujours un pur néant en lui-même, et ne subsiste que par son rapport à Dieu qui lui donne l'être. Il ne faut donc le regarder que de ce côté-là, et ne rien voir de ce qui y est, que dans la volonté de Dieu. Car le péché, qui n'est point par la volonté de Dieu, mais qui est plutôt contre la volonté de Dieu, permis seulement et non voulu, n'est rien en soi. Tout n'est donc rien, excepté Dieu; et l'ame ne doit voir que Dieu en tout, et demeurer insensible et indifférente pour tout ce qui n'est pas Dieu, Amen, amen. Cela est ainsi, et la croix de Jésus-Christ est faite pour anéantir dans nos cœurs tout ce qui n'est point Dieu, ou ordre de Dieu.

Demeurez donc ferme dans votre résolution,

1 Cant. VIII. 6.

Le fils de cette religieuse.

et en scrupule, est à éviter. Ne vous laissez pas tourmenter de vains desirs: desirez ce qui se peut bonnement accomplir dans l'état où vous êtes; Dieu n'en veut pas davantage. C'est votre maison de profession et de stabilité que vous devez aimer et préférer à toute autre, à moins que la Providence ne vous conduise ailleurs. Si Dieu, par sa suave disposition, ne vous trouve autre chose, vous devez vous conformer à l'état où il vous a mise par une grace si particulière. Cependant votre desir est de Dieu, qui ne veut pas toujours accomplir les desirs qu'il inspire luimême. Laissez donc aller ce desir à celui qui vous le donne; et, vous soumettant pour l'exécu tion à ses saintes volontés, demeurez en paix.

Faites ce qui est devant vous, et ce que Dieu a mis en votre pouvoir, et contentez-vous de cela, puisque le saint Époux en est content, Priez, desirez; mais ne vous agitez point, et ne vous donnez aucun mouvement pour procurer l'accomplissement de votre desir. Le desir vient de Dieu; l'agitation viendroit de la tentation; je vous la défends. Gårdez-vous bien de faire aucun mouvement pour parvenir à l'exécution de votre desir; ce ne seroit, je vous le répète, qu'une

pure tentation. Si Dieu veut autre chose de vous, il se déclarera; et je l'écouterai, quand il ouvrira les moyens d'accomplir ce qu'il vous met

au cœur.

Ne demandez point avec tant d'empressement d'être délivrée de ce desir; puisqu'il est bon, et qu'il peut vous tenir lieu de purgatoire en ce monde. Les saintes ames que Dieu purifie sont .desirantes, mais soumises. Ne vous laissez donc point aller à l'inquiétude, de crainte que vous n'en fassiez moins bien ce que vous avez à faire. Tant que votre impatience sera entre l'Époux céleste et vous seule, je prie Dieu qu'il vous la pardonne, mais en même temps qu'il la modère; de sorte qu'elle n'éclate point, et n'empêche pas les fonctions du dehors.

SECONDE DEMANDE. Sur la stabilité et la pauvreté.

RÉPONSE. Je dois vous dire, ma Fille, sur la stabilité, qu'elle consiste dans l'exclusion de toute pensée de changement, et dans la résolution de se tenir au lieu où l'on s'est consacré, pour y reposer jusqu'au grand délogement, sans vouloir avoir d'autres vues: c'est là le parfait | accomplissement de cette parole de notre Seigneur: A chaque jour suffit son mal', Il faut làdessus sacrifier vos peines à Dieu.

Je dis la pauvreté, qu'il n'est point permis aux pauvres de Jésus-Christ de tant prévoir, ni de se tant chercher des appuis. Laissez votre volonté et votre prévoyance dans votre supérieure; et du reste, vivez d'abandon et de confiance en Dieu, assurée qu'il aura soin de vous dans la suite, comme il l'a eu jusqu'ici. Je suis bien aise que vous ayez renoncé à ce que vous me marquez mais prenez garde de transporter votre inquiétude à une autre chose. Ne pensez point à l'avenir; laissez-le à Dieu, qui y pense pour vous: mortifiez et anéantissez tout ce qui est en vous ; à ce prix l'Époux céleste est à vous, et vous sera à jamais toutes choses.

TROISIÈME DEMANDE. Sur les confesseurs. RÉPONSE. Au sujet de votre confesseur, je trouve que votre peine est juste d'un certain côté: mais, ne pouvant y remédier, attachez-vous à Jésus-Christ, et ne voyez que Jésus-Christ dans vos confesseurs, et Jésus-Christ suppléera à ce qui vous manque de la part des hommes. La foi seule peut faire cet ouvrage.

Vous avez pu et dû faire ce que vous avez fait. Après vous être acquittée de ce devoir, soyez en repos, sans permettre à la créature de vous troubler. Unie à l'Époux céleste, jouissez-en indépendamment de tout autre que de lui.

Matt. VI. 34.

QUATRIÈME DEMANDE. Sur les prières vocales, et sur la retraite.

RÉPONSE. Les prières vocales, que l'on s'imagine devoir, comme de prix fait, nous obtenir l'accomplissement de notre desir, ne servent qu'à entretenir l'inquiétude. Ces pressentiments que vous croyez avoir d'un heureux succès ne sont et ne seront qu'un amusement, si vous y adhérez: il faut les laisser passer et s'écouler comme de l'eau. Il y a ordinairement bien de l'amusement et de la superstition dans ces petites pratiques de dévotion, que l'on fait pour obtenir de Dieu quelque chose: accomplir sa yolonté, et s'occuper du desir de lui être fidèle en tout, c'est une belle et excellente neuvaine.

J'approuve l'esprit de retraite et de solitude, pourvu qu'on agisse sans affectation, ni chagrin, ni scrupule. Je vous offrirai de bon cœur à Dieu en son Fils, votre cher Époux. Il faut se soumettre à l'ordre de Dieu, et ne se laisser jamais troubler par la créature: une épouse de JésusChrist a le cœur plus grand que le monde, n'entre dans aucunes bagatelles. Abandon à la Providence, c'est ce que veut d'elle le divin Époux.

et

Dilatez-vous du côté du ciel; tâchez de sentir et d'éprouver que Dieu suffit seul. Dites dans cet esprit le psaume XXII: Dominus regit · me : « Le Seigneur me conduit. » Où le péché a abondé, la grace a surabondé, Soyez attentive sur vous-même; résistez à tout ce qui ne tend pas à Dieu moyennant cela, continuez l'oraison, les saints transports de l'amour envers le chaste et céleste Époux, et la sainte communion.

Ne vous impatientez pas sur mes réponses; j'écris, non pas quand je veux, mais quand je puis. Continuez à votre ordinaire toutes vos pratiques. Quand mes réponses tarderont, allez votre train. Je prie le Seigneur qu'il soit avec

Yous.

Décembre 1702.

LETTRE CLXIV.

Il approuve qu'elle communique à M. de Saint-André les lettres qu'il lui a écrites, et l'exhorte à en profiter. Vous pouvez, ma Fille, communiquer à M. de Saint-André celles de mes lettres que vous croim'en rendra compte *, s'il le faut; et par luirez utiles à garder pour votre consolation : il

1 Rom. v. 20.

*La sœur Cornuau déclare, en tête de la copie de cette lettre, qu'avant de faire relier le volume des lettres de Bossuet, qu'elle avoit transcrites, M. de Saint-André fit lecture de presque toutes au prélat, peu de temps avant sa mort; qu'il les recon

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