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est ample; et les petites difficultés qui s'élèvent | donne efficace à leur parole. C'est en sa charité seront bientôt aplanies par leur présence. Je suis que je suis, etc.

avec tout respect, etc.

A Metz, ce 10 février 1658.

A Metz, ce 10 février 1638.

LETTRE VI.
AU MÊME.

Il le remercie de sa recommandation auprès de la reine en faveur des catholiques, et lui rend compte de la manière dont a été levée la difficulté qui auroit pu traverser les desseins des missionnaires.

Je vous rends graces très humbles de la charité que vous avez eue, pour faire avertir la reine de l'affaire pour laquelle je m'étois donné l'honneur de vous écrire. Je vois, par les lettres que Sa Majesté en a fait écrire en ce pays, que votre recommandation a fort opéré. Je prie Dieu qu'il bénisse les saintes intentions de cette pieuse princesse, qui embrasse avec tant d'ardeur les intérêts de la religion.

LETTRE VII.
AU MÊME.

Sur les fruits de la mission, et le mérite des ouvriers qui y avoient travaillé. Compagnie établie à Metz, sur le modèle de celle qui avoit été formée par S. Vincent de Paul.

Je ne puis voir partir ces chers missionnaires, sans vous témoigner le regret universel et la merveilleuse édification qu'ils nous laissent. Elle est telle, monsieur, que vous avez tous les sujets du monde de vous en réjouir en notre Seigneur; et je m'épancherois avec joie sur ce sujet-là, si ce n'étoit que les effets passent de trop loin toutes mes paroles. Il ne s'est jamais rien vu de mieux ordonné, rien de plus apostolique, rien de plus exemplaire que cette mission. Que ne vous dirois-je pas des particuliers, et principalement du chef et des autres, qui nous ont si saintement, si chrétiennement prêché l'Évangile, si je ne vous en croyois informé d'ailleurs par des témoignages plus considérables, et par la connoissance que vous avez d'eux; joint que je n'ignore pas avec quelle peine leur modestie souffre les louanges?

s'en retournent à vous, fatigués et épuisés selon le corps; mais riches, selon l'esprit, des dépouilles qu'ils ont ravies à l'enfer, et des fruits de pénitence que Dieu a produits par leur ministère. Recevez-les donc, monsieur, avec bénédiction et actions de grace; et ayez, s'il vous plaît, la bonté de les remercier avec moi de l'honneur qu'ils m'ont voulu faire de m'associer à leur compagnie et à une partie de leur travail. Je vous en remercie aussi vous-même; et je vous supplie de prier Dieu qu'après avoir été une fois uni à de si saints ecclésiastiques, je le demeure éternellement, en prenant véritablement leur esprit, et profitant de leurs bons exemples.

Frère Matthieu', qui est arrivé ici comme par miracle, au milieu d'un déluge qui nous environnoit de toutes parts, vous rendra compte, monsieur, de ce que l'on a préparé pour ces messieurs. Les choses sont à peu près en état pour le commencement : le temps accommodera tout; et assurément on fera tout ce qui se pourra pour donner satisfaction à ces serviteurs de Jé-Ils ont enlevé ici tous les cœurs ; et voilà qu'ils sus-Christ. J'ai appréhendé, avec raison, beaucoup de difficultés du côté du prédicateur, surtout si ces messieurs étoient empêchés par les eaux d'être ici avant le commencement du carême; et ce bon Père avoit telle répugnance à abandonner sa chaire à un autre en les attendant, ou à la céder après avoir commencé, que j'étois tout-à-fait en inquiétude du scandale qui auroit pu arriver ici, si M. d'Auguste eût été contraint d'user de son autorité; à quoi néanmoins il se résolvoit. Mais Dieu, monsieur, qui pourvoit à tout, nous a mis en repos de ce côté-là, par l'ordre qu'a eu le syndic de cette ville de dire à M. d'Auguste et à M. de La Contour, que la reine auroit fort agréable si le prédicateur quittoit entièrement sa chaire, en acceptant cent écus que Sa Majesté lui fait donner, outre la rétribution ordinaire, et étant retenu pour prêcher l'année prochaine. Par-là toutes choses sont apaisées; et moi, je vous l'avoue, tiré d'une grande peine d'esprit. Il ne reste plus qu'à prier Dieu qu'il ouvre bientôt le chemin, au milieu des eaux, serviteurs; qu'il fasse fructifier leur travail, et

à ses

C'étoit un frère de saint Lazarre, qui fit cinquante trois voyages, de Paris à Metz, pour l'assistance des pauvres.

Il a plu à notre Seigneur d'établir ici, par leur moyen, une compagnie à peu près sur le modèle de la vôtre 2; Dieu ayant permis, par sa bonté,

Les vœux de l'abbé Bossuet furent exaucés : les missionnaires arrivèrent à Metz, le 4 mars, après avoir couru bien des

risques parmi les débordements des eaux qu'ils eurent à traverser presque durant toute leur route. Iis ouvrirent la mission le mercredi des Cendres, 6 mars le succès répondit à leur zèle, et fut tel que le décrit Bossuet dans la lettre suivante.

2 Nos mémoires marquent que cette compagnie n'étoit antre chose qu'une société de plusieurs ecclésiastiques, qui s'assembloient certains jours pour conférer ensemble sur les matières

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que les réglements s'en soient trouvés hier parmi | providence de Dieu : je demande pour elles la

les papiers de cet excellent serviteur de Dieu,
M. de Blampignon. Elle se promet l'honneur de
vous avoir pour supérieur; puisqu'on nous a
fait espérer la grace qu'elle sera associée à celle
de saint Lazarre, et que vous et ces messieurs
l'aurez agréable. J'ai charge, monsieur, de vous | j'aime et j'espère de tout mon cœur.
en prier, et je le fais de tout mon cœur. Dieu
veuille, par sa miséricorde, nous donner à tous
la persévérance dans les choses qui ont été si
bien établies par la charité de ces messieurs. Je
vous demande d'avoir la bonté de me donner
part à vos sacrifices, et de me croire, etc.

protection et les prières de tant de personnes de
mérite qui sont ici présentes. Ah! j'ai trop ré-
sisté aux lumières qu'il plaisoit à Dieu de me
donner de temps en temps, et aux inspirations
qui m'attiroient à la véritable foi. Je crois,

A Metz. ce 23 mai 1658.

RELATION

Ces discours et autres semblables, entrecoupés de sanglots, pénétroient au fond de l'ame des assistants. A la sortie du logis, on chanta tout le long des rues le Te Deum laudamus; et les hérétiques, qui fuyoient, comme des hibous, le Dieu des lumières, s'enfermoient avec empressement, voyant venir l'éclat de tant de cierges et de flambeaux sur les huit heures du soir; au lieu que les catholiques accoururent de toutes parts à l'Église pour s'échauffer d'une dévotion mutuelle, et rendre graces au Seigneur de ses

D'UN FAIT MEMORABLE, ARRIVÉ DANS LE COURS miséricordes. La confirmation fut aussi donnée DE LA MISSION DE METZ 1.

Quoique le consistoire de la ville de Metz eût défendu aux siens d'assister aux prédications, Dieu permit, pour donner sujet aux plus obstinés de penser à eux, un effet de très grande bénédiction.

à la même demoiselle, et on n'omit rien pour sa consolation car les ministres, alarmés à ce récit, furent bientôt en campagne; et ils n'auroient pas laissé la malade tranquille, si les visites que M. l'abbé Bossuet lui rendit ne les eussent contraints de dissimuler leurs malicieuses intentions.

Un huguenot ayant été à la prédication, et Cette mission de Metz fit de si grands fruits, faisant récit à sa femme de ce qu'il avoit enten- que M. l'abbé de Chandenier qui la conduisoit, du, elle voulut se faire instruire et se convertir. quoique grand et illustre personnage, neveu de L'ordre de son abjuration fut fort édifiant. Elle M. le cardinal de La Rochefoucauld, ne se croyant la fit en présence de monseigneur l'évêque d'Au- pas assez considérable pour remercier ceux qu'il guste, suffragant de Metz, qui administroit ce voyoit contribuer le plus à ce bon succès, en diocèse, accompagné de MM. les abbés Bos- écrivit à M. Vincent en ces termes : « J'ai cru, suet et de Blampignon, de M. le lieutenant de roi,» monsieur, que vous n'auriez pas désagréable et d'une très-honorable compagnie. Et comme, » que je vous fasse part d'une pensée qui m'est quelques jours après, étant tombée malade, elle » venue, qui est que vous écrivissiez un petit mot souhaita recevoir le saint viatique, on le lui porta,» de congratulation à monseigneur d'Auguste, tous les prêtres et les personnes les plus quali- » de l'honneur de sa protection, qui nous est très fiées ayant chacun un cierge à la main. Cette » favorable; et pareillement une de congratulabonne demoiselle donna tant de marques que» tion à M. Bossuet, du secours qu'il nous donne son ame tressailloit de joie en la présence de son » par les prédications et instructions qu'il fait, Sauveur, que par ses paroles et ses actions elle » auxquelles Dieu donne aussi beaucoup de béfit une prédication très efficace, parlant du fond » nédictions . » du cœur ; en sorte qu'elle tira les larmes des yeux de tous ceux qui étoient présents.

Je renonce, dit-elle, à toutes les affections temporelles et à tous les intérêts humains, qui eussent pu, parmi les calvinistes, me faire avoir beaucoup de vues, soit pour la personne de mon mari, soit pour mes enfants. Mes filles, qui sont catholiques, je les mets entre les mains de la

de la religion, à l'instar des conférences des Mardis, établies à Paris par S. Vincent de Paul.

Nous avons cru faire plaisir an lecteur de lui donner, à la snite des lettres qu'il vient de lire, cette relation si édifiante, qui lui fera connoitre les heureux fruits de la mission de Metz, à laquelle Bossuet pr ́t lant de part,

'L'abbé Bossuet, que les missionnaires avoient associé à leurs travaux, prêcha quelquefois à la cathédrale avec messieurs les abbés de Blampignon et Gédoin: mais il exerça particulièrement son zèlé dans l'église paroissiale de la citadelle qui est hors de la ville, où, dit notre relation, la grace et la piété triomphèrent dans les cœurs de M. le gouverneur, de madame la gouvernante, et de tous les officiers et soldats. L'abbé Bossuet, outre les prédications, faisoit dans cette église deux grands catéchismes chaque semain".

LETTRE VIII.

considérer de quelle sorte les saints docteurs nous obligent de pleurer les morts selon la doc

A UNE DAME DE CONSIDÉRATION, SUR LA MORT trine de l'Ecriture. Je n'ignore pas, madame,

DE SON MAFI1.

Il présente à sa foi les vérités les plus propres pour la consoler, et les motifs les plus capables de la rassurer sur

l'état du défunt.

qu'en vous entretenant de ces choses j'attendrirai votre cœur, et que je tirerai des pleurs de vos yeux; mais peut-être que Dieu permettra qu'à la fin vous en serez consolée; et j'écris ceci dans ce sentiment.

Saint Paul avertit les fidèles « qu'ils ne s'affli» gent pas sur les morts, comme les Gentils qui » n'ont pas d'espérance ; » et il explique, par ce peu de mots, tout ce qui se peut dire sur ce sujet-là. Car il est aisé de remarquer qu'il ne veut pas entièrement supprimer les larmes ; il ne dit point, Ne vous affligez pas; mais, Ne vous affligez pas comme les Gentils qui n'ont pas d'espérance; et c'est de même que s'il nous disoit, Je ne vous défends pas de pleurer; mais ne pleurez pas comme ceux qui croient que la mort leur enlève tout, et que l'ame se perd avec le corps: affligez-vous avec retenue, comme vous faites pour vos amis qui vont en voyage, et que vous ne perdez que pour un temps. De là, madame, nous devons entendre que la foi nous oblige de bien espérer de ceux qui meurent dans l'Église et dans la communion de ses sacrements; et qu'encore qu'il soit impossible d'avoir une certitude entière en ce monde, il y a tant de fortes raisons de les croire en bon état, que le doute qui nous en reste ne nous doit pas extrê

Je suis bien payé de mon dialogue, puisqu'au lieu de mon entretien avec la dame que vous savez, vous m'en rendez un de la reine et de vous. Je ne vous ferai pas de remerciments de la part que vous m'y avez donnée : ce sont, madame, des effets ordinaires de vos bontés; et j'y suis accoutumé depuis si long-temps, qu'il n'y a plus rien de surprenant pour moi dans toutes les graces que vous me faites. Je m'estimerois bien heureux si, pour vous en témoigner ma reconnoissance, je pouvois contribuer quelque chose à soulager les inquiétudes qui vous travaillent depuis si longtemps, touchant l'état de M. le M. Je vois dans ces peines d'esprit une marque d'une foi bien vive, et d'une amitié bien chrétienne. Il est beau, madame, que, dans une affliction si sensible, votre douleur naisse presque toute de la foi que vous avez en la vie future; et que dans la perte d'une personne si chère, vous oubliez tous vos intérêts pour n'être touchée que des siens. Une douleur si sainte et si chrétienne est l'effet d'une ame bien persuadée des vérités de l'Évangile; et toutes les personnes qui vous honorent doi-mement affliger. Autrement l'apôtre saint Paul, vent être fort consolées que vos peines naissent d'un si beau principe, non seulement à cause du témoignage qu'elles rendent à votre piété, mais à cause que c'est par cet endroit-là qu'il est plus aisé de les soulager. Car j'ose vous dire, madame, que vous devez avoir l'esprit en repos touchant le salut de son ame; et j'espère que vous en serez persuadée, si vous prenez la peine de

* Nous ne saurions découvrir qu'elle est la personne qui fait la matière de cette lettre, Bossuet ne disant rien qui puisse nous

la faire connoître. Tont ce que nous pouvons assurer, c'est qu'il s'agit d'un maréchal ou d'un marquis, aussi distingué par ses vertus chrétiennes que par ses exploits militaires. Les premières lettres, (M. le M.) dont Bossuet'se sert pour désigner celui dont il parle, et les victoires qu'il lui attribue, justifient pleinement ce que nous avançons. Quant à l'année où cette lettre a été écrite, nous ne sommes pas plus en état de l'indiquer, parceque Bossuet ne l'a point marquée; mais comme il y parle d'un entretien que la dame à qui il écrit avoit eu avec la reine, il est clair que sa lettre est antérieure ou à la mort de la reine mère, avant 1656, ou au plus tard avant 1683, époques de la mort des deux reines. Bossuet ayant eu part, comme il le dit, à l'entretien que cette dame avoit en avec la reine. et la reine mère l'honorant d'une affection particulière, nous avons lieu de croire que c'est d'elle dont il s'agit ici, et par conséquent que cette lettre a été écrite immédiatement avant sa mort le caractère de l'écriture et le style même nous confirment dans cette pensée; c'est pourquoi nous fixons la date de cette lettre vers 1665,

ou à celle de Marie-Thérèse ; c'est-à-dire, qu'elle a été écrite ou

au lieu de consoler les fidèles, auroit redoublé leur douleur. Car s'il n'avoit dessein de nous obliger à faire que notre espérance l'emportât de beaucoup par-dessus la crainte, n'est-il pas véritable, madame, que ce grand homme ne devoit pas dire, Ne vous affligez pas comme les Gentils; mais plutôt, Affligez-vous plus que les Gentils, et ne vous consolez pas comme eux? Il leur est aisé de se consoler, puisqu'ils croient que les morts ne sont plus en état de souffrir. Mais à vous il n'en est pas de la sorte; puisque la vérité vous a appris qu'il y a un lieu de tourments, à comparaison desquels tous ceux de cette vie ne sont qu'un songe.

Il est bien certain, madame, qu'à prendre les choses de cette sorte, les chrétiens ayant beaucoup plus à craindre, doivent être par conséquent plus sensibles à la mort des leurs : néanmoins il est remarquable que saint Paul ne les reprend pas de ce qu'ils se consolent; mais il les reprend de ce qu'ils s'affligent comme les Gentils, qui n'ont pas d'espérance et nous pouvons assurer, sans doute, qu'il n'auroit jamais parlé de la sorte,

I Thess. IV, 12,

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s'il n'eût vu dans la vérité éternelle, dont son esprit étoit éclairé, qu'il y a sans comparaison plus de sujet de bien espérer, qu'il n'y a de raison de craindre.

C'est ce que saint Paul veut que nous pratiquions pour les morts: mais il ne faut pas abuser de cette doctrine, ni, sous le prétexte de cette espérance qu'il nous ordonne d'avoir pour eux, flatter la confiance folle et téméraire de quelques chrétiens mal-vivants. Voyons donc, s'il vous plait, madame, quels sont ces bienheureux morts qui laissent tant d'espérance à ceux qui survivent. Ce sont, sans doute, ceux qui meurent avec les marques de leur espérance; c'est-à-dire, dans la participation des saints sacrements, et qui rendent les derniers soupirs entre les bras de l'Eglise, ou plutôt entre les bras de Jésus-Christ même, en recevant son corps adorable. De tels morts, madame, ne sont pas à plaindre; c'est leur faire injure que de les appeler morts, puisqu'on les voit sortir de ce monde au milieu de ces remèdes sacrés, qui contiennent une semence de vie éternelle. Le sang de Jésus-Christ ayant abondamment coulé sur leurs ames par ces sources fécondes des sacrements, ils peuvent hardiment soutenir l'aspect de leur juge, qui, tout rigoureux qu'il est aux pécheurs, ne trouve rien à condamner où il voit les traces du sang de son fils.

C'est à ceux qui ont perdu de tels morts, que saint Augustin, en suivant l'apôtre, permet véritablement de s'affliger; mais d'une douleur qui | puisse être aisément guérie: il leur permet de verser des pleurs, mais qui soient bientôt essuyés par la foi et par l'espérance'. Et il me semble que c'est à vous que ces paroles sont adressées: car souffrez que je rappelle en votre mémoire de quelle sorte notre illustre mort a participé aux saints sacrements. A-t-il été de ceux à qui il les faut faire recevoir par force, qui s'imaginent håter leur mort quand ils pensent à leur confession, qui attendent à se reconnoître quand ils perdent la connoissance? Il a été lui-même audevant; il s'est préparé à la mort avant le commencement de sa maladie. Il n'a pas imité ces lâches chrétiens qui attendent que les médecins les aient condamnés, pour se faire absoudre par les prêtres; et qui méprisent si fort leur ame, qu'ils ne pensent à la sauver que lorsque le corps est désespéré : bien loin d'attendre la condamnation, il a prévenu même la menace, et sa confession générale a été non seulement devant le danger, mais encore devant le mal.

Ce n'est pas à moi de vous dire ce que peuvent les sacrements reçus de la sorte; toute l'Église

* Serm. CLXXn, n. 3. tom. v, col. 828.

vous le dit assez : et saint Augustin, qui tremble pour les pécheurs qui attendent à se convertir à l'extrémité de la vie, ne craint pas de nous assurer de la réconciliation de ceux qui se préparent à la recevoir pendant la santé '. Rendons graces à Dieu, madame, de ce qu'il a inspiré cette pensée à feu M. le M., de ce que depuis tant d'années il l'avertissoit si souvent par les maladies dont il le frappoit; et que non seulement il l'avertissoit, mais qu'il lui faisoit sentir dans le cœur ces salutaires avertissements.

Mais pourrions-nous oublier ici la manière dont il l'a ôté de ce monde, et ce jugement si net et si tranquille qu'il lui a laissé jusqu'à la mort, afin qu'il n'y eût pas un moment qu'il ne pût faire profiter pour l'éternité? C'est, madame, la fin d'un prédestiné. Il voyoit la mort s'avancer à lui; il la sentoit venir pas à pas; il a communié dans cette créance : il a repassé ses ans écoulés, comme un homme qui se préparoit à paroître devant son juge pour y rendre compte de ses actions : il a reconnu ses péchés; et quand on lui a demandé s'il n'imploroit pas la miséricorde divine pour en obtenir le pardon, ce oui salutaire qu'il a répondu ne lui a pas été arraché à force de lui crier aux oreilles; c'est lui-même, de son plein gré, qui, d'un sens rassis et d'un cœur humilié devant Dieu, lui confessant ses iniquités, lui en a demandé pardon par le mérite du sang de son Fils, dont il a adoré la vertu présente dans l'usage de ses sacrements. Tout cela ne vous dit-il pas qu'il est de ces morts mille fois heureux qui meurent en notre Seigneur; et qu'étant sorti avec ses livrées, le nom de Jésus-Christ à la bouche, le Père le reconnoissant à ces belles marques pour l'une des brebis de son Fils, l'aura jugé à son tribunal selon ses grandes miséricordes ?

Je ne vous parle ici, madame, que de ce qu'il a fait en mourant: mais si je voulois vous représenter les bonnes actions de sa vie, desquelles j'ai été le témoin, quand aurois-je achevé cette lettre? Trouvez bon seulement que je vous fasse ressouvenir de sa tendresse paternelle pour les pauvres peuples; c'est le plus bel endroit de sa vie, et que les vrais chrétiens estimeront plus que la gloire de tant de victoires qu'il a remportées. Nous lisons dans la sainte Écriture une chose remarquable de Néhémias. Ce grand homme étant envoyé pour régir le peuple de Dieu en Jérusalem, il nous a raconté lui-même, dans l'histoire qu'il a composée de son gouvernement, qu'il n'avoit point foulé le peuple comme les autres gouverneurs (ce sont les propres mots dont il se sert), qu'il s'étoit même relâché de ce qui lui

Serm. cccxcm; lom. v, col. 1507.

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n'étoit pas du nombre de ceux qui ont reçu leur récompense en ce monde. Il a crié à Dieu dans l'affliction et dans la douleur; lorsque sa main s'est appesantie sur lui, il lui a fait un sacrifice des souffrances qu'il lui envoyoit.Jene puis assez vous dire, madame, combien ces prières lui sont agréables, et la force qu'elles ont pour expier tout ce qui se mêle en nous de foiblesse humaine parmi les douleurs violentes. Il est donc avec Jésus-Christ, il est avec les esprits célestes; ou, si quelque reste de péché le sépare pour un temps de leur com

étoit dû légitimement; qu'il n'avoit jamais épargné ses soins; et qu'il avoit employé son autorité à faire vivre le peuple en repos, à faire fleurir la religion, à faire régner la justice'; après quoi il ajoute ces paroles: « Seigneur, souvenez-vous » de moi en bien, selon le bien que j'ai fait à ce » peuple 2. » C'est qu'il savoit, madame, que, de toutes les bonnes œuvres qui montent devant la face de Dieu, il n'y en a point qui lui plaisent plus que celles qui soulagent les misérables, et qui soutiennent l'opprimé qui est sans appui. Il savoit que ce Dieu, dont la nature est si bienfai-pagnie, il a du moins ceci de commun avec eux, sante, se souvient, en son bon plaisir, de ceux qui se rendent semblables à lui, en imitant ses miséricordes. Puisque M. le M. a gouverné les peuples dans le sentimsnt et dans l'esprit de Néhémias, nous avons juste sujet de croire qu'il aura eu part à sa récompense; et que Dieu, se souvenant de lui en bien, aura oublié ses péchés.

Consolez-vous, madame, dans cette pensée; et ne songez pas tellement à la sévérité de ses jugements, que vous n'ayez dans l'esprit ses grandes et infinies miséricordes. S'il nous vouloit juger en rigueur, nulle créature vivante ne pour roit paroître devant sa face; c'est pourquoi ce bon père, sachant notre foiblesse, nous a lui-même donné les moyens de nous mettre à couvert de ses jugements. Il a dit, comme vous remarquez, qu'il jugeroit les justices 3; mais il a dit aussi qu'il feroit miséricorde aux miséricordieux : et quoique nos péchés les plus secrets ne puissent échapper les regards de cet œil qui sonde le fond des cœurs, néanmoins la charité les lui couvre : elle couvre non seulement quelques péchés, mais encore la multitude des péchés 3.

M. le M. a été bienfaisant dans cette pensée; et quoique sa générosité naturelle, dont le fonds étoit inépuisable, le portât assez à faire du bien, 'il ne l'en a pas crue toute seule; il a voulu la relever par des sentiments chrétiens : il a pensé à se faire des amis qui le pussent recevoir un jour dans les tabernacles éternels; et je ne puis me ressouvenir des belles choses qu'il m'a dites sur ce sujet-là, sans en avoir le cœur attendri. C'est, madame, ce qui me persuade (et ce qui me persuade fortement) que Dieu l'aura jugé selon ses bontés : c'est pourquoi il l'a frappé, parce qu'il ne vouloit pas le frap per: je veux dire qu'il ne l'a pas épargné en cette vie, parce qu'il vouloit l'épargner en l'autre. Vous savez les peines d'esprit et de corps qui l'ont suivi jusqu'au tombeau, sans lui donner aucun relâche, Dieu a voulu, madame, que vous et ses fidèles serviteurs eussent la consolation de voir qu'il

II. Esdr. v. 15. —2 Ibid, 19. — * P§. LXXIV. 3. -Matt. v. 7. I. Petr. Iv. 8.

qu'il jouit de cette bienheureuse assurance qui fait la principale partie de leur félicité, parcequ'elle établit solidement leur repos.

Que s'il est en repos, madame, il est juste aussi que vous y soyez. Je sais bien que vous n'avez pas une certitude infaillible; ce repos est réservé pour la vie future, où la vérité découverte ne laissera plus aucun nuage qui puisse obscurcir nos connoissances: mais les fidèles qui sont en terre ne laissent pas d'avoir leur repos, par l'espérance qu'ils ont de rejoindre au ciel ceux dont ils regrettent la perte. Et cette espérance est si bien fondée, quand on a les belles marques que vous avez vues, que l'Écriture, qui ne ment jamais, ne craint pas de nous assurer qu'elle doit faire cesser nos inquiétudes, et même nous donner de la joie. C'est ce repos, madame, que je vous conseille de prendre; et cependant nous admirerons qu'après tant de temps écoulé, votre douleur demeure si vive, que vous ayez encore besoin d'être consolée. On voit peu d'exemples pareils; mais aussi ne voit-on pas souvent une amitié si ferme, ni une fidélité si rare que la vôtre.

Mais je passe encore plus loin; et j'avoue que votre douleur naissant des pensées de l'éternité, le temps ne doit pas lui donner d'atteinte. Qu'elle ne cède donc pas au temps; mais qu'elle se laisse guérir par la vérité éternelle, et par la doctrine de son Évangile. Voyant durer vos inquiétudes, j'ai cru que le service que je vous dois m'obligeoit à vous la représenter selon que Dieu me l'a fait connoître. Si j'ai touché un peu rudement l'endroit où vous êtes blessée, c'est-à-dire, si je n'ai pas assez épargné votre douleur, je vous supplie de le pardonner à l'opinion que j'ai de votre constance.

Je suis, etc.

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