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Jeune encor, ses écrits excitèrent l'envie:
Mais il en triompha par leur sublimité.
A peine il vit briller l'aurore de sa vie,
Qu'il vous parut déjà dans sa maturité.
S'il cueillit en Nestor les fruits de sa jeunesse,
Dix-sept lustres n'ont point ralenti ses talents :
L'âge, qui détruit tout, rajeunit sa vieillesse :
Son génie étoit fait pour braver tous les temps.
Albion, qui prétend nous servir de modèle,

Croit que Locke et Newton n'eurent jamais d'égaux;
Le Germain, que Leibnitz compte peu de rivaux ;
Et nous, que l'univers n'aura qu'un Fontenelle.
Prodigue en sa faveur, le ciel n'a point borné
Les présents qu'il lui fit au seul don du génie;
Minerve l'instruisit, et son cœur fut orné
De toutes les vertus par les soins d'Uranie.
Loin de s'enorgueillir de l'éclat de son nom,
Modeste, retenu, simple, même timide,

On diroit quelquefois qu'il craint d'avoir raison,
Et n'ose prononcer un avis qui décide.

Illustres compagnons de ce nouveau Nestor,
Assemblés lui ceindre une double couronne,

pour

Pour la rendre à ses yeux plus précieuse encor,
Parez-la des lauriers que votre main moissonne.
C'est ici le séjour de l'immortalité.

En vain mille ennemis attaquent votre gloire :
Ces auteurs ténébreux passeront l'onde noire;
C'est vous qui tiendrez lieu de la postérité.
Si les écrits pervers, la noirceur, l'impudence,
Ont fermé votre temple aux hommes sans honneur,

Les talents, le génie et la noble candeur

Ont toujours parmi vous trouvé leur récompense.
Le soin de célébrer le plus grand des mortels

N'est pas, quoique constant, le seul qui vous anime :
Quelquefois des mortels d'un ordre moins sublime
Ont vu brûler pour eux l'encens sur vos autels.
Daignez donc soutenir le zèle qui m'inspire;
Pour chanter Fontenelle il faut plus d'une voix.
Ranimez les accents d'un vieux chantre aux abois,
Ou du moins un moment prêtez-moi votre lyre.
Assidu parmi vous,
dix lustres de travaux

Ont déjà signalé sa brillante carrière;

Mais ce ne fut pour vous qu'un instant de lumière:
Condamnez Fontenelle à dix lustres nouveaux.
Pour pénétrer le ciel en ses routes profondes,
Destin, accorde-lui des jours sains et nombreux :
Il en fallut beaucoup pour parcourir les Mondes;
Il en faut encor plus pour contenter nos vœux.

COMPLIMENT

AU ROI

SUR LE RÉTABLISSEMENT DE SA SANTÉ, le mardi 17 novembre 1744.

SIRE,

Votre majesté vient de voir, dans nos transports et dans nos acclamations, une image naïve de l'état déplorable où la crainte de perdre un si digne souverain avoit réduit toute la France; et on ne lira point sans étonnement que le plus aimable et le meilleur de tous les rois nous ait coûté plus de larmes que les tyrans n'en ont jamais fait répandre. L'admiration des étrangers et l'amour des peuples furent toujours des objets de la plus noble ambition. César lui-même se fût estimé trop heureux de pouvoir inspirer ces sentiments dans le cours d'une longue vie; et votre majesté, qui les inspira dės l'enfance, qui les a justifiés chaque jour, nous en a fait une sorte de religion dans le cours de six mois,

Trop heureux les François, si votre majesté, plus ménagère d'une vie si précieuse, n'éprouvoit pas si souvent leur tendresse, et ne leur causoit pas des alarmes plus terribles pour eux que la haine d'un ennemi qui, graces à votre valeur, ne leur donne plus d'autre soin que celui de vous élever des trophées! Puisse l'Académie françoise, sire, après avoir partagé si vivement la douleur et la joie de tant de fidèles sujets, célébrer, au gré de ses vœux, les vertus d'un si grand maître !

Crabillon. 3.

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RÉCITÉS AU ROI A LA SUITE DU COMPLIMENT,

QUEL orage soudain s'élève et m'environne!

L'épouvante et l'horreur règnent de toutes parts.
Que de gémissements! l'air mugit, le ciel tonne.
Dieux ! quels tristes objets s'offrent à mes regards!
Où suis-je ? Quoi ! je touche à l'infernale rive!
François infortunés, y portez-vous vos pas?
Qui vous amène en foule aux portes du trépas?
J'entends parmi vos pleurs une bouche plaintive
Articuler des mots qui me glacent d'effroi :

«< O déplorable sang! ô malheureuse reine!... >>

"

La reine!... Ah! c'en est fait, notre mort est certaine :
La France va donc perdre et son père et son roi !

François, le désespoir où votre ame se livre
Doit aller aussi loin que la rigueur du sort.
Si Louis ne vit plus, il faut cesser de vivre:
Pouvons-nous souhaiter une plus digne mort?
Roi, notre unique bien, quoi!la Parque perfide
Voudroit porter sur vous une main parricide!...

Mais quel bruit éclatant vient agiter les airs?
Quelle étrange lueur roule dans les ténèbres ?
A travers tant d'objets terribles et funèbres,
Je vois quelque clarté pâlir dans les enfers.

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