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D quoi vous plaignez-vous, quand c'est vous seul, ingrat, Qui voulez aujourd'hui convoquer le sénat?

Si vous vous obstinez encore à vous défendre,

Le consul à son tour voudra s'y faire entendre;
Et bientôt vos amis, ardents et furieux,

De carnage et d'horreur vont remplir tous ces lieux.
Voulez-vous mettre en feu la ville infortunée
Que votre amante habite, où votre amante est née ?
Laissez-moi désarmer vos redoutables mains;
Accordez à mes pleurs la grace des Romains;
Et qu'il soit dit du moins de l'heureuse Tullie
Que le dieu de son cœur fut dieu de sa patrie.

CATILINA.

Ah! madame, cessez de vouloir m'abuser :
J'aimerois mieux vous voir, constante à m'accuser,

Armer contre ma vie un sénat qui m'abhorre.
Quoi!c'est moi qu'on veut perdre, et c'est moi qu'on implore!
Que dis-je? c'est à moi que Tullie a recours

Pour sauver les cruels qui poursuivent mes jours!
C'est pour eux, non pour moi, qu'elle verse des larmes !
Et, loin de m'arracher à leurs perfides armes,

Je la vois avec eux conspirer à l'envi!

Rendez-moi donc l'honneur que vous m'avez ravi,
Si vous ne voulez pas que j'aille le défendre.

Mais en vain par vos pleurs on cherche à me surprendre.
Eh! sur quoi votre amour prétend-il m'émouvoir?
A-t-il dans votre coeur triomphé du devoir ?
Quoi! sur le seul rapport d'un témoin méprisable,
Sans rien examiner, vous me croyez coupable!

Et, sans en exiger d'autre éclaircissement,

Votre austère vertu sacrifie un amant !

Cet exemple est si grand, qu'il faut que je l'imite.
Plus vous m'attendrissez, plus mon honneur m'invite
A m'immoler moi-même à ce que je me dois.

TULLIE.

Hé bien ! cruel, adieu pour la dernière fois.

CATILINA, seul.

Que je me sens touché ! que mon ame est émue!
Ah! que n'ai-je évité cette fatale vue !

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Que dès ce même instant, seigneur, il faut partir :
Tout s'arme contre vous, et le sénat s'assemble.

CATILINA.

Qu'aurois-je à redouter d'un ennemi qui tremble?
Je veux, à commencer par le plus fier de tous,
Les voir dans un moment tomber à mes genoux;
Et je vais les trouver.

PROBUS.

Quoi ! seul et sans défense? CATILIN A.

Aucun d'eux n'osera soutenir ma présence;

Ainsi ne craignez rien.

PROBUS.

Seigneur, y pensez-vous ? Songez que Romulus expira sous leurs coups. Je ne condamne point une noble assurance; Mais on n'en doit pas moins consulter la prudence. Plus le sénat vous craint, plus il faut du sénat Craindre contre vos jours un secret attentat.

CATILINA.

Non, Probus; et je brave un péril qui vous glace.
Le succès fut toujours un enfant de l'audace.
L'homme prudent voit trop, l'illusion le suit ;
L'intrépide voit mieux, et le fantôme fuit:
L'instant le plus terrible éclaire son courage,
Et le plus téméraire est alors le plus sage.
L'imprudence n'est pas dans la témérité ;
Elle est dans un projet faux et mal concerté :
Mais, s'il est bien suivi, c'est un trait de prudence
Que d'aller quelquefois jusques à l'insolence;

Et je sais, pour domter les plus impérieux,

Qu'il faut souvent moins d'art que de mépris pour eux. Adieu. Dans un moment ils me verront paroître

En criminel qui vient leur annoncer un maître.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

Crébillon. 3.

5

ACTE QUATRIÈME.

SCENE I.

CICERON, CRASSUS, CATON, et le reste des sénateurs.

CICERON.

ARBITRES Souverains de Rome et de ses lois,

Qui parmi vos sujets comptez les plus grands rois,
Je ne viens point ici, jaloux de votre gloire,
Briguer avec éclat le prix d'une victoire :
Le sort, à mes pareils prodiguant ses faveurs,
Me réservoit le soin d'annoncer des malheurs.
De mon amour pour vous tel est le premier gage,
Et de mon consulat le funeste partage.
Tandis qu'enorgueillis par tant d'heureux travaux
Vous pouviez méditer des triomphes nouveaux,
De la terre et des mers vous promettre l'empire,
Un seul homme à vos yeux travaille à vous proscrire.
Pourrai-je sans frémir nommer Catilina,

L'héritier des fureurs du barbare Sylla;

Lui que la cruauté, l'orgueil et l'insolence

N'ont que trop parmi nous signalé dès l'enfance;

Lui qui, toujours coupable et toujours impuni,
Veut ce que n'eût osé l'univers réuni,

Subjuguer les Romains? O vous que Rome adore,
Et qui par vos vertus la soutenez encore;
Vous, l'appui du sénat et l'exemple à-la-fois,
Incorruptible ami de l'état et des lois,

Parlez, divin Caton.

CATON.

Eh! que pourrois-je dire

En des lieux où l'honneur ne tient plus son empire,
Où l'intérêt, l'orgueil, commandent tour à tour;
Où la vertu n'a plus qu'un timide séjour;
Où de tant de héros je vois flétrir la gloire?

Et comment l'univers pourra-t-il jamais croire
Que Rome eut un sénat et des législateurs,
Quand les Romains n'ont plus ni lois ni sénateurs?'
Où retrouver enfin les traces de nos pères

Dans des cœurs corrompus par des mœurs étrangères ?
Moi-même, qui l'ai vu briller de tant d'éclat,
Puis-je me croire encore au milieu du sénat?
Ah! de vos premiers temps rappelez la mémoire.
Mais ce n'est plus pour vous qu'une frivole histoire :
Vous imitez si mal vos illustres aïeux,

Que leurs noms sont pour vous des noms injurieux.
Mais de quoi se plaint-on ? Catilina conspire!
Est-il si criminel d'aspirer à l'empire,
Dès que vous renoncez vous-mêmes à régner?
Un trône, quel qu'il soit, n'est point à dédaigner.
Non, non, Catilina n'est pas le plus coupable.
Voyez de votre état la chute épouvantable,

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