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Nouvelle scène 111* du 11. acte.

CICERON, TULLIE.

TULLIE.

Je viens en ce moment

E

D'avoir avec Probus un éclaircissement.

J'ai vu l'esclave aussi, mais ce n'est plus le même;
Ainsi que sa fierté, son audace est extrême.
Probus dans ses discours ne me laisse entrevoir
Que de nouveaux sujets d'horreur, de désespoir;
Et, loin que votre aspect dissipe mes alarmes,
Je vous vois prêt, seigneur, à répandre des larmes.
CICERON.

Ma fille, quel secret m'avez-vous découvert !
Votre zèle trop prompt nous trahit et nous perd.
Ce jour, qui n'auroit dû briller que pour ma gloire,
Et parmi les Romains consacrer ma mémoire,
Ce jour, que je croyois le plus beau de mes jours,
Loin de les illustrer, en va flétrir le cours.
Jamais Catilina ne fut plus redoutable
Qu'au moment que j'ai cru sa perte inévitable.
Malgré tous ses détours, j'entrevois ce qu'il veut;
Mais nous serions perdus, s'il osoit ce qu'il peut.

⭑ Cette scène n'a point été imprimée du vivant de M. de Crébillon, et a été trouvée dans ses papiers on sentira facilement pourquoi il l'a supprimée.

La moitié du sénat, tremblante ou corrompue,
N'offre que perfidie ou foiblesse à ma vue;
Et l'esclave lui seul me cause plus d'effroi,
Que tous les ennemis conjurés contre moi.
C'est Fulvie en un mot, dont la haine fatale
Poursuit moins aujourd'hui l'amant que la rivale;
Qui, prompte à démentir de fidèles rapports,
Vous veut associer à de honteux transports,
Vous faire soupçonner d'une flamme coupable
Qui du sénat entier va vous rendre la fable,
Si nous ne fléchissons un barbare ennemi
Que l'on ne vit jamais se venger à demi.
Cependant, pour sauver votre gloire et la mienne,
Il faut loin du senat qu'un piège le retienne.
Essayez sur son cœur le pouvoir de vos yeux.
Songez qu'il faut surtout l'éloigner de ces lieux;
S'il paroît au sénat et qu'il se justifie,
Vous m'en verrez sortir couvert d'ignominie.
Catilina vous aime, et l'espoir d'être à vous
Peut-être calmera sa haine et son courroux.

TULLIE.

Mais si je fléchissois ce superbe courage,
Si d'un espoir flatteur il demandoit un gage,
Pourrois-je en sûreté lui promettre ma main?
Et si je la promets, l'obtiendra-t-il enfin?
Seigneur, vous vous taisez....

CICERON.

Ah! ma chère Tullie,

Qu'au sort d'un furieux votre père vous lie...

Me préserve le ciel de cet horrible choix !

TULLIE.

Je fus toujours soumise à ce que je vous dois

Mais à Catilina, seigneur, si je m'engage,

Ma main au même instant deviendra son partage;
Mon cœur tentera tout pour désarmer le sien:
Mais s'il faut le tromper, je ne vous promets rien.
CICERON.

Tromper un ennemi digne de notre estime,

Ce n'est pas se venger, c'est se souiller d'un crime;
Mais tromper des pervers et des séditieux,
Lorsque dans leur fureur rien n'est sacré pour eux,
Ce n'est que profiter des exemples qu'ils donnent.
Ainsi que vos refus, vos scrupules m'étonnent.
Il s'agit de sauver mon honneur au sénat,
Et votre cœur balance en faveur d'un ingrat !
Eh bien ! venez donc voir immoler votre père,
Et de fleuves de sang inonder Rome entière.
Mais vous ne m'aimez plus, et la nature en vain
Me peindroit à vos yeux un poignard dans le sein.

TULLIE.

Ah! daignez m'épargner un si cruel outrage :
D'un père que j'adore est-ce là le langage?
Quoi! ce père si cher, dont les augustes mains
M'ont tant de fois tracé de plus nobles chemins,
Voudroit-il employer sa divine éloquence
A corrompre des cœurs nourris dans l'innocence?
Eh!
que n'ai-je point fait pour vous prouver ma foi?
J'ai perdu mon amant, qu'exigez-vous de moi?

CICERON.

A! ma fille, étouffez une tendresse vaine;
Soat-ce là des transports dignes d'une Romaine?
Quoi! votre cœur s'arrête à des scrupules vains,
Et dédaigne l'honneur de sauver les Romains !

Catilina bientôt dans ces lieux va paroître ;

Adieu, songez qu'il faut perdre ou gagner ce traître, Que vous êtes enfin fille de Cicéron.

Retournez chez Probus; moi, je vais chez Caton.

C'est là què je pourrai dans le cœur d'un seul homme

Retrouver à-la-fois nos dieux, nos lois, et Rome.

Crébillon. 3.

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