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LE TRIUMVIRAT,

O U

LA MORT DE CICÉRON,

TRAGÉDIE,

REPRÉSENTÉE pour la première fois le 23 décembre 1754.

A MADAME BIGNON,

MAITRESSE DES REQUÊTES.

MADAME,

Vous dédier le TRIUMVIRAT, c'est offrir un enfant à sa mère : heureux si vous vous en fussiez moins rapportée à moi pour son éducation! plus heureux encore si vous eussiez pu le douer d'une portion de ce génie si sage et si éclairé qui fut votre partage, mais qu'une modestie portée jusqu'à l'excès vous force trop souvent de condamner à un silence injurieux pour vos amis ! Y en a-t-il qui se lassent de vous entendre ? Quand on sait si bien penser

et si bien parter, je crois, madame, qu'il est honteux de se taire. Je souhaite que ce reproche fasse plus d'effet sur vous, que n'en ont fait sur moi vos judicieux avis; mais on n'est pas poëte impunement. Malgré un grand nombre de fautes, que j'aurois pu éviter si je n'eusse consulté que vous, je me flatte que vous daignerez accepter sans répugnance l'hommage que je vous rends, avec serment d'être plus docile dans le nouvel ouvrage que vous me forcez d'entreprendre. Vouloir bien devenir, à votre âge, le précepteur d'un homme de quatrevingt-un ans est un trait digne de vous.

Je suis, avec le plus profond respect,

MADAME,

votre très humble et très obéissant

serviteur,

JOLYOT DE CRÉBILLON.

L

que

Il y a peu d'exemples qu'un homme de quatrevingt-un ans, âge qui semble inviter à l'indulgence, se soit vu aussi cruellement traité par la cabale je le fus à la première apparition de cet ouvrage. Il est rare en même temps que le public se soit jamais déclaré si vivement et si promptement contre des manœuvres odieuses qui l'avoient indigné, puisqu'à la seconde représentation de cette tragédie il me prodigua plus d'applaudissements que je n'en reçus de ma vie à aucune de mes pièces. On eût dit qu'il se faisoit un point d'honneur de protéger un vieux nourrisson qu'il a paru adopter dės ses premières productions. Malgré les bontés dont il m'a honoré, la cabale n'en á pas moins répandu d'absurdités contre cet ouvrage, jusqu'à dire que c'étoit un réchauffé de CROMWEL. Si j'aimois la vengeance, rien ne pourroit plus contribuer à la satisfaire qu'une méchanceté si stupide. Je laisse à pen ser quel rapport il peut y avoir entre le TRIUMVIRAT et CROMWEL. Si j'avois un peu plus d'amour-propre, ce déchaînement me feroit croire que je puis encore exciter l'envie; mais je n'en aurai jamais d'autre que celle de mériter les suffrages du public, et de lui donner des marques de ma reconnoissance. Je ne puis mieux le lui prouver qu'en continuant d'augmenter la mauvaise humeur de mes ennemis par de nouveaux ouvrages.

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