Images de page
PDF
ePub

DISCOURS

DE LA MÉTHODE.

ESCARTES, T. I.

Ce discours a été écrit en français par Descartes. Il fut imprimé d'abord à Leyde en 1637, in-4o, avec la Dioptrique, les Météores et la Géométrie; puis à Paris, in-4°, 1658, Legras. 1668, Angot; et in-12, 1724, avec la Dioptrique, les Mété res, la Mécanique et la Musique, et sans la Géométrie.

Il parut en 1644 une traduction latine du Discours de la Méthode, de la Dioptrique et des Météores. Cette traduction, composée par l'abbé de Courcelles, fut revue par Descartes, qui la fit précéder de cet avertissement :

R. DESCARTES LECTORI SUO.

S. D.

Hæc specimina gallice a me scripta, et anno 1637 vulgata, paulo post ab amico in linguam latinam versa fuere, ac versio mihi tradita, ut quidquid in ea minus placeret, pro meo jure, mutarem : quod variis in locis feci; sed forsan etiam alia multa prætermisi, hæcque ab illis ex eo dignoscentur, quod ubique fere fidus interpres verbum verbo reddere conatus sit, ego vero sententias ipsas sæpe mutarim, et non ejus verba, sed meum sensum emendare uhique studuerim. Vale.

Nous aurons soin de noter au bas des pages les corrections et additions faites par Descartes dans la traduction latine.

DE LA MÉTHODE

POUR BIEN CONDUIRE SA RAISON

ET CHERCHER LA VÉRITÉ DANS LES SCIENCES,

Si ce discours semble trop long pour être lu en une fois, on le pourra distinguer en six parties: et en la première on trouvera diverses considérations touchant les sciences; en la seconde, les principales règles de la méthode que l'auteur a cherchée; en la troisième, quelques-unes de celles de la morale qu'il a tirée de cette méthode; en la quatrième, les raisons par lesquelles il prouve l'existence de Dieu et de l'ame humaine, qui sont les fondemens de sa Métaphysique; en la cinquième, l'ordre des questions de physique qu'il a cherchées, et particulièrement l'explication du mouvement du cœur et de quelques autres difficultés qui appartiennent à la médecine, puis aussi la différence qui est entre notre ame et celle des bêtes; et en la dernière, quelles choses il croit être requises pour aller plus avant en la recherche de la nature qu'il n'a été, et quelles raisons l'ont fait écrire.

[ocr errors]

PREMIÈRE PARTIE.

CONSIDERATIONS TOUCHANT LES SCIENCES.

(1) Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est

proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes ames sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort leatement peuvent avancer beaucoup davantage s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent.

(2) Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci qui servent à la perfection de l'esprit : car pour la raison, ou le sens1, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun; et suivre en ceci l'opinion commune des philosophes qui disent qu'il n'y a du plus et du moins qu'entre les accidens, et non point entre les formes ou natures2 des individus d'une même espèce.

(3) Mais je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d'heur de m'être rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m'ont conduit à des considérations et des maximes dont j'ai formé une méthode par laquelle il me semble que j'ai moyen d'augmenter par degrés ma connaissance, et de l'élever peu à peu au plus haut point auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d'atteindre. Car j'en ai déjà 1 Ces mots sont supprimés dans la traduction latine. * Il y a dans la traduction latine: formas substantiales.

recueilli de tels fruits, qu'encore qu'au jugement que je fais de moi-même je tâche toujours de pencher vers le côté de la défiance plutôt que vers celui de la présomption, et que regardant d'un œil de philosophe les diverses actions et entreprises de tous les hommes il n'y en ait quasi aucune qui ne me semble vaine et inutile, je ne laisse pas de recevoir une extreme satisfaction du progrès que je pense avoir déjà fait en la recherche de la vérité, et de concevoir de telles espérances pour l'avenir, que si, entre les occupations des hommes, purement hommes, il y en a quelqu'une qui soit solidement bonne et importante, j'ose croire que c'est celle que j'ai choisie.

(4) Toutefois il se peut faire que je me trompe, et ce n'est peut-être qu'un peu de cuivre et de verre que je prends pour de l'or et des diamans. Je sais combien nous sommes sujets à nous méprendre en ce qui nous touche, et combien aussi les jugemens de nos amis nous doivent être suspects, lorsqu'ils sont en notre faveur. Mais je serai bien aise de faire voir en ce discours quels sont les chemins que j'ai suivis, et d'y représenter ma vie comme en un tableau, afin que chacun en puisse juger, et qu'apprenant du bruit commun 2 les opinions qu'on en aura ce soit un nouveau moyen de m'instruire, que j'ajouterai à ceux dont j'ai coutume de me servir.

(5) Ainsi mon dessein n'est pas d'enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ai tâché de conduire la mienne. Ceux qui se mêlent de donner des préceptes se doivent estimer plus habiles que ceux auxquels ils les donnent; et s'ils manquent en la moindre chose, ils en sont blâmables. Mais ne proposant cet écrit que comme une histoire, ou, si vous l'aimez mieux, que comme une fable, en laquelle, parmi quelques exemples

' Il y a dans la traduction latine : vendito.

' Il y a de plus dans le latin : ipse post tabulam delitescens,

« PrécédentContinuer »