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Dieu, dis-je, qui étant souverainement parfait ne peut être cause d'aucune erreur; et par conséquent il faut conclure qu'une telle conception ou un tel jugement' est véritable. Au reste je n'ai pas seulement appris aujourd'hui ce que je dois éviter pour ne plus faillir, mais aussi ce que je dois faire pour parvenir à la connaissance de la vérité. Car certainement j'y parviendrai si j'arrête suffisamment mon attention sur toutes les choses que je conçois parfaitement, et si je les sépare des autres que je ne conçois qu'avec confusion et obscurité : à quoi dorénavant je prendrai soigneusement garde.

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MÉDITATION CINQUIÈME.

DE L'ESSENCE DEs choses matérIELLES, ET, DERECHEF, DE DIEU; QU'IL HXISTE.

(1) Il me reste beaucoup d'autres choses à examiner touchant les attributs de Dieu et touchant ma propre nature, c'est-à-dire celle de mon esprit : mais j'en reprendrai peut-être une autre fois la recherche. Maintenant, après avoir remarqué ce qu'il faut faire ou éviter pour parvenir à la connaissance de la vérité, ce que j'ai prinė cipalement à faire est d'essayer de sortir et me débarrasser de tous les doutes où je suis tombé ces jours passés, et de voir si l'on ne peut rien connaître de certain tou chant les choses matérielles. Mais avant que j'examine s'il y a de telles choses qui existent hors de moi, je dois considérer leurs idées en tant qu'elles sont en ma pensée, et voir quelles sont celles qui sont distinctes, et quelles sont celles qui sont confuses.

(2) En premier lieu, j'imagine distinctement cette quantité que les philosophes appellent vulgairement la quantité continue, ou bien l'extension en longueur, largeur et profondeur, qui est en cette quantité, ou plutôt en la chose à qui on l'attribue. De plus, je puis nombrer en elle plusieurs diverses parties, et attribuer à chacune de ces parties toutes sortes de grandeurs, de figures, de situations et de mouvemens; et enfin, je puis assigner à chacun de ces mouvemens toutes sortes de durées. Et je ne connais pas seulement ces choses avec distinction, lorsque je les considère ainsi en général; mais aussi, pour peu que j'y applique mon attention, je viens à connaître

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une infinité de particularités touchant les nombres, les figures, les mouvemens, et autres choses semblables, dont la vérité se fait paraître avec tant d'évidence et s'accorde si bien avec ma nature, que lorsque je commence à les découvrir, il ne me semble pas que j'apprenne rien de nouveau, mais plutôt que je me ressouviens de ce que je savais déjà auparavant, c'est-à-dire que j'aperçois des choses qui étaient déjà dans mon esprit, quoique je n'eusse pas encore tourné ma pensée vers elles. Et ce que je trouve ici de plus considérable, c'est que je trouve en moi une infinité d'idées de certaines choses qui ne peuvent pas être estimées un pur néant, quoique peut-être elles n'aient aucune existence hors de ma pensée, et qui ne sont pas feintes par moi, bien qu'il soit en ma liberté de les penser ou de ne les penser pas; mais qui ont leurs vraies et immuables natures. Comme, par exemple, lorsque j'imagine un triangle, encore qu'il n'y ait peut-être en aucun lieu du monde hors de ma pensée une telle figure, et qu'il n'y en ait jamais eu, il ne laisse pas néanmoins d'y avoir une certaine nature, ou forme, ou essence déterminée de cette figure, laquelle est immuable et éternelle, que je n'ai point inventée, et qui ne dépend en aucune façon de mon esprit; comme il paraît de ce que l'on peut démontrer diverses propriétés de ce triangle, à savoir, que ses trois angles sont égaux à deux droits, que le plus grand angle est soutenu par le plus grand côté, et autres semblables, lesquelles maintenant, soit que je le veuille ou non, je reconnais très clairement et très évidemment être en lui, encore que je n'y aie pensé auparavant en aucune façon, lorsque je me suis imaginé la première fois un triangle, et partant on ne peut pas dire que je les aie feintes et inventées. Et je n'ai que faire ici de m'objec ter que peut-être cette idée du triangle est venue en mon esprit par l'entremise de mes sens, pour avoir vu quelque fois des corps de figure triangulaire, car je puis forme

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en mon esprit une infinité d'autres figures dont on ne peut avoir le moindre soupçon que jamais elles me soien* tombées sous les sens, et je ne laisse pas toutefois de pouvoir démontrer diverses propriétés touchant leur nature, aussi bien que touchant celle du triangle; lesquelles, certes, doivent être toutes vraies, puisque je les conçois clairement et partant elles sont quelque chose, et non pas un pur néant; car il est très évident que tout ce qui est vrai est quelque chose, la vérité étant une même chose avec l'être1; et j'ai déjà amplement démontré ci-dessus que toutes les choses que je connais clairement et distinctement sont vraies. Et quoique je ne l'eusse pas démontré, toutefois la nature de mon esprit est telle, que je ne me saurais empêcher de les estimer vraies, pendant que je les conçois clairement et distinctement; et je me ressouviens que lors même que j'étais encore fortement attaché aux objets des sens, j'avais tenu au nombre des plus constantes vérités celles que je concevais clairement et distinctement touchant les figures, les nombres, et les autres choses qui appartiennent à l'arithmétique et à la géométrie 2.

(3) Or, maintenant, si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l'idée de quelque chose, il s'ensuit que tout ce que je reconnais clairement et distinctement appartenir à cette chose lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l'existence de Dieu? Il est certain que je ne trouve pas moins en moi son idée, c'est-à-dire l'idée d'un Être souverainement parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre que ce soit : et je ne connais pas moins clairement et distinctement qu'une actuelle et3 éternelle existence appartient à sa nature, que je connais que tout ce

1 Addition au texte latin.

Il y a de plus dans le latin : « vel in genere ad puram atque abstractam mathesim. »

Addition au texte latin

que je puis démontrer de quelque figure, ou de quelque nombre, appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre; et partant, encore que tout ce que j'ai conclu dans les Méditations précédentes ne se trouvât point véritable, l'existence de Dieu devrait passer en mon esprit au moins pour aussi certaine que j'ai estimé jusques ici toutes les vérités des mathématiques, qui ne regardent que les nombres et les figures: bien qu'à la vérité cela ne paraisse pas d'abord entièrement manifeste, mais semble avoir quelque apparence de sophisme. Car ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l'existence et l'essence 2, je me persuade aisément que l'existence peut être séparée de l'essence de Dieu, et qu'ainsi on peut concevoir Dieu comme n'étant pas actuellement. Mais néanmoins, lorsque j'y pense avec plus d'attention, je trouve manifestement que l'existence ne peut non plus être séparée de l'essence de Dieu, que de l'essence d'un triangle rectiligne3 la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits, ou bien de l'idée d'une montagne l'idée d'une vallée; en sorte qu'il n'y a pas moins de répugnance de concevoir un Dieu, c'est-à-dire un Être souverainement parfait, auquel manque l'existence, c'està-dire auquel manque quelque perfection, que de concevoir une montagne qui n'ait point de vallée,

(4) Mais encore qu'en effet je ne puisse pas concevoir un Dieu sans existence, non plus qu'une montagne sans vallée; toutefois comme de cela seul que je conçois une montagne avec une vallée il ne s'ensuit pas qu'il y ait aucune montagne dans le monde, de même aussi, quoique je conçoive Dieu comme existant, il ne s'ensuit pas, ce semble, pour cela que Dieu existe : car ma pensée n'impose aucune nécessité aux choses; et comme il ne tient

1 Addition au texte latin.

• Voyez la note sur le titre de cette Méditation.

3 Addition au texte latin.

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