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DISCOURS

Prononcé le 23 septembre 1706 par M. le marquis DE SAINT-AULAIRE, lorsqu'il fut reçu à la place de M. TESTU, abbé de Belval.

ST

Messieurs,

I je m'étois flatté de mériter l'honneur que je reçois aujourd'hui, rien ne seroit plus propre à me détromper, que l'obligation où je me trouve ici de vous en rendre graces. L'idée de perfection que j'ai prise dans vos ouvrages, le discours que vous venez d'entendre (1), ces lieux même où tout annonce l'éloquence, ne me font que trop sentir ce qu'exige de moi le glorieux titre dont vous m'avez chargé, et m'avertissent qu'il n'est plus temps d'espérer de l'indulgence pour des sentimens mal exprimés.

L'inclination que j'ai toujours eue pour les lettrés, au milieu même des exercices et des devoirs qui semblent en éloigner le plus, vous a rendus favorables à des désirs que je n'ai point cachés. Mais puis-je espérer que le peu de temps que j'ai donné à l'étude me serve d'excuse, quand je prends la place d'un Académicien, dont l'élo

(1) Le discours de M. l'abbé de Louvois, reçu dans la même séance, à la place de M. Testu de Mauroy.

quence naturelle vous charma tant de fois, sans avoir besoin de secours étranger.

Une santé délicate ne lui permit guère d'étu

dier que le monde et vous. La vivacité de son esprit, l'ardeur de son tempérament n'étoient pas compatibles avec beaucoup d'application; mais ce qu'il y perdoit n'étoit regretté que de lui seulement, on gagnoit à ne trouver en lui que lui-même, toujours assez paré de ses graces naturelles, assez riche de son propre fonds.

De cette source d'abondance coulèrent ces sermons remplis de l'onction qui touche le cœur; ces poésies accompagnées des graces qui charment l'esprit, ouvrages où ses mœurs étoient peintes, et qui l'acquittoient en même temps envers la religion et envers l'Académie : de là ces discours si dignes de l'attention, que l'on étoit comme contraint de lui donner quelquefois même aux dépens des droits naturels de la conversation.

Il sut mériter de bonne heure, par les qualités. qui rendent le commerce agréable, et conserver toujours par celles qui le rendent sûr, l'amitié de plusieurs personnages illustres par leurs dignités, plus illustres encore par leurs vertus; et puisqu'on est semblable à ceux avec qui on aime à vivre, le nom seul de ses amis suffit à son éloge.

C'est trop vous arrêter, Messieurs, sur l'idée d'une perte que je suis si peu capable de réparer ;

ce souvenir augmente tout à-la-fois votre douleur et ma honte; cherchons plutôt à les diminuer par l'espérance de me voir former sur votre modèle, et faire quelques progrès auprès de vous sur les pas d'un illustre confrère qui, au milieu des applaudissemens qu'il vous attire de la justice que vous lui avez rendue, fera peut-être oublier au public que vous m'avez fait trop de grace.

C'est par le moyen des sociétés savantes que les hommes ont trouvé le secret de mettre, pour ainsi dire, l'esprit en commun; par là s'est établi un commerce où l'intérêt que chacun en retire passe de beaucoup le fonds qu'il y porte, où personne ne perd la possession ni l'usage de ce qu'il donne, où le travail particulier devient le profit de tous.

Sans ce concours aussi agréable qu'utile, me permettrez-vous, Messieurs, de le dire, vous ne rempliriez pas si dignement les espérances de ce sublime génie, qui par le succès de ses grandes vues, prévoyant la gloire de ce règne, vous en confia le précieux dépôt, et se reposa sur vous du soin d'en consacrer le monument à la postérité.

Les fleurs immortelles de l'éloquence qu'il fit éclore, et qui furent ensuite cultivées de la même main qui tenoit la balance de la justice, eurent encore besoin de l'abri dont votre auguste protecteur les favorise, pour devenir entre vos mains, dignes de le couronner.

Il ne falloit pas moins que l'assemblage de tous les talens acquis et naturels pour parler d'un Roi en qui toutes les vertus se réunissent; et si, loin de vos savans concerts, j'osai faire entendre ma foible voix, lorsqu'il m'étoit permis de ne suivre d'autres règles que celles de mon zèle; daignez, Messieurs, vous en souvenir, mon ambition se bornoit à célébrer quelqu'une de ces vertus aimables, que le grand nombre de celles qui sont plus éclatantes dérobe aux yeux du public.

Vous le savez, Messieurs, plus on l'approche, plus on l'admire, et ce point de vue si fatal à la gloire des Princes les plus vantés, ajoute toujours quelque nouveau lustre à la sienne.

de

Jamais il n'est si grand ni si respectable, que lorsqu'il se laisse voir dépouillé de la pompe la royauté et de l'éclat qui l'environne.

Quelques ennemis que la fortune lui suscite, quelques obstacles qu'elle oppose à ses desseins, ses efforts ne servent qu'à montrer toutes les faces du héros; elle met au jour des vertus qui demeuroient oisives et inconnues, et dans son inconstance même elle est constante à servir sa gloire.

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Où m'emporte ce zèle dont j'ai tant de raisons de me défier! J'abuse de votre attention, Messieurs, quand celle que je vous dois m'est si né

cessaire.

J'apprendrai, en vous écoutant, à exprimer

les sentimens d'admiration qui me sont communs avec vous; mais où puis-je apprendre à vous exprimer ceux de la reconnoissance dont personne du monde n'est touché aussi vivement que moi?

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