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exacte dont nous ne saurions plus nous passer, mais que par une espèce d'ingratitude, nous nom>mons le génie de notre langue, pour ne la pas nommer votre ouvrage..

Qu'on voie cependant quel étoit avant vous le génie de la langue françoise; elle a aimé l'enflure dans Ronsard, les pointes et la licence dans Théophile, le faste des hyperboles dans les uns, la fausse plaisanterie dans les autres, le désordre presque dans tous les auteurs même les plus > sensés n'avoient pas seuls assez de force pour secouer, avec persévérance, le joug du mauvais goût; il falloit une compagnie qui, par le concours des lumières, établît des principes certains, rendit le goût plus fixe, disciplinât le génie > même, et en assujettît les fougues à la raison.

Voilà la gloire, Messieurs, de votre illustre fondateur, il a prévu les fruits de votre établissement; il a senti que les plus grands génies, abandonnés à leur goût particulier, s'égareroient toujours par quelqu'endroit; mais que réunis, ils seroient les maîtres les uns des autres, et que de tant d'esprits, enrichis réciproquement de leurs lumières, il ne se formeroit bientôt qu'un seul esprit, dont les vues seroient plus vastes et les jugemens plus uniformes, capables enfin d'atteindre à la perfection et d'en donner des règles.

C'eût été trop péu pour ce sage Ministre, dévoué aux intérêts de son pays, de ne lui procurer que la sureté et l'abondance; il voulut,

par votre institution, lui assurer cette politesse des mœurs > ce commerce agréable des esprits, cet amour, ce goût du beau, qui fait sentir tous les autres biens, et qui assaisonne jusqu'à l'abondance même.

Les grands hommes ont les mêmes principes. Séguier succéda aux vues d'Armand; il vous consola généreusement de sa perte, et il soutint l'ouvrage d'un autre avec autant d'ardeur que si c'eût été le sien. Long-temps votre confrère, il en étoit devenu encore plus digne d'être votre protecteur ; et ce qui fait votre gloire et la sienne, Louis lui-même n'a pas dédaigné de lui succéder.

C'est de ce jour, Messieurs, que votre fortune eut tout son éclat; les Muses vinrent s'asseoir aux pieds du trône, et le palais des Rois devint l'asile des Savans. Vous ne songeâtes alors qu'à immortaliser votre reconnoissance, et le tribut que vous exigeâtes de vos nouveaux con✩ frères fut l'éloge du Prince dont ils alloient partager la protection.

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Ainsi, par autant de plumes immortelles furent écrites les annales de son règne; monument précieux d'équité, de valeur, de modération et de constance, modèle dans les divers événemens de cet héroïsme éclairé où le sage seul peut atteindre.

Mais quelque grand que Louis paroisse à lá postérité par ses actions et par ses vertus, ne crai

gnons point de le dire, il lui sera encore plus cher par la protection qu'il vous a donnée. Tout ce qu'il a fait d'ailleurs n'alloit qu'à procurer à ses peuples, à ses voisins et à ses ennemis même un bonheur sujet aux vicissi tudes humaines; par la protection des Lettres, il s'est rendu à jamais le bienfaiteur du monde ; il a préparé des plaisirs utiles à l'avenir le plus reculé, et les ouvrages de notre siècle, qui seront alors l'éducation du genre humain, seront mis au rang de ses plus solides bienfaits.

Multipliez donc vos ouvrages, Messieurs, par reconnoissance pour votre auguste protecteur; quelque sujet que vous traitiez, vous travaillerez toujours pour sa gloire, et l'on ne pourra lire nos Philosophes, nos Historiens, nos Orateurs et nos Poètes, sans bénir le nom de l'Au- ` guste qui les a fait naître.

Je brûle déjà de contribuer selon mes forces, aux obligations que lui aura l'univers : heureux si mon génie pouvoit croître jusqu'à égaler mon zèle!

Je l'échauffe du moins de la plus vive émulation; je me représente quel étoit l'homme dont je remplis ici la place: j'ai fait plus, Messieurs, pardonnez-moi cette vanité qui ne me sera peut-être pas infructueuse; j'ai voulu compter tous mes aïeux académiques : c'est l'illustre personnage que vous regrettez, c'est son frère, le grand Corneille; c'est Maynard

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dont le nom se soutient encore après celui du grand Corneille : filiation singulière, dont je ne fais gloire ici que pour m'engager davantage à ne pas dégénérer.

Je trouve dans ce nouvel ordre d'ancêtres, toutes les prééminences de la poésie. Maynard partagea les suffrages de son siècle avec les Malherbes et les Racans; combien lui doit-on de ces vers heureux qu'on ne peut s'empêcher de retenir, ni se lasser de redire ?

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Le grand Corneille est de ces hommes qu'on ne peut plus louer pour soutenir l'idée que son nom réveille, il faudroit ce génie sublime, j'ai presque dit cet instinct divin qui n'a été donné qu'à lui, et qui ne l'abandonnoit presque jamais.

C'est au frère, c'est au rival de ce grand homme que je succède aujourd'hui. Je ne désespère pas', Messieurs, de recueillir quelquesuns de ses talens, soutenu par yos leçons et animé par l'exemple de son digne neveu (1), dont je serois tenté de mêler ici l'éloge, s'il pouvoit être court, et si je ne devois mon attention à mon prédécesseur.

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Né avec un goût universel, il connoissoit également les beautés de l'une et de l'autre scène ; la France le comptera toujours entre ses Sophocles et ses Menandres. Capable du grand

(1) M. de Fontenelle.

il mérita plus d'une fois la noble jalousie de son frère qui eut la générosité de la lui avouer; tendre et pathétique, il fit couler pour quelques-unes de ces héroïnes, des larmes que quarante ans de succès n'ont pas encore épuisées.

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Mais s'il sut peindre heureusement les majestueuses douleurs de la tragédie, le badinage et les jeux instructifs du comique ne lui furent pas moins familiers et ce qui le distingue dans les deux genres, c'est qu'il y posséda souverainement le don de l'intrigue et des situations; peut être ne connoîtroit-il point de maître au théâtre, si sa féconde facilité, si la foule de ses grands desseins lui eût laissé le soin scrupuleux du détail.

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Combien d'ouvrages, cependant, devons-nous à cette heureuse fécondité! Ces traductions, ces remarqués sur la langue, ces dictionnaires, travaux immenses qui demandent d'autant plus de courage dans ceux qui les entreprennent qu'ils ne peuvent s'en promettre un succès bien éclatant, et que le public qui prodigue toujours ses acclamations à l'agréable, jouit d'ordinaire avec indifférence de ce qui n'est qu'utile.

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Vous ne me pardonneriez pas, Messieurs, de n'envisager mon prédécesseur que par ses talens ; je dois le regarder par ses vertus, l'objet indispensable de mon émulation.

Sage, modeste, attentif au mérite des autres, et charmé de leurs succès; ingénieux à excu

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