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ser les défauts de ses concurrens comme à relever leurs beautés; cherchant de bonne foi des conseils sur ses propres ouvrages, et sur les ouvrages des autres; donnant lui-même des avis sincères, sans craindre d'en donner de trop utiles; ne trouvant pas même à combattre en lui cette basse jalousie tant reprochée aux auteurs: voilà le modèle que j'ai à suivre. Croiroit-on que je peins un poète, si vous n'aviez encore parmi vous de pareils exemples!

Je vous en atteste, Messieurs, vous qui le connoissiez tout entier, et qui avez joui si long-temps de son assiduité; le plaisir de vous entendre l'attiroit ici autant que son devoir; vous l'avez vu fidèle à vos exercices, jusques dans une extrême vieillesse, tout infirme qu'il étoit et déjà privé de la lumière.

Ce mot me fait sentir tout-à-coup l'état où je suis réduit moi - même (1). Ce que l'âge avoit ravi à mon prédécesseur, je l'ai perdu dès ma jeunesse ; cette malheureuse conformité que j'ai avec lui, vous en rappellera souvent le souvenir; je ne servirai d'ailleurs qu'à vous faire mieux sentir sa perte.

Il faut l'avouer cependant; cette privation dont je me plains, ne sera plus désormais pour moi un prétexte d'ignorance. Vous m'avez rendu

(1) M. de Lamotte étoit aveugle.

la vue, vous m'avez ouvert tous les livres, en m'associant à votre Compagnie. Aurai-je besoin de faits? je trouverai ici des Savans à qui il n'en est point échappé. Me faudra-t-il des préceptes? je m'adresserai aux Maîtres de l'art. Chercherai-je des exemples? j'apprendrai les beautés des anciens de la bouche même de leurs rivaux. J'ai droit enfin à tout ce que vous savez; et puisque je puis vous entendré, je n'envie plus le bonheur de ceux qui peuvent lire. Jugez, Messieurs, de ma reconnoissance, par l'idée juste et vive que je me forme de vos bienfaits.

DISCOURS

Prononcé le 23 juin 1714 par M. le maréchal duc DE VILLARS, lorsqu'il fut reçu à la place do M. DE CHAMILLART, évêque de Senlis.

Messieurs,

Si l'honneur que vous avez bien voulu me faire de m'admettre dans une compagnie composée des plus rares et des plus sublimes génies, m'avoit été destiné par les raisons les plus propres à décider votre choix, j'aurois juste lieu de craindre que ce premier pas, qui doit être une preuve d'éloquence, ne vous portât à quelque repentir; mais j'ai pensé que votre assemblée, déjà remplie de tout ce que l'esprit a de plus illustre, et rassasiée de cette gloire, pouvoit ne plus songer à l'augmenter, et que principalement attentifs à celle du Roi, vous avez voulu avoir parmi vous un des généraux qui a le plus servi sous un si grand maître, et qui puisse par quelques récits fortifier les idées que vous avez déjà de sa grandeur et de sa gloire : et je crois devoir la grace que vous me faites aujourd'hui, au bonheur que j'ai eu de voir souvent, et dans la guerre et pour la paix, résoudre, ordonner, et

quelquefois exécuter par ce grand Roi, ce qui lui a si justement attiré notre amour, causé la jalousie des nations voisines, mais enfin l'admi ration de toute la terre.

Dans la prospérité nous avons vù sa modération, sa sagesse. Dans les revers de la fortune, sa fermeté a dissipé les craintes, relevé les courages de tous ceux qui par zèle, prudence ou foiblesse, vouloient entrevoir les plus grands malheurs. Son intrépidité dans de pareils momens, cette grande science de pénétrer et de renverser les projets de ses ennemis, la véritable gloire, la grandeur de courage, ont été portées au point le plus héroïque ; et la paix glorieuse qui a terminé cette longue et dangereuse guerre, est la récompense aussi bien que l'effet de toutes

ces vertus.

Mais encore une fois, Messieurs, j'en parlerai comme témoin et non comme orateur, et en faveur de ces récits, qui n'ont pas besoin d'être relevés par le mérite de l'éloquence, vous me pardonnerez d'en manquer.

Ainsi, Messieurs, daignez me dispenser d'entreprendre aucun éloge; votre choix a déjà fait celui du prélat auquel je succède, et vous avez vu par vous-mêmes son application à remplir ses devoirs, la pureté de ses mœurs, et cette règle dans sa vie, souvent plus respectable que ce qui brille davantage.

Je sais les obligations qu'a votre compagnie à

un illustre chancelier qui, pour comble de mérite, s'en fit un de vous marquer la plus haute considération, et qui en soutenant votre établis sement, crut augmenter sa gloire, et lier par dans la postérité son nom à celui de votre illustre fondateur, le cardinal de Richelieu, dont la mémoire ne finira jamais, n'eût-il laissé pour la rendre immortelle que cet ouvrage si digne d'un grand ministre ; ce testament politique où brille l'élévation de son génie et l'ardeur de son zèle pour la gloire de son maître et pour celle des François. Il ne désiroit à notre nation qu'autant de constance et de fermeté à souffrir patiemment les fatigues, la faim, les longues peines de la guerre, qu'il lui connoissoit d'intrépidité dans les plus grands périls. Quelle joie auroit eu ce grand ministre s'il avoit imaginé, que de nos jours, et sous le plus grand des Rois, les François par ces dernières vertus, jointes aux premières, l'emporteroient sur toutes les nations!

Nous les avons vus pendant une campagne entière, souffrir sans murmurer le manque d'argent et de pain, jeter même le pain dont ils avoient manqué pendant deux jours pour courir plus légèrement au combat, et leur seule valeur leur tenir lieu de force et de nourriture.

Dans une action où leur retraite n'a pu être imputée qu'à la seule fatalité, on les a vu couvrir la terre de plus de vingt mille de nos ennemis, et ne leur laisser qu'un champ où les vivans pou

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