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Telle a été, Messieurs, la fin des travaux et des jours de ce grand homme. J'ai senti comme vous tout ce que vous perdiez en lui, et je le sens encore au moment même que vous me déférez sa succession. L'amitié nous avoit unis sous les yeux d'une princesse (1) également spirituelle et vertueuse, dans cet aimable séjour, dans ces riantes campagnes où elle n'admet de plaisirs que ceux qui lui sont offerts par les Muses. Là nous avons assez joui des derniers entretiens de M. l'évêque de Soissons pour le regretter longtemps.

Combien a-t-il versé dans mon coeur, d'amour, de respect et de zèle pour l'Académie! Il ne vous abandonnoit, m'a-t-il dit, que pour vaquer aux devoirs de son état.

Je rends graces au mien qui me permettra plus d'assiduité, uniquement partagé entre deux occupations, d'admirer mon maître, et d'apprendre de vous à exprimer mon admiration; témoin tour-à-tour et de ses vertus et de vos éloges.

Dans cette auguste retraite (2) où il daigne quelquefois m'admettre à ses délassemens, dans. ces momens heureux où il tempère l'éclat qui l'environne pour descendre jusqu'à nous, je recueillerai plus soigneusement que jamais ses

(1) Madame la duchesse du Maine.

(2) Marly.

paroles, ses actions qui échappent à l'histoire; je vous les rapporterai; je sais le précieux usage que vous en pouvez faire.

Oui, Messieurs, les héros que la fable a imaginés ou que l'histoire a embellis, ont besoin pour paroître grands de l'appareil de toutes leurs victoires, de l'assemblage de tous les jours de leur vie; un seul jour du Roi vous fournit un panégyrique; je dis même un seul de ces jours paisibles, où il ne s'occupe que du bonheur de sa cour et de la félicité de ses peuples.

vaux,

Il respire enfin, après tant de glorieux trail compte avec impatience de quel moment ses sujets commenceront à goûter tous les fruits de la paix : toujours rempli des soins de cet heureux avenir, il ne travaille qu'à nous l'assurer. Sa tendresse paternelle se croit trop resserrée par les bornes de la plus longue vie; elle s'étend au-delà. Quel témoignage touchant nous en a-t-il donné, et quel spectacle à l'univers! Jamais il ne paroît moins homme, que lorsqu'il se souvient de l'être. Puisse le Ciel se contenter de cette pieuse et sage prévoyance! Puissionsnous n'avoir jamais besoin d'en ressentir les effets! Que son héritier croisse sous ses yeux et reçoive de sa bouche les instructions qu'il lui lègue.

Pour moi, Messieurs, si le titre d'Académicien me rend plus recommandable à votre auguste protecteur, mon zèle pour sa personne sacrée

me rendra plus cher à cette célèbre compagnie. Les bontés de ce monarque vous ont prévenu ́en ́ ma faveur; j'ai ressenti de tous ses bienfaits le plus pur et le plus précieux. Il a brisé les funestes liens où m'avoit engagé le malheur de ma naissance, et c'est aux pieds de ces mêmes autels auxquels il m'a rappelé, que je dois former autant de vœux pour sa vie que vous élevez de monu

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DISCOURS

Prononcé le 23 février 1719, par M. MASSILLON, évêque de Clermont, lorsqu'il fut reçu à la place de M. l'abbé DE LOUVOIS.

DES PROGRÈS DE LA LANGUE FRANÇOISE.

Messieurs,

Il faut que l'amitié ait sur le cœur des droits plus intéressans que la gloire même, puisque l'honneur que vous me faites aujourd'hui me laisse encore sensible au chagrin de ne le devoir qu'à la perte d'un ancien ami, et d'un de vos plus illustres confrères.

Vous ne me ferez pas un crime de cet aveu; la vanité est assez flattée de votre choix. Tout annonce ici ma reconnoissance, et ma douleur même la rend plus digne de vous.

Au sortir presque de l'enfance, et dès que M. l'abbé de Louvois fut en état de se choisir des amis, il me fit l'honneur de me mettre de ce nombre. Dès-lors il laissoit déjà voir tout ce qui lui attira depuis l'estime publique et les suffrages de la compagnie : une probité au-dessus de son âge, et digne d'un meilleur siècle; uu

goût et un amour pour les lettres né avec lui, et qu'une excellente éducation avoit cultivé ; des ialens auxquels il n'a manqué que des places; une fidélité dans le commerce, encore plus estimable que les talens ; des mœurs douces, le fruit de sa raison et de ses réflexions, et où l'on pouvoit dire que le tempérament n'en avoit pas tout l'honneur; une maturité d'esprit capable de remplacer les grands hommes que sa famille avoit donnés à l'état. Il les vit passer devant lui comme des songes, et ne survécut à tant de pertes que pour s'assurer par ses qualités personnelles, ces égards publics qui ne survivent guères à la faveur. Sa modestie m'a laissé une place que le choix du Prince lui avoit d'abord destinée ; je ne m'attendois pas que sa mort me préparât celle que son mérite lui avoit acquis depuis long-temps parmi vous : Mais je sens que je passe les bornes, l'amitié n'en connoît point; je rends un hommage à sa mémoire, et c'est un remerciment que je vous dois.

Vous m'associez aujourd'hui, Messieurs, à tout ce que notre siècle a vu et voit encore de plus illustre et de plus respectable. Je disparois milieu de tous ces grands noms; je ne saurois me faire honneur à côté de vous que de ma seule reconnoissance; et vous souffrez que je la mette ici à la place du mérite. Vous avez eu égard, en me choisissant, à quelques suffrages publics, que mon ministère m'avoit attires, et

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