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aux corps politiques, par une influence secrète ẹt cachée aux yeux du vulgaire, mais aperçue et ménagée par les génies supérieurs.

Vous remplissiez dès votre naissance même, les desseins augustes de votre fondateur, quand Louis-le-Grand, ne dédaignant pas de succéder au chancelier Séguier, vint vous offrir, et de nouvelles vértus à célébrer, et de nouveaux moyens de vous rendre utiles à la patrie. Vos plumes savantes étoient faites pour traiter un si grand sujet; elles lui assurèrent, dans la postérité la plus reculée, la place qu'il occupe aujourd'hui dans les cœurs de tous les François. Oui, Messieurs, tant qu'il y aura des hommes vertueux et capables de sentir les traits propres à peindre la vertu, des amateurs de l'héroïsme, et des juges délicats de cette noblesse avec laquelle il faut définir le héros, ce grand Roi recueillera le fruit de la protection qu'il vous avoit accordée. Vous lui devez le degré d'excellence où vous êtes, et sa mémoire vous devra la sûreté de ne périr jamais. Il vivra parmi vous, semblable au Dieu que les poètes nous représentent aussi grand dans le cercle des Muses, dont il ne cesse d'animer les travaux, que lorsqu'environné de toute sa gloire, il parcourt l'univers, pour y répandre tout son éclat. Quelle heureuse destination, Messieurs! Quelle noble fonction que la vôtre ! Qu'il est beau d'être chargé du soin d'immortaliser des héros, et de

s'acquitter de ce devoir, en s'immortalisant soimême.

Rien, sans doute, n'a plus contribué à la gloire de Louis XIV, que le talent admirable qu'il avoit reçu du Ciel, de savoir mettre à leur véritable place les grands hommes dont il semble que la nature avoit pris plaisir d'enrichir la France sous son règne. Ce fut ce Prince sage et pénétrant qui confia à M. le maréchal d'Estrées les différens emplois qu'il a remplis d'une façon si brillante. Toute la France sait qu'il étoit digne des honneurs où les bontés de son Roi l'avoient élévé. On le voyoit sans envie, décoré des premières dignités du Royaume; elles étoient la juste récompence de son mérite et de sa vertu. Vous lui aviez accordé une place que ses talens et son esprit, son goût pour les Lettres et la variété de ses connoissances lui avoient fait mériter. Vous me procurez le même avantage, sans que j'ose me flatter de vous dédommager de ce que vous perdez en lui. Ce seroit vous faire trop sentir cette différence, que d'en entreprendre un éloge plus étendu. Je ne dirai de lui, que ce qu'il m'est impossible de taire. Grand dans le noble métier qu'il a fait toute sa vie, plein d'érudition parmi vous, sage dans les conseils de son maître, voilà celui que vous avez perdu. Vous le regrettez, et vos récens regrets me paroissent d'autant plus justes, que j'ai été à portée de le connoître plus intimement,

lorsqu'à la tête des états d'une province qui lui étoit chère, il savoit, par un sage tempérament de grandeur et d'affabilité, se concilier les esprits et entraîner tous les coeurs. J'ai partagé avec lui les témoignages de tendresse qu'il y a reçus. Que n'ai-je pu les mériter comme lui!

Je viendrai désormais, à son exemple, jouir de vos savantes conversations. Le bonheur d'avoir vécu près du Roi dès m'a plus tendre enfance, l'honneur de l'approcher tous les jours, les vertus aimables que je lui vois posséder au même degré où l'Europe entière sait qu'il réunit celles qui font un grand Prince; mon devoir mon inclination, tout m'engage à venir former avec vous des vœux assidus pour le bonheur de ses jours et pour ceux du sage Ministre que nos alarmes passées semblent ne nous rendre que plus précieux. Vous me verrez, Messieurs, vous égaler en tendresse et en zèle. C'est par-là seulement que j'ose espérer de me montrer digne de vous. Heureux si profitant des sujets d'admiration que vous m'offrirez chaque jour, je puis parvenir à exprimer dignement les sentimens dont mon cœur est pénétré!

RÉPONSE

De M. le marquis de SAINT-AULAIRE, directeur · de l'Académie, au discours de M. DE LA TREMOUILLE.

Monsieur,

Ce n'étoit pas assez pour la gloire de M. le maréchal d'Estrées, que l'Académie lui choisit un successeur digne de lui; il falloit encore que le nouvel académicien, puisque j'étois destiné à le recevoir, pût se charger seul du tribut d'éloges que nos usages consacrent à la mémoire de ceux qui nous sont enlevés.

Vous venez, Monsieur, de satisfaire à cette obligation avec la politesse que nous étions en droit d'attendre de vous, et en même temps avec une élégance que nous n'avons pas l'injustice d'exiger.

Je ressens comme je le dois le service personnel que vous m'avez rendu, en prenant sur vous la principale partie d'un fardeau qui m'auroit accablé.

Une voix affoiblie par les années étoit peu propre à célébrer tant de différens genres de mérite, dont l'heureux assemblage formoit à-lafois, dans celui que nous pleurons, l'homme

d'esprit, l'homme de lettres, l'homme de goût, l'homme d'état, l'homme de guerre.

Quelle foule d'images ce dernier mot retrace à mon souvenir ! Des courses rapides qui portent tour-à-tour, dans toutes les parties du monde, la terreur du pavillon françois ; des entreprises périlleuses, où le fer et le feu sont les ennemis les moins redoutables; les mers purgées des pirates qui les infestoient; des peuples séditieux châtiés dans leurs propres foyers; des villes forcées, des victoires remportées; par-tout des actions brillantes, dont la prudence et le courage se disputent l'honneur.

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C'est beaucoup pour moi d'avoir conservé une idée confuse de ces grands événemens. Il appartient à des bouches plus éloquentes (1) de les raconter; et quand les orateurs seroient muets la gloire de M. le maréchal d'Estrées n'en souf friroit pas. Elle est si étroitement liée à celle des Princes qu'il a servis, que les écrivains de leur histoire publieront nécessairement la sienne. Oui, son nom mille fois répété dans les annales de deux puissantes Nations, passera, sans le secours des panégyristes, jusqu'à la postérité la plus reculée.

Foible consolation pour notre douleur!

(1) Les secrétaires des Académies des Belles-Lettres et des Sciences.

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