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diate de vos souverains; ce titre est devenu trop grand pour tout autre que pour eux les lettres ne peuvent être dignement protégées que par les Rois, ou par elles-mêmes. L'Académie françoise verra à la tête de ses protecteurs ce Prince si célèbre dans les fastes de la France, de l'Europe et de l'Univers, à la gloire duquel l'adversité même a concouru; plus grand, lorsque pour le soulagement de ses peuples, il engageoit à la paix les nations liguées contre lui, que lorsqu'il les forçoit à la recevoir; enfin qui mérita de ses sujets, des étrangers et de ses ennemis, l'honneur de donner son nom à son siècle.

Tels sont, Messieurs, les objets immortels que vous devez célébrer; tels sont les engagemens de tous ceux que le talent appelle parmi vous. Pour moi je me bornerai à vous entendre et à vous lire; je sentirai croître par votre exemple mon attachement pour ma patrie, déjà éprouvé par un Prince, l'allié et sur-tout l'ami de notre na tion, et que l'Europe et ses actions me dispensent de louer ; j'apprendrai enfin de vous ce que les jeunes Lacédémoniens apprenoient de leurs maitres, le respect pour les lois, l'amour de la vertu, l'horreur de toute action lâche et odieuse. Je finis, Messieurs, pénétré à la vue de vos bontés et de mes devoirs; les sentimens dont mon ame est remplie, impatiens de se montrer, se nuisent les uns aux autres ; et je ferai une exception à la règle, qu'il suffit de sentir pour être éloquent.

RÉPONSE

'De M. GRESSET, directeur de l'Académie françoise, au discours de M. D'ALEMBERT.

DE L'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE VERS LE MILIEU DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

Messieurs,

le

LES esprits d'un ordre supérieur appartiennent à tout; également citoyens de l'empire des lettres. et de celui des sciences, ils passent du portique et du lycée au temple des Muses et des beaux Arts, sans en ignorer la langue, et sans y paroître étrangers. Appelés par la nature, éclairés par génie, ils s'élancent au-delà des barrières où rampe la foule des beaux esprits sans études, et des savans sans graces; nés pour être utiles et chers aux hommes, ils ouvrent des routes nouvelles dans le Labyrinthe de la nature, ils étendent la sphère des idées, ils perfectionnent les Arts, ils élèvent des monumens immortels; et réunissant le savoir à l'agrément, la force et l'élégance, le don de bien penser et le talent de bien écrire," leurs ouvrages les annoncent, leurs succès parlent, et il ne peut être pour eux de plus éloquent éloge que leur renommée.

Telle est, Monsieur, la brillante destinée des

grandstalens, et la vôtre; et quand non-seulement la France littéraire, mais toute l'Europe savante applaudit aux suffrages qui vous placent ici, la renommée ne me laisse rien à dire; d'ailleurs la véritable philosophie né reçoit qu'impatiemment le tribut des louanges. Supérieure à la vanité qui les désire, à l'adulation qui les pro digue, à la médiocrité qui les dispute, elle ne sait que les mériter, elle craint de les entendre, et par-là même elle force quelquefois l'envie à reconnoître le mérite et à le pardonner.

Dans un jour consacré à la gloire des talens et des succès, pourquoi faut-il mêler la voix de la douleur au langage des applaudissemens? Vous avez tracé, Monsieur, avec autant de vérité que d'énergie, l'image de l'illustre prélat que l'Académie Françoise vient de perdre ; mais nos regrets sont trop étendus, trop sensibles et trop légitimes pour ne point arrêter encore un moment nos regards sur son tombeau. Quelle perte l'éloquence vient de faire! Et quel génie lumineux viendra dissiper les profondes ténèbres qui la couvrent?

Notre siècle n'a que trop de ces esprits médioères, de ces talens subalternes, qui se croyant sublimes ne peuvent manquer de se trouver éloquens, et d'être pris pour tels par le Vulgaire de tous les rangs. Dans toutes les tribunes, ainsi que dans la plupart des sociétés, on n'a que trop essuyer ou de cette froide éloquence prétendue, qui n'est qu'une stérile abondance de mots, un

à

rain étalage de raisonnemens sans principes et sans objet, un chaos d'idées et de sentimens sans force et sans chaleur, ou de cette éloquence ridi cule qui n'est que le langage foible du bel esprit, le jargon fastidieux de l'antithèse, et la manie puérile de mettre tout en épigrammes. Pour assurerà notre siècle une suite nombreuse de pareils déclamateurs, il ne faut que deux qualités qui malheureusement ne sont pas prêtes à manquer, la merveilleuse facilité de parler long-temps sans avoir rien à dire, et la confiance intrépide qui accompagne toujours les talens médiocres et les beaux esprits sans génie.

Mais qui nous rendra le vrai talent de parler avec raison, avec force, avee utilité, le génie mâle et majestueux, sensible et pénétrant, simple et sublime, dont Athenes et Rome ont laissé des monumens que le dernier siècle a peut être surpassés parmi nous, et que le nôtre n'atteint plus? Qui nous rendra sur-tout l'éloquence de la chaire, ce talent si rare, si difficile et si souvent usurpé, ce talent le premier de tous, par la nécessité, la grandeur et la supériorité de son objet? Qui nous rappellera les orateurs puissans, les modérateurs de l'esprit humain, les maîtres des passions ellesmêmes, les Ministres vraiment dignes d'annoncer aux hommes la vérité éternelle, l'unique vérité devant qui la terre doit rester en silence avec ses maîtres et ses sages? Enfin, qui ranimera les cendres de l'orateur illustre que nous regrettons

l'élo

aujourd'hui, le dernier qui nous restoit du siècle de l'éloquence véritable, et dont les talens avoient balancé quelquefois les succès de Massillon? Il avoit comme lui recueilli, dans cette compagnie l'héritage et la place de Bossuet et de Fléchier. Nous voyons nos pertes, nous les pleurons, et nos larmes sont d'autant plus justes, que les dédommagemens sont devenus plus rares, et que quence sacrée attend encore ici un restaurateur. Malgré le faux axiome respecté dans les écoles, et proscrit par le goût, vous avez eu raison de dire, Monsieur, qu'on ne doit la grande eloquence qu'aux dons lumineux, à l'impulsion rapide de la nature, et non au pesant secours des règles, ni au pédantisme des préceptes.: Le génie ne s'apprend ni ne se copie. Mais à cette vérité j'en dois ajouter une plus essentielle encore, et que la mémoire de -M. l'Evêque de Vence rappelle naturellement pour sa gloire et pour l'instruction de ses imitateurs. Les dons de la nature, à quelque degré de perfection qu'on les suppose, ne sont pas suffi sans. Le génie lui-même n'est point encore assez pour un Ministre de la parole sainte ; il n'a rien, il n'arrive à rien, s'il ne joint aux talens et au génie -Pautorité de l'exemple et l'éloquence des moeurs. On n'inspire point ce qu'on ne sent pas vivement; il faut être convaincu pour convaincre, et agir pour persuader. Avec toute l'élévation des idées, toutes les graces de l'expression et toute la force du sentiment, on est bien foible contre les pas

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