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Tous ces faits sont si publics, que l'envie même ne peut feindre de les ignorer, elle seroit démenle cri des Nations.

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par

Me sera-t-il permis, Messieurs, d'interrompre un concert de louanges si justement méritées, pour vous exposer les regrets de la plus grande partie de l'Europe? C'est trop peu dire: Je suis témoin que les étrangers qui cultivent la langue Françoise dans l'ancien et le nouveau monde, se plaignent unanimement de votre modestie, qui les empêche d'attendre la résolution complète de leurs doutes, du seul tribunal dont ils reconnoissent l'autorité. Ils s'étonnent qu'une compagnie instituée pour polir et perfectionner notre langue, se borne à se donner pour témoin d'un usage souvent incertain, quelquefois vicieux, et presque toujours bizarre, tandis qu'elle pourroit le diriger et le fixer; à plus forte raison arrêter les progrès des abus qui n'ont pas encore entièrement prévalu. Ils prétendent qu'on ne peut contester aux meilleurs écrivains de la nation réunis, le droit d'adopter, de créer même des mots nouveaux, quand ils sont nécessaires. Ils avouent que votre réserve pouvoit avoir quelque fondement, tant que la langue Françoise n'appartenoit qu'à la France, mais ils soutiennent qu'aujourd'hui qu'elle domine dans la plupart des Cours de l'Europe, qu'elle est devenue la langue des négociations et des traités; en un mot, le lien de la correspondance des nations, l'Académie ne

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peut plus refuser de prononcer sur les questions indécises, sûre que ses jugemens seront respectés, et serviront de barrière contre l'abus des exemples, qui ne sert qu'à perpétuer les erreurs.

Écho de mille voix qui n'ont pu parvenir jusqu'à vous, j'ai cru, Messieurs, que ces réflexions méritoient de vous être communiquées.

Sans doute elles sont plus dignes de votre attention que les déclamations vagues de ces esprits superficiels, qui ne sentent ni l'importance, ni l'étendue, ni la noblesse de vos occupations.

La métaphysique des langues vous appartient de droit, et elle est si vaste qu'on y réduiroit peut-être toute la métaphysique des sciences humaines. Mais sans remonter si haut, votre art est l'art de parler et d'écrire ; l'art en un mot de communiquer ses idées, art qui distingue l'homme en société de l'homme sauvage et solitaire: art le premier et le plus nécessaire de tous, puisque tous les autres le supposent.

Un peuple, dont la langue manque de termes et de tours, est incapable de faire des progrès en aucun genre chez lui les arts et les talens se borneront à l'imitation la plus grossière. Si, parmi le peuple, quelqu'un inspiré par un heureux génie, a le germe d'une idée neuve, elle doit infailliblement avorter sur ses lèvres, faute de signes représentatifs pour l'exprimer et la faire passer dans l'esprit des autres. Donnez à cet homme les moyens de la développer, ce qu'il a

pénsé va devenir propre à celui qui l'écoute; de nouvelles idées vont naître qui, bien rendues approuvées ou contredites, en feront éclore ailleurs un grand nombre d'autres. Par cette communication, la sphère de vos perceptions s'étend, le trésor des connoissances humaines s'accroît; tel esprit qui n'avoit rien produit s'ouvre; il devient susceptible de culture; le fonds s'améliore, et rendra bientôt au centuple.

L'homme le plus fertile en idées, s'il ne sait ] pas les produire au-dehors, est une espèce de muet inutile à la société. Qu'il acquière le talent de s'exprimer avec énergie, il deviendra capable de perfectionner les Arts et les Sciences, à proportion du degré de lumière qu'il y répandra par ses

écrits.

Et qu'on ne dise pas que les sciences qu'on nomme exactes ne sont pas de votre ressort. Tous les genres d'écrire vous appartiennent. Depuis quand Uranie et Calliope ont-elle cessé d'être sœurs? Vous êtes institués, Messieurs, et j'en atteste vos lettres d'établissement, pour rendre le langage François, non-seulement élégant, mais capable de traiter de tous les Arts et de toutes les Sciences (1), et vous y avez réussi. La matière est-elle abstraite, vous la rendez sensible; obscure,

(1) Projet d'établissement de l'Académie françoise, par Pélisson, pag. 37.

vous l'éclairez en la présentant sous le jour le plus favorable; compliquée, vous enseignez à la décomposer; hérissée d'épines, vous la parez de fleurs. N'est-ce pas chez vous que l'illustre Fontenelle puisa cet heureux talent qui seul l'eût immortalisé? Ce ne fut que huit ans après son adoption parmi vous, qu'il devint secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. C'est à ses ingénieux et solides extraits que cette compagnie dont je ne prononce le nom qu'avec respect, doit une grande partie de sa gloire et de la réputation dont elle jouit en Europe. Son immense collection de savans mémoires étoit un trésor enfoui; c'étoit du moins une mine profonde que peu de gens savoient fouiller. M. de Fontenelle en tira l'or le plus pur, et sa main libérale sut le répartir entre tous ses lecteurs. Le génie de l'historien futur des Sciences avoit percé dans ses premiers ouvrages, et ne vous avoit pas échappé. L'auteur de la Pluralité des mondes auroit-il eu moins de droit à vos suffrages, que l'auteur de Thétis et

Pélée ?

RÉPONSE.

De M. DE BUFFON, au discours de M. DE LA CONDAMINE.

Du génie pour les sciences, du goût pour la littérature, du talent pour écrire, de l'ardeur pour entreprendre, du courage pour exécuter, de la constance pour achever, de l'amitié pour vos rivaux, du zèle pour vos amis, de l'enthousiasme pour l'humanité; voilà ce que vous connoît un ancien ami, un confrère de trente ans, qui se félicite aujourd'hui de le devenir pour la seconde fois. Avoir parcouru l'un et l'autre hémisphère, traversé les continens et les mers, surmonté les sommets sourcilleux de ces montagnes embrasées où des glaces éternelles bravent également et les feux souterrains et les ardeurs du midi; s'être livré à la pente précipitée de ces cataractes écumantes, dont les eaux suspendues semblent moins rouler sur la terre que descendre des nues; avoir pénétré dans ces vastes déserts, dans ces solitudes immenses où l'on trouve à peine quelques vestiges de l'homme, où la nature, accoutumée au plus profond silence, dut être étonnée de s'entendre interroger pour la première fois ; avoir plus fait, en un mot, par le seul motif de la gloire des lettres, que l'on ne fit jamais par la soif de

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