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Corneille qui ouvrit au génie une école de politique, et à l'ame une école de grandeur; Bossuet qui instruisoit les Rois et qui en étoit digne; Fénélon qui le premier à la Cour osa parler des peuples. Plus près de vous, Messieurs, je vois cet homme célèbre, qui fut votre confrère et votre ami, le legislateur des nations, et dont le livre bien médité peut-être, pourroit retarder la chute des Etats. Au milieu de vous, et dans cette assemblée, je trouve le même usage des mêmes talens: l'histoire qui parle encore aux peuples et aux Rois; la philosophie tranquille et sage qui fait le dénombrement des vérités et qui en crée de nouvelles ; les orages des grandes passions mis sur le théâtre à côté de nos ridicules; nos mœurs peintes; nos devoirs ou discutés avec profondeur, ou déguisés sous des fictions riantes ; les Arts embellis par le charme des vers; les principes du goût analysés; le tableau immense de la nature, tracé; l'art de communiquer la pensée par la parole, perfectionné; l'éloquence aux pieds des autels et dans les tribunaux; les lettres consacrées à la politique, à la guerre, aux intérêts d'état, à l'éducation des Princes; et sur votre liste, Messieurs, un homme qui du fond de sa retraite, sera toujours par son grand nom, présent parmi vous, qui le premier a mis sur notre théâtre la morale sensible, comme Corneille y avoit mis la morale raisonnée, qui n'a employé l'art des Homères que pour combattre la tyrannie et la ré

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volte, et dont presque tous les ouvrages ne sont que le cri d'un ame sensible et forte qui réclame par-tout, pour le bonheur des hommes, la sureté des Rois, et la tranquillité des états.

Attirés par votre gloire, Messieurs, les titres viennent se placer parmi vous à côté des lettres. Je vois les premiers hommes de l'état et de l'église satisfaits ici de l'honneur d'être vos égaux. Je vois dans ce moment l'héritier d'un grand nom, et dont l'éloge est dans le cœur de tous ceux qui m'environnent.

Pour moi, Messieurs, dernier citoyen de cette illustre république, je n'apporte ici aucun de ees grands talens qui vous honorent. Je n'ai à me vanter à vos yeux d'aucun ouvrage qui ait influé sur mon pays et sur mon siècle. Je ne songerai même jamais à vous disputer cette gloire; elle est trop au-dessus de ma foiblesse. Mais il en est une que j'oserai partager avec vous; c'est celle de la vertu et des mœurs; c'est de ne rien faire, c'est de ne rien écrire dans le cours de ma vie, qui ne puisse m'honorer à vos yeux et à ceux de mes compatriotes. Voilà mon premier serment, Messieurs, en entrant dans cette illustre compagnie; si j'y manque un instant, puisse ce discours que je viens de prononcer devant vous, et qui est l'interprète le plus fidèle des sentimens de mon ame, s'élever contre moi, et m'ac cuser aux yeux de mon siècle et de la postérité.

RÉPONSE

De M. le prince LOUIS DE ROHAN, au discours de

M. THOMAS.

Monsieur,

MONSIEUR le comte de Clermont devoit, en sa qualité de directeur, présider à l'assemblée d'au jourd'hui ; mais le dérangement de sa santé l'empêche de s'y rendre. Je me trouve donc chargé de tenir sa place, et sur-tout d'être l'interprète de ses regrets et de ses sentimens inaltérables pour l'Académie. Ceux dont je suis moi-même. pénétré pour elle, me rendent cette fonction chère, et ce sentiment me facilite le moyen de m'en acquitter.

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Le public qui vient de vous entendre, Monsieur, applaudit, et comme votre juge et comme le nôtre, aux suffrages qui vous ont appelés parmi nous. Vous venez vous-même d'exposer vos titres avec autant d'énergie que de vérité. Quand on remplit avec distinction les devoirs de son état, on en parle toujours dignement. Une ame sensible se pénètre des objets vers lesquels son goût l'entraîne, et les fait aimer par la chaleur avec laquelle elle sait les présenter. Apelle intéressoit en parlant de son art, et Cicéron, en faisant

le portrait de l'orateur, pouvoit-il n'être pas éloquent?

En peignant l'homme de lettres citoyen, vous n'avez eu, Monsieur, qu'à exprimer les sentimens gravés dans votre cœur. Vous vous êtes sur-tout attaché à faire envisager les lettres sous leur rapport avec le bien public. Il est beau sans doute d'étendre les lumières de son siècle et d'en perfectionner les mœurs; mais ce rôle intéressant et sublime n'est confié qu'à ces hommes rares pour qui l'Être Suprème a réservé les dons du génie. Les lettres ont un mérite moins éclatant, mais plus universel, celui de faire le bonheur de ceux qui les cultivent.

Le goût des lettres, dit l'Orateur romain, est propre à tous les temps et à tous les âges. La jeunesse y trouve l'aliment de son activité, la vieillesse l'oubli des biens qu'elle a perdus, et le soulagement des maux qui l'assiègent. Le favori d'Auguste s'arrachoit souvent au tumulte des affaires et aux troubles de la Cour, pour venir respirer auprès de Virgile et d'Horace. L'homme d'état envioit dans ces momens le sort de l'homme de lettres, et le courtisan avoit quelquefois besoin d'être consolé par le philosophe.

Le sage ne connoît ni le vide, ni le cruel ennui de soi-même; il sait le prix du temps, et l'emploie à cultiver en paix les lettres et sa raison. Il ne s'expose ni à l'orgueil du crédit qui veut protéger, ni à l'orgueil du crédit qui s'ir

rite de ce qu'on le dédaigne. La vérité fait son étude et sa force. Il s'est formé avec la chaîne de ses pensées un caractère de grandeur et d'immobilité que rien n'ébranle et que rien n'altère. Toujours calme au sein des orages qui le menacent, il plaint les perturbateurs, sans les craindre ni les braver, et, tandis que tout s'agite ou se bouleverse autour de lui, son ame tranquille se livre aux douceurs de l'étude, et jouit des conIsolations de la vertu.

Vous avez des droits, Monsieur, et à la gloire que donnent les lettres, et au bonheur qu'elles assurent. L'Académie, en vous accordant ses suffrages, a voulu récompenser des talens utiles et couronner des vertus connues. Des prix remportés avec éclat, des applaudissemens mérités, l'heureux talent de la poésie réuni à celui de l'éloquence, l'estime publique, celle des gens de lettres, tout sollicitoit pour vous la place honorable que vous occupez aujourd'hui. Une louable émulation excitée par l'Académie, a fait connoître vos talens, dans ces monumens durables que vous avez élevés à la mémoire de tant de grands hommes. Vous avez fait plus, par l'enthousiasme avec lequel vous avez parlé, vous avez fait connoître votre coeur. Une ame médiocre ne conçoît pas aisément les vertus sublimes, et si elle veut les peindre, elle les affoiblit.

Enfin, Monsieur, je dirois volontiers que nous avons cru entendre la voix de ces grands hommes

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