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DISCOURS

Prononcé le 3 mars 1695 par M. l'abbé DE SAINTPIERRE (1), premier aumônier de S. A. R. Madame, lorsqu'il fut reçu à la place de

M. BERGERET.

DES AVANTAGES DES BELLES-LETTRES.

QUELQUE grand que soit un bienfait, Messieurs, il peut être égalé par des sentimens de reconnoissance, et heureusement pour ceux qui par leur

(1) M. l'abbé de Saint-Pierre fut exclu de l'Académie sous la régence de M. le duc d'Orléans, pour avoir répandu quelques traits contre Louis XIV, dans un ouvrage intitulé la Polysynodie ou de la pluralité des conseils. Son exclusion demandée avec éclat par quelques Académiciens décorés, fut prononcée tout d'une voix, à l'exception de celle de Fontenelle. M. le Régent, qui approuva la délibération, ne permit pas de nommer à la place de M. l'abbé de Saint-Pierre ; elle demeura vacante pendant le reste de sa vie. Cette disgrace ne porta pas la moindre atteinte à sa réputation ni à l'amitié que ses confrères avoient pour lui. Cependant, à sa mort, M. Boyer, ancien évêque de Mirepoix, empêcha par son crédit M. de Maupertuis, son successeur à l'Académie, et M. de Moncrif, alors directeur, de faire son éloge dans leurs discours, selon la coutume. Cet hommage littéraire lui fut rendu 33 ans après par M. d'Alembert, dans un éloge qu'il lut, à la réception de M. de Malesherbes. L'Académie n'avoit pas laissé

situation sont obligés de recevoir, ils ont dans leur cœur de quoi rendre, si leur cœur est assez sensible. Admis aujourd'hui par vos suffrages dans une compagnie qui tient le premier rang dans le monde pour les lettres, quel peut être mon devoir, Messieurs, si ce n'est d'employer toutes mes forces pour vous persuader que quelque considérable que soit la grace que vous m'avez faite, j'en connois parfaitement le prix, et que mes sentimens sont tels qu'ils peuvent m'en acquitter.

L'amour des lettres, aussi grand peut-être en moi que dans ceux qui leur ont le plus fait d'honneur par leurs écrits, la haute idée que

descendre au tombeau cet ami du bien, sans lui accorder le service funèbre qu'elle étoit en usage de faire célébrer pour ceux de ses membres qu'elle perdoit.

Furetière n'avoit pas été traité avec la même indulgence; ses manes furent privés du service. On sait qu'il avoit perdu sa place à l'Académie pour avoir offensé ses confrères par des libelles. «< Furetière, dit M. l'abbé d'Olivet, non content «< d'avoir oublié ce qu'il devoit à sa compagnie, oublia dès<«<lors ce qu'un homme d'honneur se doit toujours à lui-même; « sa colère lui dicta des volumes de médisances, de railleries <«< contre ses anciens confrères, mais railleries grossières, « médisances brutales, qui ne donnent pas une bonne idée « de son esprit, et qui en donnent une bien plus mauvaise «<< de son cœur ». Histoire de l'Académie.

A la naissance de l'Académie, en 1636, l'abbé Granier, élu en 1635, fut déposé sur la proposition du Directeur, de la part de M. le cardinal de Richelieu.

j'ai des beaux arts, et une vénération qui m'est naturelle pour tout ce qui en porte le caractère, me font sentir le bonheur d'entrer dans une société dont les belles-lettres ont formé les liens et dicté les loix, qu'elles animent sans cesse de leur esprit, et à qui elles ouvrent tous leurs

trésors.

Presque toutes les occupations des hommes portent la marque, ou de la misère de leur condition, ou de l'aveuglement de leurs passions; mais les connoissances qui servent à perfectionner la raison, sont exemptes de ces deux taches. Les plaisirs qu'on y trouve sont purs, personne ne nous les dispute, il s'en présente tous les jours de nouveaux, ils sont de tous les âges et de toutes les heures; enfin ils ne nous éloignent que des plaisirs trop vifs et toujours pernicieux; indépendans, on n'a besoin de personne pour les goûter; innocens, ils ne sont jamais sujets au repentir; dirai-je encore plus! ils conduisent à des plaisirs plus parfaits, aux plaisirs de la vertu, et jamais l'ame n'y est mieux préparée que lorsque les sciences y ont répandu des lumières et établi la tranquillité.

En vain la nature s'efforce de former de grands hommes, en vain elle les pare de ses dons et de ses richesses: son ouvrage demeurera toujours défectueux, si les lettres n'y mettent, pour ainsi dire, la dernière main. Que l'on jette les yeux sur les différens théâtres où s'exercent les talens,

sur les divers emplois de la société civile, je le dirai sans crainte, ceux qui y apportent la plus heureuse naissance, sont toujours vaincus quand ils rencontrent des rivaux qui ont fortifié du secours des lettres leurs avantages naturels.

Tel a été, Messieurs, celui dont j'occupe la place, et que vous regrettez avec tant de justice. Après avoir passé plusieurs années à soutenir avec gloire les droits de son prince dans un auguste parlement, employé dans des affaires encore plus importantes, admis dans les secrets que la politique semble ne confier jamais qu'à regret, il porta dans ses emplois un esprit d'application et de suite, source la plus sûre du succès des affaires; il fit sentir dans ses écrits une sorte de force que donne l'ordre, la netteté du discours, et une justesse qui retranchant sévèrement les ornemens superflus, ne présente à l'esprit que ce qu'il lui importe de bien voir.

Si je parlois ici de sa droiture, de son inclination bienfaisante, du goût qu'il avoit pour la vertu, peut-être cet éloge qui lui est dû si legitimement, paroîtroit-il étranger à mon dessein et inutile à la gloire des lettres. Il est certain cependant qu'elles servent à élever les sentimens, et que de l'esprit où elles brillent avec tout leur éclat, elles répandent jusques sur le cœur une salutaire influencé.

Les exemples de leurs plus grands effets sont tous ici des exemples domestiques, ils sont tous

tirés du sein de l'Académie françoise; si ce grand homme qui a si long-temps protégé cette compagnie, si ce chef de toute la magistrature donna au conseil une plus belle forme, si sous lui les lois du Royaume prirent une vigueur nouvelle; d'où nous vint à nous un si grand bonheur, et à lui une si grande gloire, si ce n'est de l'autorité qu'il s'étoit acquise par la force, la douceur, l'insinuation et l'agrément de son esprit ? et toutes ces qualités si solides et si aimables, qui doute qu'il ne les dut, pour la plus grande partie, aux belles-lettres? aussi leur en marqua-t-il sa reconnoissance par l'application qu'il eut à les favoriser, par les honneurs qu'il leur rendit, sur-tout par le désir qu'il témoigna que son illustre héritier obtînt, comme un avantage considérable, la place qu'il occupe dans cette compagnie avec tant de distinction.

Je vois, Messieurs, le souvenir que ces grands noms vous rappèlent : l'idée de votre fondateur se présente à vous, brillante de l'éclat de l'immortalité. Quels talens pour les plus grandes affaires, c'est-à-dire, pour le gouvernement des hommes ! Quelle capacité! quelle étendue! quelle force! Il formoit sans confusion, et suivoit sans lassitude un nombre presqu'infini de projets d'une nature toute différente; il voyoit tout d'un coup dans chaque affaire, plus loin et plus distinctement que ceux qui eussent employé beaucoup de temps à la pénétrer, il en décou

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