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DESSINS ET PEINTURES BOUDDHIQUES

offerts à l'Institut impérial de France par M. Brian Houghton Hodgson.

PREMIER ARTICLE.

M. B. H. Hodgson, nommé en 1858 correspondant de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, a voulu reconnaître l'honneur qui lui était fait à si juste titre, en offrant à la docte compagnie de précieux documents sur les études dont il s'occupe et qui ont à jamais uni son nom à l'histoire du bouddhisme. Ces documents nouveaux sont une collection considérable de dessins et de peintures, qui nous apprennent une foule de détails curieux et jusqu'à présent ignorés sur le culte bouddhique, tel qu'il est actuellement pratiqué au Népâl et au Tibet. C'est un des côtés de cette étrange religion les moins accessibles à la philologie européenne, et il faut avoir résidé de bien longues années sur les lieux pour avoir pu y copier tant de monuments divers et y recueillir tant de choses intéressantes et minutieuses. C'est là aussi une sorte de découverte, complément heureux de celle qui a rendu M. B. H. Hodgson si illustre dans les lettres bouddhiques, voilà déjà plus de trente ans.

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Il faut rappeler, à son perpétuel honneur, que c'est lui qui, résident politique à Kathmandou, capitale du Népâl, sut gagner la confiance de quelques prêtres et se fit communiquer par eux les originaux sanscrits qui forment le canon des écritures sacrées du bouddhisme. Mais, non moins généreux que sagace et persévérant, M. B. H. Hodgson, à peine en possession de ces trésors inespérés, se faisait un plaisir de les donner aux sociétés savantes qui pouvaient le mieux en profiter: la Société asiatique de Calcutta, la Société royale asiatique de Londres, et surtout notre Société asiatique de Paris. Dès 1837, il lui offrait, ou il faisait transcrire pour elle quatre-vingt-huit des principaux ouvrages conservés si pieusement dans les monastères du Népâl et dérobés jusque-là aux regards des profanes et des étrangers. La France répondit plus dignement que personne à cet appel de M. B. H. Hodgson; et ce fut de ces livres envoyés et procurés par lui qu'Eugène Burnouf tira ses deux admirables ouvrages : l'Introduction à l'Histoire du bouddhisme indien, et le Lotus de la Bonne Loi, qui ont fondé définitivement en Europe l'étude du bouddhisme, c'est-à-dire de la religion qui compte le plus d'adhérents

sur la surface du globe, et qui est une des plus anciennes, si ce n'est des plus belles de l'humanité.

Sans doute le nouveau don de M. B. H. Hodgson ne peut pas être aussi fécond que l'a été le premier, et, par sa nature même, il ne peut amener autant de résultats. Mais il est bon de le faire connaître avec quelques détails pour tous ceux qui s'intéressent à ces recherches; et, sans entreprendre ici un travail très-étendu, je vais indiquer, autant qu'on le peut en décrivant des dessins, ce qu'ils sont et l'utilité qu'ils présentent. Ce sera en même temps un remercîment à M. B. H. Hodgson et une justice que nous aurions voulu pouvoir lui rendre plus tôt.

La collection se divise en deux parties distinctes: 1° les dessins copiés sur des monuments de sculpture et d'architecture; 2° les images originales, ou, pour mieux dire, les peintures et les tableaux que M.B.H. Hodgson a su obtenir des mains des fidèles. Le tout, copies et originaux, est accompagné de longues explications sanscrites, qui ne nous apprennent pas absolument tout ce que nous voudrions savoir, mais qui nous montrent du moins le point de vue où se place l'érudition indigène pour comprendre les traditions qui lui ont été transmises, et qui souvent sont bien confuses. Les copies ont été faites par un dessinateur bouddhiste (tchitrakar) nommé Radjmansinh, qui était au service de M. Hodgson; et les légendes ont été rédigées presque toutes en sanscrit par Amirta Nanda, pandit fort instruit (bandya), qui s'est plu à les transcrire en beaux caractères dévanâgaris. Il est bon de consigner ici les noms des deux collaborateurs de M. Hodgson, pour qu'ils sachent, même dans ces pays éloignés, que nous ne méconnaissons ni leur talent ni leur

science.

1° DESSINS ET COPIES.

Les dessins se partagent en trois séries: l'une donnée à la sculpture; l'autre, à l'architecture; et la dernière, à des reproductions diverses tirées de livres tibétains.

La série consacrée à la sculpture se compose de trente-sept feuilles couvertes de dessins, la plupart à l'encre de Chine. Ils représentent des sculptures qui ornent les temples bouddhiques, et qui sont répandues dans la vallée du Népâl, à Ranipokri, sur la montagne de Gopuech ou de Svâyambhou, à Santipour, à Tchapagaon, dans les viharas ou couvents, sur les tchaityas, etc. Parfois ce sont des bas-reliefs en bois, comme ceux de Thémi; mais le plus souvent ce sont des sculptures de pierres; très-rarement l'or est employé sur les unes ou sur les autres.

Sous le rapport de l'art, nous ne pouvons émettre un jugement, car il faudrait avoir vu soi-même les monuments pour les bien apprécier; mais, autant qu'on peut le conjecturer d'après ces copies, les peuples bouddhiques n'ont guère plus rencontré le beau en sculpture que dans tout le reste. Ce n'est pas qu'on n'y puisse découvrir une certaine habileté de main et une grande facilité à modeler la matière; mais il est évident que l'idéal manque presque absolument; et les artistes, beaucoup moins préoccupés de la forme que de l'objet même du culte, ont montré plus de piété que de génie.

J'essaye de décrire la première feuille de ces dessins, qui reproduit des bas-reliefs à Ranipokri, ou Poshari. Elle contient deux sujets. Le premier représente une chapelle, voûtée et demi-circulaire; elle est soutenue par des colonnes réunies trois par trois à droite et à gauche, et formée par une suite d'ornements symétriquement disposés. Au milieu est une divinité, assise les jambes croisées. C'est Saoukhavatîlokéçvara, comme nous l'apprend l'inscription sanscrite. Cette divinité a quatre têtes, dont deux de face et superposées, une troisième regardant à gauche, et la dernière regardant à droite. Par suite, elle a huit bras; et chacune de ses huit mains tient quelque emblème, l'arc, la flèche, le lotus, l'éventail, le chapelet, etc. Sur sa cuisse gauche est assise une femme qui retourne la tête pour contempler le dieu et l'adorer. C'est peut-être la déesse Saoukhavatî, qui préside au plaisir et au bonheur; et alors le dieu Saoukhavatilokéçvara ne serait que le roi et le seigneur de la déesse, sur laquelle il semble abaisser un regard protecteur et bienveillant.

Au-dessus de la divinité principale, et en forme de demi-cercle, sont rangés les cinq Bouddhas de la Méditation (Dhyâni-Bouddhas): d'abord et au milieu, Vairotchana; puis, à gauche, Amitâbha, le second; Akshobhya, le troisième à droite; Amoghasiddha, le quatrième à gauche, un peu plus bas; et enfin le cinquième à droite et au même niveau, Ratnasambhava. Les cinq Dhyâni-Bouddhas sont tous assis les jambes croisées, l'épaule gauche recouverte par le manteau, la droite nue, et les mains pendantes ou dans diverses positions. Ces cinq personnages sont placés au-dessus des colonnes qui soutiennent la chapelle, et leur assemblage achève le demi-cercle supérieur qui en trace la voûte intérieure.

Le long des colonnes et en dehors sont rangés, trois à droite et autant à gauche, six personnages dans des positions analogues à celles des Bouddhas; et, parmi eux, figure allégoriquement la Pradjnâpâramitâ, c'est-à-dire le grand ouvrage de la métaphysique bouddhique, au-dessous

du Bodhisattva Padmapâni 1. Quelques-uns de ces personnages ont quatre bras, tout en n'ayant qu'une seule tête.

La voûte supérieure de la chapelle est remplie de symboles étranges. Au milieu et tout à fait au sommet, une tête hideuse de bête fantastique tient dans sa gueule et dans ses mains sans bras, quelques-uns des ornements qui, en s'éloignant, se déroulent autour d'elle. De chaque côté, se balance une femme à demi penchée, qui se termine en queue de serpent, et qui porte sur la tête un poisson en forme de cimier. Au-dessous de ces deux femmes, et de chaque côté également, une tête horrible de Makara, c'est-à-dire de ce poisson fabuleux qui a une trompe d'éléphant, une langue formidable de serpent, des dents de crocodile, etc.

Toutes les figures dont je viens de parler sont placées soit aux côtés soit au-dessus de la divinité principale; et elles ont pour la plupart, autour de la tête, une auréole plus ou moins grande. Mais, au-dessous de la divinité, il y a aussi d'autres emblèmes : à gauche, le taureau accroupi Vrishabha, et à droite un dévot (Bhaktadjana), assis les jambes croisées, et tendant une de ses mains vers un vase que tient son autre main. A la gauche du taureau, sont renfermées dans un cercle les deux plantes de pieds du Bouddha, le Padânkadvayam 2, qui occupe une telle place dans les croyances des fidèles, et dont on prétend retrouver la trace sur une foule de lieux dans l'Inde, notamment sur le fameux pic d'Adam de l'île de Ceylan. A droite, l'ornement qui correspond à celui-là ne représente que la plante d'un seul pied, Padankaikam. Enfin, et en dehors de la chapelle, sont rangés à gauche et à droite trois petits ornements qui consistent, de chaque côté, en une roue, un miroir et une autre roue (Tchakram, Darpaṇam, Tchakram). Ce sont la roue et le miroir de la loi.

Voilà pour l'un des sujets qui sont dessinés sur la première feuille consacrée à la sculpture bouddhique. Quant à l'autre sujet, il est beaucoup moins compliqué. Il ne se compose que de trois personnages, qui sont autant de déesses. Celle du milieu, qui a un visage humain, est plus grande que les deux autres; elle porte une flèche de la main droite, et, sur ses oreilles, deux petits drapeaux. Sous ses pieds sont deux

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Padmapâni, ou encore Avalokitéçvara, est le Bodhisattva, fils d'Amitâbha, qui préside à notre univers créé par lui et au monde actuel. C'est le saint tutélaire du Tibet. Dans ce Padânkadvayam, chaque plante de pied renferme, en outre, une autre plante de pied plus petite, de telle sorte qu'il y a effectivement quatre pieds et non plus deux; c'est sans doute un redoublement de piété de la part des artistes et des adorateurs.

hommes nus qui rampent et qui semblent faire de douloureux efforts pour se soustraire au poids dont ils sont écrasés. La déesse qui est à droite a une tête d'éléphant avec la trompe en l'air (Hastiņîdévî). Elle danse et elle lève la jambe gauche. La déesse qui est à gauche a une tête de truie; elle lève la jambe droite, en dansant comme sa compagne. C'est la déesse Vakrinî, c'est-à-dire la déesse boiteuse, et peut-être aussi la déesse des choses déshonnêtes.

Après avoir décrit cette première feuille de sculptures, je ne m'arrêterai point aux trente-six autres. Elles contiennent toutes des scènes analogues à celles que l'on vient de voir. Ce sont toujours, et dans toutes les positions, des Bouddhas, des Bodhisattvas, des Bhikshous, des Mounis, des divinités des deux sexes, des adorateurs plongés dans la contemplation et prosternés dans la plus profonde dévotion, des ornements et des symboles de toutes sortes. Tantôt les personnages sont isolés et ne sont que de simples statues; tantôt ils sont réunis en groupes plus ou moins nombreux. Quelquefois ils sont debout; le plus souvent ils sont assis. Il y a telle feuille où l'on pourrait en compter plusieurs centaines, sans qu'aucun d'eux soit absolument identique. Ainsi, dans la quatrième feuille, qui reproduit les sculptures de Tchapagaon, nous retrouvons huit chapelles pour autant de Mounis ou Bhikshous. Chacune de ces chapelles est surinontée, comme celle que je viens de décrire, de la tête de bête fantastique qui tient dans ses mains sans bras des ornements sortant de sa gueule. On y retrouve aussi les deux femmes à queues de serpent et les Makarss. Mais l'emploi de ces types est différent; et chacune de ces chapelles a son cachet particulier qui la distingue des autres, quelque ressemblante qu'elle puisse être 1.

Toutes ces statues, soit en ronde bosse, soit en bas-relief, sont destinées le plus ordinairement à embellir les tchaityas, ou édifices sacrés, c'est-à-dire les temples bouddhiques. La forme de ces temples paraît aussi variée que peut l'être celle de nos églises. Mais il y a cependant, pour tous les tchaityas, comme pour nos églises et nos temples, quelques conditions fondamentales et essentielles qui se reproduisent sans cesse les mêmes. C'est en quelque sorte leur charpente orthodoxe, et il semble qu'ils ne pourraient s'en écarter sans perdre leur caractère

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A ces dessins qui reproduisent les sculptures, M. B. H. Hodgson a joint quatre images coloriées, dont j'aurai à parler plus loin quand je traiterai des tableaux. Deux de ces images sont obscènes; et elles ont été copiées l'une et l'autre dans des tantras bouddhiques du Népâl. Eug. Burnouf avait déjà signalé cette obscénité des tantras. (Introduction à l'Histoire du bouddhisme indien, pages 523, 526, 538, etc.)

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