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sacré. Voici les parties ordinaires et complètes d'un tchaitya1. En bas, et comme premier étage, une vaste coupole ou hémisphère, le garbha ou intérieur du temple. Aux quatre points cardinaux du garbha tout au moins, se trouvent des niches pour recevoir des statues. Au-dessus de la coupole et au centre, est placé sur une courte colonne le Divyatchakshou, c'est-à-dire le regard divin. Le Divyatchakshou se compose de deux yeux tout grands ouverts, sculptés ou peints sur le monument, et le plus souvent séparés par une sorte de virgule, qui forme une espèce de nez et complète l'apparence bizarre d'un visage humain. Pour achever l'illusion, le Divyatchakshou est coiffé d'un cône formé de treize degrés successifs qui vont en se rétrécissant; ce sont les treize mondes ou Bhouvanas du Bodhisattva. On dirait presque d'un chapeau gigantesque. Ce cône tronqué est couronné par quelque construction légère et un petit dôme, qui représente un parasol ou une aigrette, et qui termine le monument entier.

Ces parties essentielles du tchaitya peuvent être diversifiées à l'infini; et l'imagination des architectes bouddhistes ne s'est pas fait faute des combinaisons les plus variées, fort souvent étranges, mais parfois aussi, élégantes et pleines de goût. On en peut voir de nombreux exemples dans les vingt-quatre feuilles que M. Hodgson a consacrées à l'architecture bouddhique. Les tchaityas y sont figurés par centaines, comme l'étaient plus haut les Bouddhas et les Bhikshous. Ils se ressemblent tous; mais, sous cette monotonie apparente, on remarque aisément une foule de différences assez considérables. La coupole de la base peut devenir une construction à plusieurs étages; les niches, les statues, les ornements, les emblèmes, peuvent être changés de place, de figure et de dimensions; le Divyatchakshou n'est pas tellement nécessaire, qu'il ne puisse disparaître quelquefois, quoique assez rarement2; le cône est plus ou moins allongé, et le parasol du sommet peut prendre

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Le mot de tchaitya vient de la racine TCHIT, qui signifie penser, considérer. Le tchaitya serait donc, à proprement parler, un objet de méditation et de pensée pieuse pour les fidèles. A la vue du tchaitya, ils doivent élever leurs prières et leurs cœurs vers le Bouddha, et le temple qu'ils regardent n'a pas d'autre utilité. Notre mot de monument a bien aussi lui-même quelque chose de cette signification : monumentum, monimentum. 2 Dans la feuille 6 (architecture), on peut voir un tchaitya qui n'a ni le Divyatchaksou ni le cône en forme de bonnet. C'est le troisième de la feuille. De même, dans la feuille 14, qui donne le modèle d'un temple bouddhique ordinaire du Népâl, les yeux et le bonnet ne figurent point. De mêine encore, les quatre grands tchaityas dessinés dans la feuille 21 n'ont ni le Divyatchakshou, ni le cône des Bhouvanas. Ces quatre temples sont situés dans les environs de la ville de Patan; et ils sont appelés Lagan, Ipi, Téta et Poursha.

tous les aspects que la fantaisie de l'artiste veut lui donner 1, A toutes les hauteurs du tchaitya, on peut multiplier les statues et les symboles, de même qu'on peut n'en user que très-sobrement. Il y a tel tchaitya où les statues se comptent par centaines; il y en a tel autre, où elles ont été presque tout à fait supprimées. De là vient qu'on a distingué les tchaityas en beaucoup d'espèces, selon la forme qu'ils affectent, selon les ornements qui les décorent et selon leur grandeur et leur destination. C'est ainsi qu'il y a des koûțâgâratchaityas, c'est-à-dire des tchaityas terminés par un sommet en pointe plus ou moins allongée; des pâtrâkâratchaityas, c'est-à-dire des tchaityas portés sur une feuille de lotus et entourés de guirlandes de feuillage; des ghanțâkâratchaityas, c'est-à-dire des tchaityas à cloches; des koshtâgâratchaityas, c'est-à-dire des tchaityas où l'on conserve des trésors; des layanakâratchaityas, c'està-dire des tchaityas servant d'abri ou de refuge, etc. etc.

Il serait trop long de décrire ici tous les dessins où M. B. H. Hodgson s'est efforcé de représenter l'architecture bouddhique; je me borne aux deux feuilles 5 et 6.

La feuille 5 renferme six tchaityas de moindre grandeur, qui se trouvent dans le voisinage du grand temple de Svâyambhounath, non loin de Kathmandou. Le premier de ces tchaityas inférieurs est un pantchatalakouțâgâratchaitya, ce qui veut dire un tchaitya qui occupe le sommet d'un édifice supporté par cinq étages les uns au-dessus des autres. Les cinq étages vont en diminuant à mesure que l'édifice s'élève. Le tchaitya proprement dit est posé sur le cinquième étage, et il est couronné, comme nous l'avons indiqué plus haut, par le parasol et l'aigrette. Le second est un koshțâgâralayanâkâratchaitya, où figurent, tout en bas, une déesse à quatre bras, et, au second étage, le Dhyâni-Bouddha, Amitabha. Le troisième tchaitya est presque entièrement pareil au second. Le quatrième offre la statue de Mandjouçrî Bodhisattva, à l'étage inférieur, et aux deux étages suivants, des statues d'Amitâbha. Le cinquième est un pantchavédikâghanțâkâratchaitya, c'est-àdire un tchaitya garni de cloches et supporté sur une base à cinq pans. Enfin le sixième est un simple layanakâratchaitya, à deux étages, où sont posées les statues du Dhyâni-Bouddha, Akshobhya.

La feuille sixième de la série architecturale ne contient que trois belles pagodes. Dans l'une, l'étage inférieur du bâtiment représente

1 On a cru plus d'une fois que le symbole placé sous le parasol représentait un lingam; et les dessins de plusieurs tchaityas donneraient à croire que cette supposition n'est pas erronée.

des draperies disposées avec assez d'élégance et de symétrie. Au premier étage, un dieu à quatre bras semble couvrir de sa protection deux autres dieux plus petits, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche, qui l'adorent. Ce dieu est Shadaksharalokéçvara, le Seigneur du monde des six éléments. Des deux côtés, quatre animaux symboliques sont superposés les uns aux autres: une lionne, un éléphant, un griffon ou garouda, et un cheval. Au centre et au-dessus, est assis un Bodhisattva, Vadjrasattva, ajouté parfois en sixième ordre aux cinq Dhyâni-Bouddhas; puis deux têtes de Makâra présentent leurs traits repoussants, et les cinq Bouddhas de la méditation sont rangés en demi-cercle. Au-dessus de toute cette construction, et pour la couronner, est placé le tchaitya composé de la coupole, du Divyatchakshou, du cône et d'un sommet d'où pendent deux longues guirlandes de fleurs.

La seconde pagode de la feuille sixième (architecture) est un ashthakonakoutâgâratchaitya, c'est-à-dire un tchaitya placé au haut d'un édifice octogone. A chacun des angles de l'octogone est posé un lion fantastique, ou plutôt une lionne1, à gueule ouverte et menaçante, qui semble veiller sur le dépôt qui lui est confié. L'édifice a trois étages; au premier, le Bodhisattva Maitréya, le futur Bouddha, est assis dans une niche; au second étage, c'est le Bodhisattva Vadjrapâņi, le fils supposé d'Akshobhya; au troisième, c'est Akshobhya lui-même, et le tout est surmonté d'un tchaitya dans la forme ordinaire.

Ce qui distingue la troisième pagode sur la feuille sixième (architecture), c'est un dôme fort allongé, à grandes nervures parallèles, au milieu desquelles s'étale un vaste lotus (padma). Les ornements des deux étages inférieurs qui forment l'édifice sont ceux que nous connaissons: les Makaras, les bêtes fantastiques, etc. A droite et à gauche du premier étage, où préside le Bouddha Amitâbha, est placé un garouda, roi des oiseaux et monture habituelle de Vishnou, le bec tout grand ouvert et prêt à déchirer les profanateurs. Le tchaitya placé au-dessus de l'édifice n'a ni le Divyatchakshou, ni le cône à treize

marches.

Sur le grand tchaitya de Kâsâtchit, la coupole de l'hémisphère est entourée d'une trentaine de Bouddhas assis, qui font un effet très-pittoresque et assez imposant. (Feuille 7 de la série architecturale.)

A ces deux séries de dessins relatifs à la sculpture et à l'architecture,

Ce qui porterait à croire que c'est une lionne, c'est que l'artiste lui a donné, sur la partie antérieure du corps et au-dessus des pattes, des seins de femme, comme pour indiquer le sexe.

M. B. H. Hodgson a joint, sous le titre de xx1 Pictorial illustrations of tibetan Buddhism, dix-sept portraits originaux de Bhikshous et de Bouddhas peints sur toile, et quatre autres portraits non coloriés, reproduits d'après des livres tibétains, qui ont été mis à sa disposition 1. Je ne décris point ces portraits ici, de peur de faire confusion avec ce qui va suivre sur les tableaux et les peintures que M. Hodgson a pu se procurer en original, et dont il a fait don à l'Institut de France, en même temps que des copies et simples dessins dont nous venons de parler.

2° TABLEAUX ORIGINAUX.

Tableaux népâlais.

J'arrive à la seconde partie du beau présent de M. Hodgson; elle n'est pas moins précieuse ni moins instructive que la première. Elle est formée de vingt tableaux originaux, tous peints sur toile, moitié népâ

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Sur les dix-sept portraits peints sur toile, et avec une espèce de détrempe, il y en a quatorze qui sont, à ce qu'on peut supposer, des portraits faits d'après nature; ils reproduisent des visages de Bhikshous, dont les traits ascétiques ont la plus frappante énergie. Quelques-uns sont assez beaux; d'autres ont des physionomies. repoussantes; mais ces figures portent une telle vie et une telle originalité, que, selon toute apparence, l'artiste les a copiées sur les personnes elles-mêmes, et ne les a pas inventées. Toutes ces têtes sont entourées d'auréoles, signe de la sainteté dans le bouddhisme tibétain comme dans la religion chrétienne. Trois autres portraits, plus grands que les quatorze premiers, qui sont tous de même dimension, représentent les figures idéales de trois Dhyâni-Bouddhas. Le premier, copié sur un thânga tibétain, reproduit un Bouddha dont le nom n'est pas indiqué. Il a, au-dessus de lui, cinq Bhikshous qui l'adorent, et au-dessous des Bhikshous, quatre femmes toutes nues, dansant, et ayant des positions indécentes; l'une est de couleur rouge; l'autre de couleur jaune; la troisième est bleue, et la dernière est verte. Le second portrait est celui du Dhyâni-Bouddha Akshobhya, de couleur bleue, entouré d'adorateurs, parmi lesquels on peut reconnaître quelques-unes des physionomies des quatorze Bhikshous dont il vient d'être question. Enfin le troisième portrait est celui du Dhyâni-Bouddha, Ratnasambhava, qui est de couleur jaune. Il est entouré, comme le précédent, d'adorateurs assez nombreux, qui sont placés dans les coins du tableau. Voilà déjà dix-sept sujets sur les vingt et un dont se composent les Pictorial illustrations; les quatre sujets restants ne sont pas en couleur, et ils sont simplement dessinés à l'encre de Chine. Ils ont été empruntés à divers livres tibétains, ou copiés sur des tableaux originaux, par des pèlerins de Lhassa, qui les ont communiqués à M. B. H. Hodgson.

lais et moitié tibétains. Ils sont accompagnés de longues explications en sanscrit, qui ont été rédigées sans doute comme les autres par le pandit Amirta Nanda. Ces tableaux sont de dimensions très-diverses; tandis que les uns ont plus de 2 mètres de long sur autant de large, d'autres se réduisent à 30 ou 40 centimètres dans les deux sens. Ceux-ci paraissent fort anciens et fort usés par l'usage qu'on en a fait; ceux-là sont plus récents et moins fanés. Aucun n'a de cadres réguliers; mais ils sont tous destinés à être roulés sur un morceau de bois placé soit en haut soit en bas. La toile est le plus souvent assez grossière et tout unie; parfois le tissu est fort délicat, et il est entremêlé de fils d'or et de soie. Il y en a qui, outre la toile sur laquelle ils sont faits, portent aussi un voile qu'on abaisse ou qu'on relève sur la peinture qu'il doit tout à la fois protéger et cacher. Ces tableaux sont exposés, pour certaines fêtes religieuses, aux regards et à l'admiration des fidèles; tantôt ils restent, à certains moments de la journée, développés sous les yeux du dévot ou Bhikshou qui les possède; tantôt ils sont repliés pour ne pas fatiguer les adorateurs par une contemplation trop assidue.

Il serait difficile de dire précisément quelles sont les matières employées pour fixer les couleurs; c'est, en général, une simple détrempe, comme pour les portraits dont j'ai dit tout à l'heure quelques mots. C'est aussi quelquefois un enduit plus solide, sans qu'il le soit jamais autant que nos peintures à l'huile. Il est même de ces couleurs qui sont si peu tenaces, qu'elles s'attachent aux doigts pour peu qu'on y touche. On dirait d'un pastel prêt à s'effacer, si on le frottait même légèrement; et les tableaux qui sont peints de cette manière courent grand risque de ne pas durer et de disparaître bientôt. C'est ce qui est arrivé déjà à quelquesuns, où bien des détails sont à peu près indéchiffrables. Il n'y a guère moyen de prévenir cette lente destruction; et il serait à craindre, si l'on essayait quelques réparations ou quelques procédés de conservation, qu'on ne gâtât davantage encore ce qui reste.

Je ne peux pas plus décrire ces tableaux un à un que je ne l'ai fait pour les dessins de sculpture et d'architecture. Je me bornerai à un petit nombre, pour donner une idée des autres, et je commence par le premier des tableaux népâlais (Népalia thânga, no 1). Ce tableau a 2 mètres de long à peu près sur 50 centimètres de large. C'est l'histoire du Bouddha représentée dans une suite de scènes au nombre de trente-sept, plus ou moins compliquées, et qui sont disposées sur deux rangées horizontales. Évidemment c'est d'après le récit du Lalitavistâra qu'elles ont été conçues, et le pieux artiste n'a guère fait que suivre

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