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ce Soûtra, un des plus illustres et des plus clairs parmi tous ceux qui forment le canon orthodoxe1.

D'abord on voit le Bouddha avant sa naissance dans le ciel du Toushita, ou de la joie; malheureusement les deux scènes du début sont à demi effacées; mais elles sont encore assez visibles pour qu'il n'y ait point à s'y tromper. Le Bodhisattva, sur le point de descendre sur la terre et de s'y incarner dans la personne de Sarvârthasiddha, s'adresse aux dieux du Toushita, qu'il doit quitter. Ces dieux adorent l'être incomparable qu'ils vont perdre, et le regret, mêlé à l'admiration, éclate sur leur visage. La scène suivante se passe dans le royaume de Kapilavastou. Mayâdévî, la mère future du Bouddha, et Souddhodana, son auguste époux, sont assis sur leur trône, entourés par leurs sujets respectueux prosternés à leurs pieds. Dans une autre scène, Mayâdévî, endormie sur un lit splendide, rêve qu'elle doit enfanter le Bouddha sous la forme d'un éléphant blanc, qui lui apparaît en songe. Plus loin elle fait part de son rêve prophétique à ses femmes et à son mari, qui écoutent avec recueillement cette prédiction flatteuse. La reine se rend donc, sur un char attelé de deux éléphants, au palais de Loumbinî, où elle veut faire ses couches. En effet les douleurs de l'enfantement la surprennent sous l'ombre d'un arbre, Plaksha, où elle s'était un instant reposée. Elle est debout, tenant la branche de l'arbre au-dessus de sa tête pour s'appuyer. A peine délivrée, elle présente son fils bienheureux aux divinités, qui s'empressent autour d'elle, et l'enfant qui vient de naître fait aussitôt les sept fameux pas qui attestent sa mission surhumaine. Les dieux, pénétrés de vénération, adorent modestement ce nouveau-né, qui doit un jour renverser leur culte et les remplacer.

Cependant Souddhodana prend son fils dans ses bras, et le porte au temple pour le présenter aux dieux, qui l'adorent encore une fois, et aux Çâkyas, qui en paraissent tout ravis. Le dieu du feu, Agni, descend de la montagne où il réside pour contempler l'enfant, et il se précipite vers lui, environné de tout l'éclat d'un incendie. Dès que le jeune prince est en âge de s'instruire, il va aux écoles d'écriture, et nous l'y voyons, le kalam à la main, et une tablette sur ses genoux. Puis il s'égare dans la campagne, loin des camarades de son enfance, et,

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On trouvera une analyse détaillée du Lalitavistâra dans le Journal des Savants, cahier d'août 1854, p. 484 et suiv. J'ai tâché de séparer, autant que possible, la partie légendaire et fabuleuse de la vie du Bouddha de la partie réelle et probable. Le tableau népâlais n'a pas eu à faire cette distinction, et l'artiste a suivi le récit du Lalitavistara dans tous ses détails, avec une fidélité scrupuleuse, que lui imposait sa

piété.

après de longues et anxieuses recherches, on le découvre enfin sous un arbre, plongé dans une méditation où se perd déjà sa jeune âme. Ici se présente dans le tableau une scène dont je ne trouve pas l'analogue dans le Lalitavistâra, auquel toutes les autres sont directement empruntées. Un coudra s'approche du prince royal, et semble lui offrir un instrument aratoire.

Mais l'histoire du jeune homme continue; et, dans la scène quinzième, Dandapâni, son futur beau-père, rend visite au roi Souddhodana, et s'explique avec lui sur le mariage de Siddhârtha. Le prince, qui est touché des vertus de Gopâ plus encore que de sa beauté, consent à disputer la main de la jeune fille, et il sort de son palais sur un char attelé de deux chevaux. Arrivé sur le champ de la lutte, il y terrasse deux éléphants; il est vainqueur dans l'épreuve de l'arc et dans toutes les autres. Ses rivaux eux-mêmes sont forcés de lui rendre hommage, et le sévère Danḍapâni, qui s'est enfin adouci, amène sa fille, qu'il tient par la main, au jeune prince, qui semble l'accueillir avec bonheur. Les fêtes du mariage sont célébrées, et Siddhartha paraît s'abandonner avec une satisfaction calme et profonde aux délices de cette sage union.

Mais bientôt cette paisible félicité se dissipe, et les quatre rencontres que fait l'heureux époux, quand il va se promener solitairement dans le parc de Loumbinî, le rappellent aux pensées qui l'avaient occupé dès son enfance; la maladie et la mort, avec tout le cortège des infirmités humaines, lui sont insupportables; il veut en délivrer à jamais les êtres soumis à la loi fatale de la renaissance; et, après y avoir mûrement réfléchi, il fait part de sa résolution à la déplorable Gopâ, qu'il veut quitter pour aller errer en mendiant par le monde. Comme il hésite encore devant cet effrayant projet, un dieu descendu du séjour de la félicité vient, durant la nuit, rassurer son courage et le déterminer à exécuter son héroïque dessein. Cependant on le surveille dans le palais, et, comme la cour tout entière connaît ses intentions, chacun s'efforce de prévenir une fuite qui se prépare de moment en moment. Vigilance inutile! Par une belle nuit où les étoiles brillent au ciel du plus pur éclat, le prince, trompant les gardiens de la porte, sort de Kapilavastou avec son fidèle écuyer Tchhandaka; et le bon cheval Kaṇṭaka l'a bientôt mis hors de la portée de ceux que son père a envoyés à sa pour

suite.

Dans les scènes suivantes (32 et 33), Sarvârthasiddha congédie son écuyer tout en larmes; et, demeuré seul, il coupe ses longs cheveux avec son propre glaive. Il se retire ensuite dans la féconde retraite

d'Ourouvilva, où il se livre aux plus rudes austérités; il en sort vainqueur du dieu du péché, sur lequel il marche, et qui est représenté sous la forme hideuse d'un serpent. Enfin, dans la dernière et trenteseptième scène, le Bodhisattva, qui est parvenu, après de si longs combats, à la pure Bodhi, et qui désormais est un Bouddha parfaitement accompli, instruit le monde, qui se prosterne devant lui et qui écoute dévotement ses leçons.

Le second tableau n'est pas achevé comme le premier; l'artiste n'a eu que le temps de le dessiner, et il n'a pas pu y appliquer les couleurs. Le trait, fort correct, est à l'encre de Chine, et il est tout à fait arrêté sur le fond blanc destiné à le recevoir. Mais ce tableau offre encore une différence plus considérable avec celui qui le précède et avec ceux qui le suivent: il paraît appartenir bien plutôt au culte de Çiva qu'à celui du Bouddha. On peut s'étonner de le rencontrer dans la série où il est placé, et l'on aurait dû, ce semble, le mettre dans une classe à part. Quoi qu'il en puisse être, voici ce qu'il contient, dans ses dimensions de 1 mètre de long sur 80 centimètres de large à peu près.

Une grande ogive tronquée et rentrante vers le bas enveloppe toute la scène. La bordure extérieure, d'un décimètre de large, est formée de flammes; elles sont interrompues de loin en loin pour laisser la place à des divinités, qui sont au nombre de quatre de chaque côté. Ces divinités sont assises, les jambes croisées, sur un lotus; elles ont toutes quatre bras, portant divers emblèmes : des arcs, des flèches, des glaives, etc. Au sommet de l'ogive, un dieu à quatre bras aussi est assis les jambes croisées, portant une déesse sur chacune de ses cuisses. Il est posé sur un poisson et sur un lotus; dans une de ses mains gauches, il tient un autre poisson plus petit, mais du genre de celui qui est sous ses pieds. Au-dessus de l'ogive et en dehors, un dieu est debout, les jambes écartées et avec un volumineux abdomen. Il a trois têtes, dont une est de face et hideuse; les deux autres sont de profil à droite et à gauche. Il a six bras; un vaste collier, formé de crânes humains, lui pend des épaules jusqu'aux genoux; dans une de ses mains il tient par les cheveux une tête d'homme dégouttante de sang; sous ses talons gît un cadavre, qu'il semble écraser.

Dans l'intérieur de l'ogive générale, en est une autre moins grande, dont le centre est occupé par des têtes superposées sur cinq rangs. Au premier rang il n'y a qu'une seule tête. Au second rang, il y en a cinq, dont une de face et les quatre autres de profil, deux à droite et deux à gauche, une qui est humaine et l'autre qui est celle de l'oiseau garouda. Le troisième rang présente sept têtes, une au milieu et trois de chaque

côté; mais ce ne sont plus des visages humains; ce sont des animaux fantastiques, chevaux, boucs, éléphants, etc. Au quatrième rang, les sept têtes sont toutes humaines; celle du milieu porte une moustache unique au-dessus de la lèvre droite. Enfin, au cinquième et dernier rang, les têtes sont au nombre de neuf, dont trois humaines et six bestiales. La tête du milieu, qui est humaine, porte, outre ses deux yeux, un troisième oeil au front.

L'ogive intérieure est bordée par des têtes de serpent à aigrettes, qui sont disposées d'une façon pittoresque, quoique fort singulière; et, dans l'intervalle des deux ogives, il y a, à droite et à gauche, une déesse montée sur un quadrupède fantastique, qui a l'aspect d'une Makara.

Au-dessous de l'ogive intérieure, se développe une ellipse formée des éléments les plus divers et les plus étranges. D'abord le centre en est occupé par un dieu horrible, moitié homme, moitié bête, à la gueule ouverte et garnie de dents acérées. Il a neuf têtes dont une seule de face, et huit de profil, quatre de chaque côté. Dans chacune de ses mains, rayonnant autour de lui, il porte des divinités et des rois qui ont des attitudes tantôt pareilles et tantôt différentes. De ses premières mains, en sortent d'autres plus petites qui tiennent de nombreux emblèmes. Enfin, cinq rangées circulaires et concentriques de mains achèvent l'ellipse; et toutes ces mains, qui se comptent par centaines, ont le pouce replié en dedans et les doigts étendus. Mais ce n'est pas tout. Deux des mains principales du dieu se rejoignent à la hauteur du nombril, tenant l'une et l'autre un guerrier prêt à se servir de ses armes. Entre les guerriers et les mains qui les soutiennent, une tête de monstre ouvre sa gueule béante, d'où pend un cadavre humain qu'elle avale ou qu'elle rejette. Les jambes du dieu sont au nombre de dix de chaque côté, dont cinq sont fléchies et cinq autres sont étendues. Les pieds reposent sur des montagnes.

Plus bas que le dieu, sont agenouillés quatre adorateurs, dont les postures élégantes et souples semblent indiquer des femmes; l'une a une tête de garouda; l'autre une tête de truie; la troisième et la quatrième, à droite et à gauche, sont des espèces de sirènes, se terminant en queues de poisson.

Toute cette vaste et bizarre composition, très-régulière et très-finement dessinée, repose sur un socle à huit étages; et tout à fait en bas et au centre du dernier étage, un adorateur, vu de face et les mains jointes, s'incline devant le spectacle qu'il a au-dessus de lui. Il est porté sur un lotus. Il est assez remarquable que les yeux de toutes les têtes, si nombreuses et si variées, louchent très-fortement; et l'on ne peut

guère douter que ce ne soit avec intention que l'artiste ait contourné tous ces regards; car il a laissé quelques têtes sans ce défaut; et celles auxquelles il l'attribue n'en paraissent que plus repoussantes. L'effet qu'il recherchait a été certainement produit.

Les autres tableaux se rapportent plus ou moins complétement au culte bouddhique, avec les mélanges et les altérations que nous venons déjà de voir. Celui qui porte le n° 5, et qui est un des plus grands de tous, puisqu'il n'a pas moins de 2,10 de large sur 1,80 de hauteur, reproduit toutes les scènes principales du Svâyambhoupourâņa. Elles y sont au nombre de cent à peu près, rangées sur six longues bandes horizontales, d'une égale dimension, et qui règnent sur toute la longueur du tableau. C'est un immense travail, dont toutes les parties sont disposées avec une grande symétrie, si ce n'est avec beaucoup d'art. Au milieu de faits purement mythologiques, il y a évidemment aussi quelques faits historiques qui s'y mêlent, et qu'il serait sans doute assez difficile de rétablir. J'en dis autant du tableau no 6, où, dans une dimension d'un mètre de large sur trois de long, se déroule une suite de processions, dans lesquelles des chars énormes, traînés et poussés par des hommes, portent des pyramides qu'on maintient à grand'peine. Les édifices devant lesquels passe la procession sont nombreux; les éléphants, les chevaux, les guerriers, ne le sont pas moins; et le peuple y figure presque partout en foule.

Le n° 7, qui est inachevé, dans le genre du n° 2 que j'ai décrit plus haut, est aussi un immense dessin à l'encre de Chine sur fond blanc. Le milieu est occupé par une ellipse, et tout autour de cette ellipse, des dieux, au nombre de plusieurs centaines, sont dans une posture d'adoration. Le n° 8, qui a 150 de long sur 80 centimètres de large, est très-vieux; un voile de soie qui jadis le recouvrait tombe en lambeaux. La scène principale représente un Bhikshou ou peut-être un Bouddha entouré d'adorateurs. C'est un travail qui a dû être excessivement soigné; mais le temps l'a effacé en partie. Ce qui en reste de distinct est fait pour donner une haute idée de l'application et du talent de l'artiste. Le n° 9 a été encore plus maltraité que le tableau no 8; et, comme il était presque indéchiffrable, on a dû le recopier sur une vaste feuille de papier. La reproduction assez exacte a cependant beaucoup moins de mérite que l'original. Le sujet est un grand personnage debout et de couleur rouge, sans doute Amitâbha, un des Dhyani-Bouddhas. De son corps, couvert d'ornements splendides, partent des lignes blanches, qui aboutissent à une foule de personnages prosternés autour de lui dans l'attitude d'une piété profonde.

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