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de notre supériorité sur les anciens à cet égard. Peut-être le fait dont il s'agit a-t-il des causes plus générales et plus profondes dans le mouvement d'expansion rapide qui anime les sociétés modernes dans les voies de la religion, de la science et de l'industrie. Nous ne vivons pas toujours mieux que nos ancêtres, malgré l'inestimable bienfait de la morale évangélique; mais il est permis de dire que nous vivons davantage, que nos caractères et nos passions se développent avec plus de variété, sur une scène sans cesse élargie par le progrès des découvertes géographiques et par celui des relations internationales. Aussi jamais le spectacle du monde n'offrit-il à l'esprit un plus vif attrait de curiosité. Le moindre Français qui sait lire se sent intéressé chaque matin à mille affaires publiques et particulières, depuis celles de Paris ou du département voisin jusqu'à celles de la Chine. L'histoire, sous toutes ses formes, répond ou essaye de répondre à ce besoin de savoir, et les arts du dessin viennent s'associer à l'histoire dans cette tâche vraiment infinie. Mais le roman et le drame en prose y ont aussi leur part. La peinture générale des mœurs dans les divers pays de l'ancien ou du nouveau monde défraye des milliers d'écrivains, qui vivent de l'insatiable curiosité du public. Ni l'histoire, chez les anciens, n'eut jamais ces prétentions et ces ressources, ni le roman ne fut excité à tant de productions diverses. Il est donc naturel que peu de vrais talents se soient alors engagés, de ce côté, dans les hautes régions de l'art. Sans exagérer la doctrine du progrès, et sans l'appliquer aux beaux-arts comme elle s'applique d'elle-même à la science et à l'industrie, il faut bien reconnaître que l'invention littéraire a pu trouver, de nos jours, des voies, inconnues à l'antiquité, et que Cervantes, Lesage, Richardson, Walter-Scott, Chateaubriand, Balzac, représentent une des plus originales créations du génie moderne, une création à peu près sans modèle chez les Grecs et chez les Romains.

Mais, si l'accroissement de la littérature romanesque tient chez nous à l'extension même de la vie sociale, il tient aussi aux conditions nouvelles que l'imprimerie fait à l'art d'écrire. Notre besoin de lire s'est augmenté rapidement, depuis quatre siècles, avec les moyens de le satisfaire. L'éditeur d'une réimpression du petit livre de Huet, publiée en l'an vir à Paris1, complétait son volume par une « indication de quelques

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Traité de l'origine des romans, par Huet, évêque d'Avranches, suivi d'observations et de jugements sur les romans français, avec l'indication des meilleurs romans qui ont paru, surtout pendant le dix-huitième siècle jusqu'à ce jour, petit in-8°, chez

Desessarts.

«< romans anciens et d'un grand nombre de romans modernes; » sa liste en contient cinq cents environ, et cela sans sortir de France. Que serait-ce aujourd'hui, si l'on voulait nous donner la bibliographie, même abrégée, des romans publiés depuis un demi-siècle? Déjà la Revue des Romans, publiée en 1839 par Girault de Saint-Fargeau, renferme l'analyse de onze cents ouvrages 1. La population lettrée augmente, sans doute, chaque année, sur la surface de notre globe, et sa passion pour les lectures frivoles augmente plus vite encore que ses loisirs 2. Mais combien aussi l'imprimerie la seconde, avec ses moyens chaque jour plus efficaces de publicité! L'écriture, chez nos ancêtres, n'a jamais pu atteindre aux résultats rapides et variés qu'obtient sous nos yeux l'imprimerie. Avec les secours de l'écriture servile les Grecs et les Romains ont fait des merveilles pour le progrès de la civilisation ; je sais que Paris comptait, au XIV siècle, plusieurs milliers de scribes gagnant leur vie à copier des livres; mais ces merveilles sont bien dépassées aujourd'hui. Tel atelier typographique de Paris produit, en moyenne, plus de deux mille volumes par jour. Les Romains ont eu, pendant plusieurs siècles, un Journal, qui fut leur Moniteur et qui circulait dans les provinces pour l'instruction des fonctionnaires et la distraction des curieux 3. Mais qu'est-ce qu'un tel journal comparé avec les milliers de feuilles quotidiennes qui, aujourd'hui, se répandent matin et soir sur la surface de l'ancien empire romain. Or voici que le roman ne circule plus seulement par volume; depuis trente ans et plus voici qu'on le débite par feuilles, comme la politique, comme les anecdotes, comme les comptes rendus de nos chambres et de nos tribunaux. Plaisir d'autant plus recherché à mesure qu'il devient plus facile, la lecture des romans ne reste pas renfermée dans les salons et les boudoirs du grand monde; elle envahit toutes les classes, elle séduit toutes les conditions, pour les éclairer, dit-on souvent; pour les amuser aussi et pour les corrompre. Mais, favorable ou funeste, le mouvement est irrésistible. Il a suscité toute une école de romanciers journalistes, parmi lesquels se distinguent seulement quelques esprits d'élite, les uns chefs d'atelier, pour ainsi dire, taillant en gros et préparant le travail pour d'obscurs collaborateurs; les autres plus jaloux de l'indépendance de leur génie, plus jaloux de

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Comparer le Nouveau manuel de Bibliographie universelle, par MM Denis, Pinçon et de Marlonne (1857), tome III, p. 51-53. — 2 Au commencement de son petit livre, Huet appelle déjà le roman l'agréable amusement des honnêtes paresseux. » 3 Voir le savant ouvrage de M. V. Le Clerc intitulé: Des Journaux chez les Romains, Recherches précédées d'un mémoire sur les Annales des Pontifes et suivies de fragments des Journaux de l'ancienne Rome. Paris, 1837, in-8°.

leur réputation d'auteurs, travaillant seuls, chacun chez soi, à des œuvres plus dignes, sinon plus assurées de vivre. C'est toute une famille nouvelle dans cette ruche industrieuse où s'élaborent les produits de la pensée moderne. Il faut le reconnaître, l'antiquité, en aucun siècle, fût-ce même au siècle de Périclès, d'Alexandre ou d'Auguste, n'a rien vu de pareil; cette gloire et cette misère lui ont manqué, dans le cercle où ses destinées se sont si noblement accomplies.

E. EGGER.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT IMPÉRIAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

Le 26 février, l'Académie française a tenu une séance publique pour la réception de M. le prince de Broglie. M. Saint-Marc Girardin, directeur de l'Académie, a répondu au récipiendaire.

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

Dans sa séance du 7 février, l'Académie des beaux-arts a élu M. Baltard à la place vacante, dans la section d'architecture, par le décès de M. Caristie.

ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

M. Barthe, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, est mort à Paris, le 27 janvier.

Dans sa séance du 7 février, la même Académie a élu M. Armand Husson à la place vacante, dans la section de politique, administration et finances, par le décès de M. Baude, et M. Emile Saisset, à la place vacante, dans la section de philosophie, par le décès de M. Damiron.

Le 21 février, M. Jules Simon a été élu, dans la section de morale, en remplacement de M. Dunoyer.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Histoire littéraire de la France, ouvrage commencé par des religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, et continué par des membres de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Tome XXIV, xiv° siècle. Paris, imprimerie et librairie de Firmin Didot, 1862, in-4° de LXIII-781 pages. Ce nouveau volume de l'histoire littéraire de la France est rempli tout entier par deux ouvrages que le nom de leurs auteurs et l'intérêt du sujet recommandent suffisamment à l'attention publique : le Discours sur l'état des lettres en France au XIV siècle, par M. J. V. Le Clerc, pages 1-602, et le Discours sur l'état des beaux-arts en France à la même époque, par M. Renan, 603-757. On doit aussi à ce dernier écrivain une notice placée en tête du volume et qui traite de la vie et des travaux de M. F. Lajard, ancien membre de la commission de l'histoire littéraire. Cette importante publication sera l'objet d'un compte rendu détaillé dans le Journal des Savants.

Dictionnaire de la langue française, contenant : 1° pour la nomenclature, tous les mots qui se trouvent dans le Dictionnaire de l'Académie française et tous les termes usuels des sciences, des arts, des métiers et de la vie pratique; 2° pour la grammaire, la prononciation de chaque mot figurée, et, quand il y a lieu, discutée, l'examen des locutions, des idiotismes, des exceptions, et, en certains cas, de l'orthographe actuelle, avec des remarques critiques sur les difficultés et les irrégularités de la langue; 3° pour la signification des mots, les définitions, les diverses acceptions rangées dans leur ordre logique, avec de nombreux exemples tirés des auteurs classiques et autres; les synonymes, principalement considérés dans leurs relations avec les définitions; 4° pour la partie historique, une collection de phrases appartenant aux anciens écrivains depuis les premiers temps de la langue jusqu'au XVI siècle, et disposées dans l'ordre chronologique à la suite des mots auxquels elles se rapportent; 5° pour l'étymologie, la détermination, ou, du moins, la discussion. de l'origine de chaque mot établie par la comparaison des mêmes formes dans le

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français, dans les patois et dans l'espagnol, l'italien et le provençal ou langue d'oc; par E Littré, de l'Institut, Académie des inscriptions et belles-lettres. (Première livraison A-BRÉVIAIRE.) Paris, imprimerie de Lahure, librairie de Hachette. 1863, grand in-4° de LVI-416 pages. Nous avons cru devoir transcrire ce titre avec tous ses développements, parce qu'il indique tout d'abord l'importance et l'intérêt du grand travail auquel M. Littré a consacré vingt années. Cet ouvrage embrasse et combine, comme on le voit, l'usage présent de la langue française et son usage passé. Il se divise en deux parties distinctes mais connexes; l'une comprend les diverses significations des mots rangées suivant leur ordre logique, les exemples et les remarques de grammaire et de critique que l'article comporte; l'autre, purement historique, signale les rapports des mois avec les patois et les langues romanes, et donne l'étymologie. Ces deux parties se complètent l'une par l'autre, et leur réunion constitue la nouveauté, l'originalité de ce dictionnaire. La première livraison s'arrête au mot Bréviaire; elle est précédée d'une ample et savante préface, dans laquelle l'auteur expose le plan de son ouvrage. A la suite de cette préface M. Littré a placé un intéressant résumé de l'histoire de la langue française.

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OEuvres complètes de Bartolomeo Borghesi, publiées par les ordres et aux frais de S. M. l'Empereur Napoléon III. OEuvres numismatiques, tome I, Paris, Imprimerie impériale, 1862, in-4° de vIII-516 pages, avec une planche. Les œuvres de Borghesi formeront quatre séries: 1° les œuvres numismatiques en deux volumes in-4°, dont le premier vient de paraître; 2° les Fastes consulaires, ouvrage capital de l'auteur, en un volume in-folio ; 3° les œuvres géographiques en plusieurs volumes in-4°, dans lesquels seront réunis les divers mémoires insérés par Borghesi dans les principaux recueils scientifiques de l'Italie et un certain nombre de travaux inédits; 4° la correspondance, dont la plus grande partie est également inédite, et qui comprendra aussi plusieurs volumes in-4°. Chaque série sera accompagnée de tables détaillées.

Mantic Ultair, ou le Langage des oiseaux, poëme de philosophie religieuse, traduit du persan de Farid-Uddin-attar, par M. Garcin de Tassy, membre de l'Institut, Paris, Imprimerie impériale, 1863, gr. in-8° x1-264 pages. — M. Garcin de Tassy, qui a dėja donné le texte du Mantic Uttaïr, d'après de nombreux manuscrits soigneusement collationnés, vient de compléter son savant travail par la traduction de ce poëme célèbre. L'allégorie des oiseaux choisissant la huppe pour leur roi et dissertant avec elle, n'est qu'un moyen pour Farid-Uddin-attar d'exposer ses doctrines spiritualistes. Une foule d'anecdotes morales sont racontées par les oiseaux qui se succèdent à tour de rôle, ou souvent aussi par le poëte lui-même qui prend directement la parole. La pensée de l'auteur n'est pas toujours très-claire, et il fallait toute la science de M. Garcin de Tassy pour surmonter les difficultés qu'il a dû rencontrer à la reproduire; mais le caractère général de son système de philosophie ne peut faire de doute; et le Mantic Uttair est essentiellement mystique. A ce titre, il est fort curieux, puisqu'il représente, en partie du moins, les croyances qui régnaient en Perse dans le cours du xir siècle. M. Garcin de Tassy a publié aussi, pour la première fois, l'épitaphe du poëte, qui a été découverte près de Nischâpûr par M. Nicolas de Khanikoff. Cette épitaphe, qui est à la fois en persan et en arabe, se compose de 24 vers, du même mètre que le Mantic.

Météorologie d'Aristote, traduite en français pour la première fois et accompagnée de notes perpétuelles, avec le petit traité apocryphe du Monde, par M. J. Barthélemy Saint-Hilaire, membre de l'Institut. Paris, Ladrange et Durand, libraires, 1863, gr. in 8°, xciv-469 pages. — La Météorologie d'Aristote mérite d'être beaucoup plus

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