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clure. D'ailleurs les intérêts des Cosaques n'y furent point oubliés, et tous les articles proposés, ou plutôt imposés en Ukraine aux commissaires du roi en faisaient partie. Il était formellement stipulé que l'Ataman des Cosaques ne relèverait que du roi, et que les vayvodes polonais n'auraient aucun pouvoir dans les provinces russiennes; enfin, que le nombre des Cosaques enregistrés serait de 40,000. Il faut remarquer, toutefois, qu'au lieu d'être produits dans la forme un peu brutale de leur première rédaction, ces articles étaient modifiés de manière à ménager l'orgueil du roi et des seigneurs. Le kan priait Sa Majesté Polonaise d'accorder une amnistie complète aux Cosaques et de rendre ses bonnes grâces à leur Ataman. On dit qu'à l'insinuation de Chmielnicki on ajouta que la vayvodie de Tchighirin (Czehrin) serait l'apanage du chef de l'armée zaporogue. Depuis le commencement de la guerre, le régiment de ce nom formait la garde particulière de Chmiel

nicki.

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Ces articles concernant les Cosaques semblèrent aux seigneurs polonais plus durs que tout le reste. Le roi, disaient-ils, traite avec le Tartare d'égal à égal; mais pouvons-nous nous abaisser jusqu'à traiter avec nos sujets? Il fallut bien se soumettre en présence de la nécessité. Toutefois le chancelier, discutant avec adresse tous les articles, et employant propos l'intervention d'Islam Ghereï, obtint quelques concessions, notamment en ce qui concernait les provinces russiennes, où il n'y avait jamais eu de Cosaques. En réalité, le traité de Zborow ne fut que le. retour à l'ancienne constitution du pays, la reconnaissance, et, sur quelques points, l'extension des priviléges de l'armée zaporogue. Voici le résumé des articles du traité qui regardent les Cosaques :

1. Sa Majesté rend à l'armée zaporogue toutes ses anciennes franchises, et, à cet effet, lui accorde un nouveau privilege.

2. Le roi permet de porter à 40,000 le nombre des Cosaques enregistrés, dont le territoire sera déterminé. Ces soldats pourront être choisis sur les terres seigneuriales ou sur celles de Sa Majesté. Il est, en outre, permis à tous ceux d'autres provinces qui voudraient devenir Cosaques, de transporter leur domicile et leurs biens en Ukraine, et de s'y faire enregistrer dans le courant de la présente année, après lequel terme ils ne pourront quitter la terre à laquelle ils appartiennent.

3. Tchighirin avec son territoire sera l'apanage de l'Ataman, et Sa Majesté le confère au général actuel de l'armée zaporogue, le noble Bogdan Chmielnicki, fidèle · sujet du roi et de la R. P.

4. Amnistie pleine et entière est accordée pour tous les actes datant des derniers troubles.

5. Amnistie semblable est accordée aux gentilshommes qui auraient pris parti dans l'armée zaporogue; et ceux qui, pendant les derniers troubles, auraient été dégradés de noblesse, seront réhabilités dans la prochaine diète. (Cet article concer

nait surtout les sociniens, les ariens et les hérétiques de toute espèce, qui étaient allés chercher un refuge dans le camp des Cosaques.)

6. Dans les chefs-lieux de régiments cosaques, les Juifs ne pourront ni posséder, ni affermer des terres ni même s'y domicilier.

7. Le métropolitain de Kiew aura la direction suprême de toutes les affaires relatives à l'Union et à l'Église, dans le royaume de Pologne et dans la grande principauté de Lithuanie. Il aura siége au sénat.

8. Tous les emplois administratifs des vayvodies de Kiew, Braclaw et Tchernigof, ne pourront être donnés qu'à des gentilshommes professant la religion grecque.

9. Les jésuites ne pourront résider ni à Kiew, ni dans les autres villes où se trouvent des écoles russiennes autorisées. Ces écoles conserveront tous leurs anciens priviléges.

10. Les Cosaques ne pourront vendre de l'eau-de-vie en détail, mais ils pourront en distiller et la vendre en gros.

11. Les articles précédents seront ratifiés par la diète; il y aura paix et entente cordiale entre les habitants de l'Ukraine, les troupes du roi et l'armée zaporogue.

(La suite au prochain cahier.)

P. MÉRIMÉE.

DESSINS ET PEINTURES BOuddhiques

offerts à l'Institut impérial de France par M. Brian Houghton Hodgson..

DEUXIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

Tableaux tibétains.

Les tableaux tibétains que M. Hodgson a pu se procurer sont au nombre de dix comme les Népâlais, et ils leur ressemblent beaucoup, quoiqu'ils soient peut-être en général un peu inférieurs. Pour la plupart, les sujets sont les mêmes, adorations dévotes de Bouddhas et de Bhikshous, avec un mélange plus ou moins prononcé et plus ou moins grossier de divinités empruntées au Panthéon hindou. Je ne pourrais pas dé

Voir, pour le premier article, le Journal des Savants, cahier de février 1863, page 96.

crire tous ces tableaux, et je dois me borner à quelques-uns, comme je l'ai fait pour le Népâl.

Le plus distingué sous le rapport de l'art, c'est celui qui porte le no 3. L'encadrement, d'un très-bon goût, est en soie bleue, brochée d'or et parsemée des plus jolis arabesques. C'est un travail très-délicat et trèsfin, et je doute que chez nous les ouvriers les plus habiles pussent faire mieux. Le sujet se divise en trois parties, et il n'est pas sans quelque analogie, dans l'ensemble de sa disposition, avec un des chefs-d'œuvre de Raphaël, la Dispute du Saint-Sacrement. Une partie de la scène se passe dans le ciel, et l'autre partie sur la terre. C'est, du reste, le seul rapprochement que j'entende faire, et Dieu me garde de comparer les artistes tibétains, malgré leur mérite relatif, au peintre souverain de la foi chrétienne. Si quelqu'un pouvait jamais s'égarer à ce point, il suffirait d'un simple détail dans ce tableau pour l'avertir de sa méprise et lui rappeler qu'il n'est plus dans le chaste monde du christianisme. Tout au sommet, un Bouddha de couleur bleue foncée, probablement Akshobhya, tient une femme entre ses bras serrés convulsivement, et, quoique, dans le reste du tableau, il n'y ait rien que de très-décent, ce frontispice à lui seul caractérise le culte qui peut accueillir de telles impuretés.

Quoi qu'il en soit, la partie supérieure du tableau est occupée, à droite et à gauche, par deux petites scènes détachées, où un Bouddha couvert d'ornements éclatants est adoré par trois Bhikshous, presque nus, qui lui font des offrandes. Leur maigreur atteste leur ascétisme et leur austère piété. Ils ont tous des auréoles autour de la tête et quelques-uns portent leurs cheveux réunis en Djatâ sur le haut du crâne, comme les anachorètes du brahmanisme'. Leurs mains portent divers emblèmes, le poisson, l'arc, les flèches, le vase aux aumônes, etc. Ces deux petites scènes, qui préparent à celle qui va suivre, sont entourées de nuages, et elles se passent par conséquent dans le ciel, sans doute le Toushita, le séjour de la joie, ou dans tel autre des cieux dont l'imagination des bouddhistes a peuplé l'espace.

Le centre du tableau est rempli par un Bouddha d'un décimètre de haut environ; il est de couleur d'or, et c'est peut-être Ratnasambhava, un des Dhyânibouddhas, à qui la couleur jaune est consacrée. Il est assis, les jambes croisées. Le manteau jeté sur l'épaule gauche est couvert d'ornements rouges et or d'une délicatesse infinie et d'un goût exquis. La main droite est pendante dans la position appelée Moudrâ; c'est

1

C'est aussi la coiffure de Çiva, et ce détail indique peut-être que le tableau tibétain n° 3 est en partie çivaiste.

en souvenir de celle que dut avoir la main du Bouddha, lorsque, sur le gazon sacré d'Ourouvilva et de Bodhimanda, il sentit qu'il avait enfin atteint la Bodhi, et qu'il prit la terre à témoin, en la touchant de ses doigts, de sa résolution bienfaisante de sauver le genre humain. Au-dessous du Bouddha, profondément calme et réfléchi, se groupent sans trop de confusion soixante et dix ou quatre-vingts Bhikshous qui l'adorent et le contemplent avec onction. Ils ont tous une mitre sur la tête1, entourée d'un nimbe. Leurs attitudes variées semblent annoncer un entretien assez animé, et c'est sans doute des perfections ineffables du Bouddha qu'ils conversent entre eux. Tous ces personnages sont portés sur des nuages, au milieu desquels se mêlent quelques figures hideuses d'animaux fantastiques dans le genre chinois.

Voilà pour la partie céleste du sujet.

La partie terrestre est moins développée; elle remplit naturellement le bas du tableau. Sur la gauche, un roi Tchakravartin, signalé par la roue placée à la hauteur de sa tête, est monté sur un éléphant, et il tient dans une de ses mains un grand sabre, signe de sa puissance et de son courage. Un peu au-dessous de lui, un cheval de couleur bleue s'avance en piaffant; sur son dos est posé un tchaitya, qu'il semble tout fier de porter. En avant du cheval, un roi et une reine, sa femme, la couronne et le diadème sur le front, offrent au Bouddha une roue et un coquillage. Puis viennent, dans de riantes et vertes campagnes, des tchaityas et des vihâras, qui attestent l'ardeur de la dévotion et la splendeur du culte. Ce qui l'atteste mieux encore, c'est la dernière scène placée à droite. Un arhat, dont la tête est nue avec un nimbe, et qui est revêtu d'une chasuble, semble offrir un sacrifice devant une table chargée de vases précieux; on peut dire qu'il officie, et deux Bhikshous plus jeunes, à genoux devant lui, paraissent tout prêts à le seconder dans la pieuse cérémonie.

Tel est le tableau no 3 de la série tibétaine; les dimensions en sont à peu près de om,40 sur o",60.

Je passe rapidement sur les numéros qui suivent; ils n'ont rien de remarquable, et ils ne représentent que des adorations ordinaires. Mais je m'arrêterai un peu davantage sur les trois derniers, n° 8, 9 et 10, qui offrent un caractère tout particulier et qui impriment au culte bouddhique du Tibet son cachet spécial.

1

Il n'y a qu'un seul de ces quatre-vingts Bhikshous dont la tête soit découverte, et il n'est pas à croire que ce soit sans intention particulière que le peintre ait fait cette exception.

Le tableau n° 8, qui est assez vieux et qui est grossièrement peint, représente d'abord le Bouddha Çâkyasinha, le véritable Bouddha, le Bouddha parfaitement accompli, le bienheureux fils du roi de Kapilavastou. Au-dessous de lui est une divinité hideuse, qui, dans les contorsions qu'elle se donne, a l'air de danser; c'est Yamarâdja, c'est-à-dire le Dieu de la mort, dont le visage effroyable est fait pour glacer de terreur les plus intrépides des hommes. Puis viennent une foule de scènes confuses, où des visages qui grimacent se mêlent à des têtes d'animaux fantastiques, tous plus difformes les uns que les autres. Les expressions de ces figures sont stupides ou lamentables, et bon nombre des créatures humaines qui sont tourmentées par ces êtres horribles semblent implorer la pitié de leurs bourreaux. Ce qui achève d'éclaircir la pensée qu'on a voulu rendre, c'est une énorme chaudière entourée de flammes où des démons implacables remuent des damnés poussant des cris de douleur. Évidemment c'est une scène de l'enfer que l'artiste a prétendu représenter pour l'édification des fidèles. Ce tableau, où parfois le dessin est d'une naïveté puérile, a o",80 de haut sur o",60 de large.

Le numéro 9, dont les dimensions sont un peu plus fortes, 1 mètre sur oTM, 70, paraît avoir été d'un travail presque aussi délicat que celui du numéro 3. Mais il est tellement vieux et tellement effacé, qu'on a dû répéter le sujet sur une grande feuille de papier où on pût le voir et le comprendre plus distinctement; cette copie n'est pas, d'ailleurs, très-fidèle. Le sommet du tableau est occupé, au centre, par une masse de fleurs et de feuillages, rappelant sans doute le gazon sacré (Kouça) sur lequel s'assit le futur Bouddha, quelques jours avant de devenir le Bouddha parfaitement accompli. A gauche, un Bouddha bleu, Akshobhya, est adoré par quatre Bhikshous, deux de chaque côté ; à droite, une Bhikshounì est adorée de même par quatre autres femmes, qui sont couronnées, et dont la tête est ombragée de parasols. Ces deux épisodes se passent dans le ciel.

Un peu au-dessous, à droite et à gauche, une échelle porte sur ses degrés deux personnages dont les pas semblent peu assurés dans l'ascension qu'ils tentent. Vers eux, et comme pour leur porter secours, arrivent en volant par la route des airs, des hommes, dont les bras étendus déploient gracieusement un voile au-dessus de leur tête. On dirait que ces messagers se hâtent d'annoncer aux autres personnages une bonne nouvelle qui doit les consoler. Puis, un peu plus bas, un Bouddha de couleur rouge, sans doute Amitâbha, est assis les jambes croisées, et il tient dans ses mains le vase aux aumônes. Sous ses pieds sont un lotus et une roue, la Roue de la Loi. A droite, une femme de couleur

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