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leurs ruines avec le plus grand soin, et l'on n'ignore ni l'étendue de leur façade, ni le diamètre de leurs colonnes, ni le développement précis du moindre de leurs ornements. Le même procédé d'études pourrait s'appliquer à l'art bouddhique, et le résultat n'en serait pas moins intéressant. C'est un complément qui sera donné quelque jour aux renseignements, d'ailleurs si précieux, de M. B. Hodgson. Ses dessins nous ont déjà fait connaître mieux un art dont on soupçonnait à peine l'existence. Les analyses plus détaillées que nous réclamons ne manqueront pas; et de nouveaux observateurs, sur les traces de M. Hodgson, n'auront qu'à donner des échelles et des plans à côté de toutes ces élévations. Ils y joindront, s'ils le peuvent, la date où ces édifices ont été construits, le nom des princes qui les ont érigés, et peut-être aussi le nom plus modeste des artistes qui les ont bâtis.

:

En attendant, nous n'en devons pas moins de reconnaissance à celui qui a consacré tant de recherches, de peine et de temps, à recueillir ces curieux documents. C'est un nouveau service que M. B. H. Hodgson aura rendu aux études bouddhiques, qui, sans lui, seraient restées bien des années encore dans l'état obscur où le xvin siècle nous les avait transmises. Mais je ne puis, en terminant, m'empêcher d'émettre un vœu c'est que tous ces dessins et ces tableaux puissent être gravés et entrer ainsi dans le domaine public. Aujourd'hui, réduits comme ils le sont à un exemplaire unique, ils sont trop difficilement accessibles. La description que je viens d'en essayer ne sera connue que de bien peu de lecteurs, et le nombre de ceux qui seront tentés de voir eux-mêmes les documents sera bien moindre encore. La gravure, en multipliant les épreuves, faciliterait beaucoup l'examen. Mais elle serait fort coûteuse; et c'est là sans doute ce qui empêchera de longtemps qu'elle ne soit faite, tout utile qu'elle serait ici comme pour bien d'autres cas.

BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

BIBLIOTHECA PATRUM GRÆCORUM ET LATINORUM. Epiphanii, episcopi Constantiæ, opera. Edidit G. Dindorfius. Lipsiæ, T. O. Weigel, 1859-1862, six volumes in-8°.

Il n'est personne qui, se livrant à une étude sérieuse de la littérature grecque, ne soit frappé du goût pour les idées les plus abstraites, les plus purement intellectuelles, que montra la race hellénique sortie à peine du seuil des époques primitives et fabuleuses. D'abord, il est vrai, la littérature, comme le pays tout entier, ne respire que la poésie; au siècle de Périclès les progrès de la raison marchent de pair avec ceux des sciences et des arts; Aristóte interroge la nature, et ses œuvres présentent à ceux qui savent les lire un monument imposant des forces de l'intelligence humaine. Mais, dans les philosophes de la même époque, on remarque déjà une inclination naturelle pour les distinctions subtiles, un penchant à diviser sans cesse les idées, à en saisir les nuances fugitives, à les représenter d'une manière plus ou moins intelligible; et plus d'une fois l'éclat du style de Platon ne cache pas entièrement les arguties et l'appareil artificiel employés par Socrate pour faire prévaloir son opinion, pour embarrasser son adversaire dans la dispute, ou pour échapper à ses piéges.

Ce même goût pour les discussions abstruses se perpétua chez les Grecs; il augmenta même à mesure que le génie abandonna ce peuple que jadis il avait tant illustré. On connaît les subtilités et les interminables disputes des écoles d'Athènes et d'Alexandrie, où trop souvent on se livrait à une lutte de réputation plus profitable à la renommée passagère de quelques chefs de secte qu'au progrès de la véritable philosophie; et, malgré leurs nombreux écrits, Ammonius, Jamblique, Plotin, Porphyre, Proclus, Olympiodore, n'ont ni trouvé de nouvelles méthodes d'investigation, ni ajouté beaucoup de vérités utiles à la masse de nos connaissances.

Déjà le christianisme avait paru, avec ses principes de fraternité générale, germe d'une révolution dans les destinées de l'espèce humaine; opprimé et persécuté pendant trois siècles, il finit par triompher. On lui doit la destruction de l'esclavage, qui avait déshonoré les beaux jours de la Grèce, savante et libre; on pouvait donc espérer que, partout où la civilisation hellénique s'était introduite, on verrait dans les diverses classes de la société un perfectionnement réel des facultés

morales, et que la race grecque, en Afrique, en Asie, comme en Europe, se contenterait des vérités simples de l'Evangile, qu'elle croirait avoir des lumières suffisantes pour envisager sans effroi la vie future, pour se conduire dans les affaires communes de chaque jour avec une bienveillance mutuelle; enfin, on pouvait se flatter que ces populations nouvellement converties se conformeraient aux préceptes contenus dans les livres saints, émanés de la sagesse éternelle de la divinité.

Il n'en fut rien, cependant; les sectaires remplacèrent les sophistes. Oubliant combien les limites de la certitude sont étroites, habitués aux argumentations et aux disputes, souvent peu lettres et d'un esprit faible, mais toujours prêts à périr pour leur doctrine, ces novateurs, entraînés par une imagination ardente et abusant de la flexibilité de la langue grecque, inventaient des termes, des définitions, des distinctions, d'une subtilité que l'antiquité hellénique a rarement atteinte, et qui fut peu goûtée par l'Occident latin. La plupart de ces dissidents s'élevaient, il est vrai, jusqu'à la contemplation d'un être préexistant par lui-même et cause nécessaire de l'univers; tous, ou presque tous, croyaient à un Christ, à un Messie, envoyé de Dieu pour sauver le genre humain ; mais ils ajoutaient des fictions extravagantes, qui variaient à l'infini. Les uns employaient tout ce qu'ils avaient d'imagination et de savoir pour prouver que leur doctrine était celle des apôtres; d'autres se livraient à une polémique violente contre ceux qui se permettaient de rêver autrement qu'eux-mêmes; d'autres encore essayaient de ressusciter les superstitions de l'ancienne théurgie païenne, ou se plaisaient dans des allégories mystiques qui n'étaient ni plus ni moins absurdes que les cosmogonies des épicuriens et des pythagoriciens; enfin, tout ce que la crédulité en délire peut inventer d'extravagances semble s'être réuni dans la tête de quelques-uns de ces sectaires.

Cependant, jusqu'aux règnes de Justinien et d'Héraclius, le goût de la saine littérature et des études raisonnables n'était pas totalement éteint en Orient. Des hommes animés d'une foi vive sentirent le besoin de redresser en quelque sorte l'intelligence de leurs contemporains, menacée de se plier aux fausses directions que lui imprimaient des fictions grotesques; et, pour confondre les imposteurs, ils firent usage des armes de la dialectique, de l'érudition, et des traits non moins puissants du ridicule. On sait que l'étude de leurs écrits polémiques fait partie de ce qu'on désigne depuis quelque temps par le mot de patrologie, science particulière, pleine d'intérêt et de grandeur, car elle se lie, dans l'histoire des religions, à la chaîne éternelle des destinées humaines. Aussi, sans parler ici des Pères latins de l'Occident, plusieurs

hommes éminents, en France comme en Allemagne, ont-ils, dans ces derniers temps, appelé l'attention des métaphysiciens, des historiens et des hellénistes, sur une branche de la littérature grecque trop négligée depuis le commencement de notre siècle, et les six volumes que nous annonçons aujourd'hui font partie d'une nouvelle édition des Pères publiée par M. Weigel, libraire à Leipzig. Ces volumes, contenant les euvres de saint Épiphane, sont dus aux soins de M. Guillaume Dindorf. Comme on devait s'y attendre, on y retrouve cet esprit de critique qui seul peut rendre l'érudition vraiment utile, et cette sagacité que donne au savant éditeur une longue expérience, acquise par ses immenses travaux sur les textes des auteurs classiques.

Il nous semble qu'en comparant les œuvres des Pères grecs on pourrait partager ces écrivains en deux classes. Les uns, d'un talent de style remarquable, d'une diction pure, sont éloquents, élevés, énergiques, car le zèle pour la vérité est aussi une passion. Trois saints très-révérés dans l'Église d'Orient, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, et le frère de celui-ci, Basile le Grand, marquent surtout dans cette catégorie, et leur gloire doit rejaillir sur une contrée dont l'antiquité hellénique parle trop souvent avec un dédain injuste. Tous les trois étant originaires de la Cappadoce, leur talent et leurs vertus étaient la meilleure réfutation d'un préjugé populaire et d'un dicton passé en proverbe 1,

Nous mettrions dans la seconde classe les Pères grecs qui, moins riches en beautés brillantes, ne prétendent point à une éloquence harmonieuse, et n'ont pour but que d'éclairer l'entendement, d'exposer dans un langage sans recherche les dogmes de l'Église grecque orthodoxe, et de signaler les aberrations ou la mauvaise foi des sectaires. Quelques-uns de ces Pères vont même jusqu'à étudier l'Écriture d'après leurs propres lumières; ils interprètent les mots, ils comparent les traductions, ils examinent les textes que la divinité a daigné révéler aux hommes, et plusieurs de leurs écrits ont une certaine analogie avec les travaux de la philologie moderne. Origène, qui, en outre, cherchait à concilier les vérités évangéliques avec les idées de Platon, était regardé comme le fondateur ou du moins comme le chef de cette école; mais son système fut peu goûté par la majorité des docteurs de l'Église grecque. Se renfermant dans les questions fondamentales, craignant cet esprit d'examen et de doute qui avait déjà engendré tant d'erreurs,

1

Κρῆτες, Καππάδοκες, Κίλικες, τρία κάππα κάκιστα. (Érasme, Chiliades adagio-
82.)

rum, III, vi,

T

ces docteurs, d'un esprit décidé, exigeaient une soumission complète aux dogmes. Selon eux, toute la philosophie païenne, malgré ses efforts, n'était parvenue qu'à indiquer faiblement le désir, l'espérance, ou tout au plus la probabilité d'une vie à venir; il y avait donc des questions sur lesquelles l'intelligence humaine ne doit point s'en rapporter à la lumière naturelle; elle ne doit suivre que la lumière vivifiante et féconde de la foi. Autant que nous pouvons juger, soit par leurs œuvres complètes, soit par des fragments qui nous en sont parvenus, saint Irénée, saint Justin le Martyr, Didyme d'Alexandrie, Théodoret, Léonce de Byzance, saint Jean Damascène, beaucoup d'autres encore, paraissent avoir été dans cette conviction; et, après la prise de Constantinople par les croisés, en 1204, l'historien Nicétas Choniate, réfugié à Nicée, y trouva le loisir et eut la consolation de réunir dans un grand ouvrage 1 les arguments par lesquels les défenseurs de l'Église orthodoxe, en exposant leur doctrine, avaient réfuté les arguties subtiles et les fictions extravagantes de leurs adversaires.

Mais celui qui s'élève au-dessus de la plupart des écrivains que nous venons de nommer, celui auquel son activité, son talent, la variété de son savoir ont acquis, en Grèce, une réputation durable, c'est saint Épiphane. Nous n'entrerons dans aucun détail sur la vie longue et agitée de cet évêque de la ville de Constantia, l'ancienne Salamine, sur la côte orientale de l'île de Chypre; on sait que, né en Palestine, vers l'an 310, d'une famille juive, il ne mourut qu'en 403, sous le règne de l'empereur Arcadius. Nous n'examinerons pas non plus les opinions théologiques de ce saint, combattant avec force ceux qu'il taxait d'être les partisans d'Origène; notre unique but doit être de faire connaître ici ce que les œuvres de ce Père, sous le rapport de la langue, ont gagné par l'édition nouvelle.

Ces œuvres, il est vrai, présentent le triste tableau d'un siècle de décadence, où les esprits les plus distingués consumaient leur raison dans des méditations profondes mais souvent illusoires. Cependant on peut affirmer que nul auteur grec n'est plus instructif que saint Épiphane, quand on veut connaître à fond l'histoire ecclésiastique des quatre premiers siècles de notre ère; et des faits curieux, tirés en partie d'ouvrages perdus aujourd'hui, abondent dans ces œuvres qui sont au nombre de cinq, si l'on ne compte pas plusieurs lettres, homélies, et

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enσavpòs ¿podožías, en vingt-sept livres, dont les cinq premiers, traduits en latin par Pierre Morel, ont été seuls imprimés dans le tome XXV de la Bibliotheca Patrum maxima. La totalité du texte grec est restée inédite

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