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d'autres opuscules dont l'authenticité a été toujours fort contestée. Mais, d'après l'opinion des critiques les plus habiles, les écrits qui appartiennent indubitablement au prélat dont il s'agit sont le Panarion, sur lequel nous nous proposons de revenir; la Répétition sommaire (ÅvaneQaλaíwors), qui n'est autre chose que le résumé de l'ouvrage précédent; un Traité des poids et mesures; un autre traité concernant les pierres précieuses qui ornaient la poitrine d'Aaron; enfin l'Ancorat (Αγκυρωτός), (Ayxupwτòs), composition assez méthodique, ainsi appelée parce que l'auteur la regardait comme une aucre propre à affermir la foi chancelante de ceux dont l'esprit n'était ni fortifié ni rendu assez pénétrant par une longue étude, et qui ne pouvaient trouver dans leur propre intelligence un ensemble de vérités qui les défendît contre l'erreur.

Les œuvres complètes de saint Epiphane furent publiées pour la première fois à Paris, en 1622, par le P. Pétau. Émule des Scaliger et des Casaubon, mis au rang des plus habiles chronologistes de son temps, à cause de son grand travail De doctrina temporum et de son Uranologion, auteur de plusieurs autres ouvrages sur des questions d'histoire et de théologie, cet érudit apporta de notables améliorations au texte grec, auquel il joignit une nouvelle version latine et un ample commentaire. Son édition, formant deux volumes in-folio, fut réimprimée à Leipzig, en 1682, avec fort peu de soin; et, depuis ce temps, des écrivains jouissant d'une réputation méritée, Ardenna, Heinsius, Iortin, Lardner, Rosenmüller, publièrent des observations sur la vie, le génie, la doctrine d'Epiphane; ils rectifièrent quelques passages de l'édition de Paris; mais aucun de ces savants n'eut le loisir ni peut-être le courage de faire réimprimer la totalité d'un texte dont la révision critique exigeait des connaissances profondes, spéciales et variées.

Ceux qui ont donné des éditions d'auteurs grecs savent qu'il est plus facile de découvrir les fautes introduites par les copistes dans le texte' d'un prosateur constamment correct et d'une diction pure, que de reconnaître ces mêmes fautes dans un ouvrage écrit d'un style inégal et peu soigné. On connaît aujourd'hui assez la langue attique pour qu'un philologue étant à la hauteur de la science puisse dire, avec une probabilité approchant de la certitude, si tel mot, telle phrase, telle construction, appartiennent à l'auteur original ou ne sont que des altérations d'une date postérieure. Or, pour nous servir des expressions du pa

1 Dans son édition de Xénophon, dont le troisième volume vient de paraître à Oxford, 1862, in-8°, M. Louis Dindorf a prouvé combien cette connaissance du grec de la belle époque, jointe à une grande sagacité, est un guide sûr pour le travail minutieux, important et délicat, d'épurer le texte d'un auteur classique.

triarche Photius, saint Épiphane, écrivain religieux, savant et fécond, exprime souvent des vérités éternelles dans un langage terrestre et imparfait; il confond les sectaires, mais «ni les termes dont il se sert ni << sa manière de construire les phrases ne s'élèvent à la hauteur de son sujet1. » C'est même là une question de critique littéraire qui se présente souvent à l'occasion des ouvrages composés dans les temps où les langues commencèrent à s'altérer : quand l'éditeur rencontre une locution peu correcte, doit-il l'attribuer à l'auteur lui-même plutôt qu'à l'inattention ou à l'ignorance de ceux qui ont transcrit ses œuvres?

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Le grand et difficile travail de faire cette distinction a été entrepris avec dévouement et avec succès par M. Guillauine Dindorf. Pétau n'avait à sa disposition que quelques variantes communiquées par André Schott et fort peu de manuscrits; le nouvel éditeur, dans la préface du premier volume (p. ш-xxxvII), en cite plus de dix, conservés en France, en Italie, en Allemagne, et collationnés avec le plus grand soin, quand on pouvait en obtenir la communication. Le plus remarquable de ces manuscrits se trouve aujourd'hui à la bibliothèque de Saint-Marc de Venise; il date de l'an 1057, et, comparé avec d'autres transcriptions moins anciennes, il a permis à M. Dindorf de remplir plusieurs lacunes, de retrancher des interpolations évidentes, de déchiffrer des sigles mal lus par ses devanciers, et d'améliorer, en plus de mille endroits, le texte grec, principalement celui de l'Ancorat et du Panarion.

Ce dernier ouvrage, le plus considérable des œuvres de saint Épiphane, puisqu'il forme à lui seul tout le premier volume de l'édition de Paris, remplissant plus de onze cents pages in-folio, est un traité dirigé contre quatre-vingts hérésies, nées des interprétations erronées de l'Écriture ou de l'imagination bizarre et désordonnée des sectaires. C'est un tableau de grand intérêt, mais peu susceptible d'extrait. Il porte le titre métaphorique et peut-être un peu recherché de Ilavάpiov, indiquant par ce mot emprunté au latin, qu'il contient une espèce de manne céleste, une nourriture salutaire aux âmes comme le pain l'est au corps. Nos lecteurs ne s'attendent pas, sans doute, à trouver ici la liste complète de ces hérétiques, dont les noms, quelquefois fort défigurés dans les manuscrits, sont souvent aussi étranges que la doctrine qu'ils professaient, et les moyens employés par eux pour obtenir la béatitude éternelle. Qu'il suffise de citer les Carpocratiens (vol. II, p. 62), qui, peu scru

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· Τὴν δὲ φράσιν ταπεινός τε καὶ οἷα εἰκὸς Ἀττικῆς παιδείας ἀμελέτητον τυγχάνειν. . . εἰ καὶ τῶν ῥημάτων αὐτῷ καὶ τῆς συντάξεως οὐδὲν τὸ ἰδίωμα συμβελτιοῦται. (Photius, Biblioth. cod. cxx11, p. 94 de l'éd. de M. Emm Bekker.)

hommes éminents, en France comme en Allemagne, ont-ils, dans ces derniers temps, appelé l'attention des métaphysiciens, des historiens et des hellénistes, sur une branche de la littérature grecque trop négligée depuis le commencement de notre siècle, et les six volumes que nous annonçons aujourd'hui font partie d'une nouvelle édition des Pères publiée par M. Weigel, libraire à Leipzig. Ces volumes, contenant les euvres de saint Épiphane, sont dus aux soins de M. Guillaume Dindorf. Comme on devait s'y attendre, on y retrouve cet esprit de critique qui seul peut rendre l'érudition vraiment utile, et cette sagacité que donne au savant éditeur une longue expérience, acquise par ses immenses travaux sur les textes des auteurs classiques.

Il nous semble qu'en comparant les œuvres des Pères grecs on pourrait partager ces écrivains en deux classes. Les uns, d'un talent de style remarquable, d'une diction pure, sont éloquents, élevés, énergiques, car le zèle pour la vérité est aussi une passion. Trois saints très-révérés dans l'Église d'Orient, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, et le frère de celui-ci, Basile le Grand, marquent surtout dans cette catégorie, et leur gloire doit rejaillir sur une contrée dont l'antiquité hellénique parle trop souvent avec un dédain injuste. Tous les trois étant originaires de la Cappadoce, leur talent et leurs vertus étaient la meilleure réfutation d'un préjugé populaire et d'un dicton passé en proverbe 1,

Nous mettrions dans la seconde classe les Pères grecs qui, moins riches en beautés brillantes, ne prétendent point à une éloquence harmonieuse, et n'ont pour but que d'éclairer l'entendement, d'exposer dans un langage sans recherche les dogmes de l'Église grecque orthodoxe, et de signaler les aberrations ou la mauvaise foi des sectaires. Quelques-uns de ces Pères vont même jusqu'à étudier l'Écriture d'après leurs propres lumières; ils interprètent les mots, ils comparent les traductions, ils examinent les textes que la divinité a daigné révéler aux hommes, et plusieurs de leurs écrits ont une certaine analogie avec les travaux de la philologie moderne. Origène, qui, en outre, cherchait à concilier les vérités évangéliques avec les idées de Platon, était regardé comme le fondateur ou du moins comme le chef de cette école; mais son système fut peu goûté par la majorité des docteurs de l'Église grecque. Se renfermant dans les questions fondamentales, craignant cet esprit d'examen et de doute qui avait déjà engendré tant d'erreurs,

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· Κρήτες, Καππάδοκες, Κίλικες, τρία κάππα κάκιστα. (Érasme, Chiliades adagiorum, III, vi, 82.)

ces docteurs, d'un esprit décidé, exigeaient une soumission complète aux dogmes. Selon eux, toute la philosophie païenne, malgré ses efforts, n'était parvenue qu'à indiquer faiblement le désir, l'espérance, ou tout au plus la probabilité d'une vie à venir; il y avait donc des questions sur lesquelles l'intelligence humaine ne doit point s'en rapporter à la lumière naturelle; elle ne doit suivre que la lumière vivifiante et féconde de la foi. Autant que nous pouvons juger, soit par leurs œuvres complètes, soit par des fragments qui nous en sont parvenus, saint Irénée, saint Justin le Martyr, Didyme d'Alexandrie, Théodoret, Léonce de Byzance, saint Jean Damascène, beaucoup d'autres encore, paraissent avoir été dans cette conviction; et, après la prise de Constantinople par les croisés, en 1204, l'historien Nicétas Choniate, réfugié à Nicée, y trouva le loisir et eut la consolation de réunir dans un grand ouvrage 1 les arguments par lesquels les défenseurs de l'Église orthodoxe, en exposant leur doctrine, avaient réfuté les arguties subtiles et les fictions. extravagantes de leurs adversaires.

Mais celui qui s'élève au-dessus de la plupart des écrivains que nous venons de nommer, celui auquel son activité, son talent, la variété de son savoir ont acquis, en Grèce, une réputation durable, c'est saint Épiphane. Nous n'entrerons dans aucun détail sur la vie longue et agitée de cet évêque de la ville de Constantia, l'ancienne Salamine, sur la côte orientale de l'île de Chypre; on sait que, né en Palestine, vers l'an 310, d'une famille juive, il ne mourut qu'en 403, sous le règne de l'empereur Arcadius. Nous n'examinerons pas non plus les opinions théologiques de ce saint, combattant avec force ceux qu'il taxait d'être les partisans d'Origène; notre unique but doit être de faire connaître ici ce que les œuvres de ce Père, sous le rapport de la langue, ont gagné par l'édition nouvelle.

Ces œuvres, il est vrai, présentent le triste tableau d'un siècle de décadence, où les esprits les plus distingués consumaient leur raison dans des méditations profondes mais souvent illusoires. Cependant on peut affirmer que nul auteur grec n'est plus instructif que saint Épiphane, quand on veut connaître à fond l'histoire ecclésiastique des quatre premiers siècles de notre ère; et des faits curieux, tirés en partie d'ouvrages perdus aujourd'hui, abondent dans ces œuvres qui sont au nombre de cinq, si l'on ne compte pas plusieurs lettres, homélies, et

L

latin

1 Onσaupòs oplodolas, en vingt-sept livres, dont les cinq premiers, traduits en par Pierre Morel, ont été seuls imprimés dans le tome XXV de la Bibliotheca Patrum maxima. La totalité du texte grec est restée inédite

puleux quant à la moralité des actions humaines, prêchaient la fusion avec l'essence unique (μovàs), divine et primitive; les Ophites (p. 260), subdivision des Gnostiques, craignant et adorant un esprit immonde et rebelle qui se montrait sous la forme d'un serpent (¿Qióμopos); les Encratites (p. 382), ascètes rigoureux, interdisant l'usage du vin, voulant que la cène elle-même fût célébrée avec de l'eau (poapaστáται, aquarii); les Pneumatomaques (vol. III, part. I, p. 332), qui, dans les grandes et subtiles questions relatives à la nature, à la distinction et à l'égalité des trois personnes de la Trinité, professaient, quant à la troisième de ces personnes, des sentiments contraires à ceux de l'Église orthodoxe. Dans des notes généralement courtes et précises, jointes au premier et au quatrième volume de la nouvelle édition, M. Dindorf a rectifié l'orthographe de plusieurs de ces dénominations étranges; il a rétabli un grand nombre de noms propres et rendu intelligibles beaucoup de passages qui n'offraient aucun sens dans l'édition de Paris. Qu'il nous soit permis de citer quelques-unes de ces corrections heureuses; elles supposent non-seulement une grande connaissance de la littérature grecque sacrée et profane, mais encore une longue et profonde étude des écrits de saint Épiphane et de sa manière de s'exprimer.

Dans une lettre adressée aux prêtres Acacius et Paul, lettre qui sert de prologue ou d'introduction au Panarion, on lit p. vi, D, de l'édition de Paris : Κατὰ Φρυγαστῶν καὶ Μοντανιστῶν. Pétau traduit : Cataphryges qui et Montaniste. De là le mot barbare of Kara@puyaστv, que l'on trouve dans saint Jean Damascène', et le nom de Cataphrygiens, Cataphrygarum, dénomination employée par beaucoup d'auteurs latins. M. Dindorf (vol. I, p. 382) prouve qu'en séparant la préposition et l'article il faut lire, xarà Φρύγας (facon de parler elliptique pour, ἡ κατὰ Φρύγας αἵρεσις), τῶν καὶ MOVTAVIσTOV. On sait que l'hérésie des Montanistes ayant pris naissance en Μοντανιστῶν. Phrygie, Opúyes et Movτavioral sont synonymes. Saint Epiphane lui-même, en parlant de ces derniers, dit vol. II, p. 426, ligne 7, aipeσis åvaκύπτει τῶν Φρυγῶν καλουμένη, et p. 439, 1. 14, ὦ Φρύγες.

Ρ. 1087, Α : Σωκράτης ὁ τοῦ ̓Ελβάγλου, ἢ Σωφρονίσκου. Petau était trop versé dans l'histoire et dans la langue grecque pour ne pas être choqué de la leçon monstrueuse EXCáyλov. Dans son commentaire, tome II, p. 337, C, il la qualifie avec raison de barbara vox, ce qui ne l'a pas empêché de traduire : Socrates Elbagli, sive Sophronisci. Il ajoute cependant en marge qu'un manuscrit de Paris porte eλudyλov, variante qui aurait pu le conduire à la vraie leçon épuoyλúpov, correction faite déjà

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