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vent encore de texte aux écoles théologiques de l'Islâm pour justifier les différences qui les divisent. Ce sont les Collections des Sunnites. Quant à celles des Shiytes, au nombre de quatre, elles ne furent terminées qu'un peu plus tard, et elles n'ont jamais joui que d'une autorité inférieure. Ces monuments, qui doivent prendre place à la suite du Corân, sont étudiés encore de nos jours dans toutes les parties du monde mahométan, et ils y sont extrêmement populaires. Ils captivent et ils amusent les lecteurs plus que les biographies du Prophète qui ont été postérieurement composées.

Un mérite plus réel qu'elles doivent posséder à nos yeux, c'est qu'elles portent la marque irrécusable de la plus sincère honnêteté. Chaque tradition, isolée et formant par elle-même un tout distinct, est rattachée par une liste de témoins non interrompue à quelqu'un des Compagnons de Mahomet. Si parfois les dépositions se contredisent, elles n'en sont pas moins rapportées côte à côte avec la plus parfaite bonne foi. Il y en a même quelques-unes qui sont peu favorables au Prophète, et dont, à ce titre, la véracité ne peut être suspecte. C'est au lecteur mahométan de faire son choix au milieu de tous ces témoignages, et même de ces écueils; c'est à nous aussi de faire le nôtre dans la Sunnat, et de n'admettre que ce qui porte l'empreinte de la vraisemblance, et que ce qui s'accorde avec le Corân, mesure permanente et indubitable de tout le reste.

Le Corân et la tradition, conservée comme je viens de le dire, sont les véritables éléments de la biographie de Mahomet 1. Il paraît que, dès la fin du premier siècle, quelques dévots songèrent à l'écrire; on nomme Orva, qui mourut en 94, et son disciple Zohri, qui mourut en 124, à l'âge de soixante et douze ans, sous la dynastie des Ommiades. Il ne reste rien de leurs ouvrages; mais Zohri est souvent cité par les auteurs

les noms des auteurs des six collections, avec la date de leur mort. En dehors de ces six collections officielles, il y en a une autre qui est un peu plus ancienne, et dont l'auteur, selon M. W. Muir, Imâm Mâlik al Müatta, vivait de 95 à 179 de l'hégire (717-801 de notre ère). Cette collection, bien qu'elle n'entre pas dans le canon orthodoxe, n'en jouit pas moins d'une grande estime; et bien des commentateurs la regardent comme ayant fourni aux autres une bonne partie de leurs matériaux. Elle a été publiée à Debli en 1849. Ces collections sont toutes, à ce qu'il paraît, le résumé d'une enquête beaucoup plus vaste. Les traditions relatives au Prophète s'élevaient au nombre de cinq à six cent mille; mais elles étaient si extravagantes, qu'il fallut les éliminer pour la plupart, et l'exégèse musulmane n'en a gardé que quatre ou cinq mille; ce qui est encore bien considérable. — 1 M. W. Muir, Life of Mahomet, t. I, introduction, p. LXXXIX, a marqué les différences de la tradition et de la biographie.

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subséquents, ainsi que plusieurs autres biographes, Musa, fils d'Ocba, et Abou Máshar, du début du second siècle, Abou Ishâc, à la fin de ce même siècle, et enfin Madaini, au commencement du troisième. Mais, à défaut de ces auteurs, qui n'ont pas été épargnés par le temps, il y en a quatre dont les ouvrages sont parvenus jusqu'à nous, en tout ou en partie.

Le plus ancien est Mohammad-ibn-Ishâc, qui mourut en l'an 151 de l'hégire (773 de notre ère). Il écrivait, par conséquent, sous les Abassides, et c'est pour Al-Mansoûr, le second prince de cette dynastie, qu'il composa son ouvrage. On n'en a conservé que des morceaux; mais son autorité est fréquemment invoquée par ses successeurs, et il passe pour un des auteurs les plus sûrs que l'on puisse toujours consulter1.

Le second biographe du Prophète est Ibn-Hishâm, qui mourut l'an 213 de l'hégire (835 de notre ère). On a son ouvrage tout entier, qui est intitulé simplement, Biographie du Prophète (Sîrat al Raçoûl 2); mais ce n'est pas le seul qu'il eût composé, et il avait fait les plus savantes recherches sur la généalogie des rois himyarites, antérieurs de plusieurs siècles à l'Islâm, et de très-utiles commentaires sur les passages obscurs des anciens poëtes. Il avait pris pour base de son travail celui d'Ibn-Ishâc, et le sien même est devenu ensuite l'objet de commentaires célèbres. Il ne paraît pas, d'ailleurs, mériter une confiance entière, et il s'est attaché, à ce qu'il semble, à supprimer tous les détails qui pouvaient être peu favorables au Prophète. Mais ce qui le recommande aux yeux des Européens, c'est que son livre est presque aussi régulier que les nôtres, et qu'il procède avec une méthode que ne désavoueraient pas nos meilleurs biographes. Ibn-Hishâm était né au Vieux Caire, et il y mourut; mais sa famille était de Bosra.

Son contemporain Wâckidi, quoique né à Médine3, écrivit et vécut

M. William Muir (Life of Mahomet, t. I, introduction, p. xct et suivantes) défend Ibn-Ishâc contre les critiques assez graves de M. A. Sprenger, qui n'est guère moins sévère à l'égard d'Ibn-Hishâm. Il paraît que les copies du Sirat arracoûl sont assez rares; mais M. William Muir en a vu deux exemplaires, l'un à Delhi, et l'autre dans la bibliothèque de la Société asiatique, à Calcutta. Il en a été fait un abrégé à Damas, vers le commencement du xiv siècle, l'an 707 de l'hégire, et cet abrégé n'a peut-être pas peu contribué à faire disparaître l'original. Les musulmans, d'ailleurs, préfèrent en général les biographies modernes, qui sont pleines de détails mythologiques, et ils trouvent les anciennes trop austères. Wâckidi est mort en l'an 207 de l'hégire, sans doute à Bagdad, c'est-à-dire six années avant Ibn-Hisbâm; il aurait dû, par conséquent, être placé avant lui; mais je l'ai laissé après, comme le fait M. William Muir, parce que le secrétaire de Wâckidi n'est mort qu'en 230 de l'hégire, et que c'est surtout à cause de son secrétaire que Wâckidi est connu.

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à la cour des Abassides, auprès desquels il fut dans une faveur constante, surtout durant le règne d'Al-Mamoûn. C'était un personnage assez considérable, puisqu'il était câdi du quartier oriental de Bagdad. Il avait amassé une bibliothèque qui, renfermée dans six cents caisses, formait, à sa mort, la charge de cent vingt chameaux. Il avait écrit un très-grand nombre de livres; mais le seul qui soit resté jusqu'à nous, sous sa forme originale, est l'Histoire des guerres du Prophète (Al Maghâzi, comme celui d'Ibn-Ishâc). Une copie en a été récemment découverte en Syrie, et elle a été imprimée dans la Bibliotheca indica de Calcutta. Mais ce qui a rendu Wâckidi particulièrement célèbre, c'est son secrétaire Ibn-Saad, connu plus ordinairement sous le nom de Kâtib al Wâckidi ou secrétaire de Wâckidi. Ce secrétaire, homme aussi intelligent que fidèle, avait hérité des papiers de son patron, et il en tira un excellent ouvrage en quinze volumes, sur les Compagnons du Prophète, sur leurs descendants et sur l'histoire des califes, jusqu'à son propre temps. Le premier volume, qui contient la biographie de Mahomet, avec des détails sur tous ceux des Compagnons qui étaient présents à la bataille de Bedr, a été retrouvé par M. le docteur A. Sprenger, à Cawnpore. C'est une découverte inestimable, qui suffirait seule à illustrer le nom de celui qui l'a faite. M. William Muir s'accorde avec M. le docteur Sprenger, pour attacher la plus haute importance à l'ouvrage du Kâtib al Wâckidi, bien qu'il n'y trouve guère moins de crédulité que dans les autres historiens arabes. Cette biographie du Prophète est composée presque entièrement de traditions détachées, qui ont été arrangées en chapitres, selon le sujet et selon une sévère chronologie. La chaîne des témoignages est donnée pour chaque tradition séparée; et, quand ils sont contradictoires, l'auteur se prononce parfois sur leur valeur relative.

Le quatrième des anciens biographes du Prophète est Tabari (Aboû Djafar ibn Djarîr al Tabari). Né en 224 de l'hégire, à Amoul, dans le Tabarestan, et mort à Bagdad, en 310 (846-932), il avait été un des Imans les plus éclairés et les plus respectés de son temps. Tabari, qu'on a surnommé quelquefois le Tite-Live des Arabes, avait composé des annales, non-seulement sur la vie de Mahomet, mais aussi sur les conquêtes de l'Islâm. Ce qu'on en connaissait et ce qu'on en avait publié jusqu'à ces derniers temps ne commençait qu'à la mort du Prophète. Le reste était regardé comme perdu, quand le docteur A. Sprenger, envoyé à Lucknow pour y inspecter les bibliothèques indigènes, découvrit, parmi de vieux manuscrits abandonnés, toute la partie de l'ouvrage de Tabari qui s'étend de la naissance du Prophète au siége de Médine,

cinq ans avant sa mort. C'est le quatrième volume1 de Tabari, extrait en majeure partie des ouvrages d'Ibn-Ishâc et de Wâckidi; mais, outre l'autorité nouvelle qu'il confère à ces biographes en les répétant, Tabari donne aussi des informations qu'on chercherait vainement ailleurs. Cependant il ne faut les employer qu'avec précaution, parce que Tabari est un partisan prononcé d'Ali, et qu'il n'est pas toujours impartial envers les Ommiades et pour tout ce qui les concerne.

Ainsi, le Corân, les six Collections sunnites et les quatre biographies que je viens de nommer, telles sont les sources de l'histoire du mahométisme, à ses débuts. MM. W. Muir et A. Sprenger déclarent que toutes les autorités qui dépassent la dynastie des Abassides n'ont presque aucun poids à côté de celles-là; et il semble qu'une saine critique doit nécessairement partager cette opinion 2. Après les Abassides, il n'y a plus rien à recueillir des traditions primitives; et tout ce qu'on fait alors, c'est d'en inventer de nouvelles, qui sont trop souvent aussi extravagantes qu'elles sont fausses. Mais, grâce aux autorités des premiers temps, on peut atteindre avec une sûreté satisfaisante à la vérité historique. On ne sait pas encore de Mahomet tout ce que notre curiosité voudrait en apprendre; mais tout ce que l'on en connaît est assez authentique pour qu'on puisse s'y fier, presque sans aucune réserve.

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BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

(La suite à un prochain cahier.)

Il manque donc encore les trois premiers volumes et la partie qui doit s'étendre du siége de Médine à la mort de Mahomet. Il est probable que ces morceaux existent toujours, et que quelque rival heureux de M. A. Sprenger parviendra à les retrouver dans l'Inde. Il est clair que ceci ne peut pas s'appliquer aux ouvrages postérieurs, quand ils citent des auteurs anciens. Ainsi le Dictionnaire biographique des Compagnons, par Ibn-Hidjr, n'en est pas moins précieux, parce qu'il a été fait 850 ans après l'hégire, quand il donne des extraits des premiers biographes, Ibn-Ocba, Abou Máshar, elc.

Clinique chirurGICALE et Tableau des progrès de la chirurgie contemporaine, par M. Maisonneuve.

Je partage l'histoire de la chirurgie en trois époques nettement marquées l'époque qui a précédé l'Académie de chirurgie, l'époque de cette Académie, et l'époque actuelle. Avant l'Académie de chirurgie. ni la puissance de l'art n'était bien comprise, ni l'art lui-même n'avait pris sa place; avec l'Académie de chirurgie, l'art parut dans toute sa grandeur; aujourd'hui la transformation est encore plus profonde : à l'art se joint la science.

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Pourquoi rappeler ces temps fâcheux où la chirurgie était repoussée de la Faculté; où la Faculté, par un sot orgueil, ne la traitait qu'en vassale et en subordonnée; où Gui-Patin, l'impertinent Gui-Patin, pouvait écrire «Nous voulons une compagnie de chirurgiens-barbiers, comme « nous avons eu jusqu'ici 1.: « Je vous assure, dit encore le même «Gui-Patin, que nous haïssons, à Paris, les chirurgiens à l'égal et peut«< être plus que les apothicaires 2. » On peut l'en croire. La Faculté haïssait tout les chirurgiens, les apothicaires, et même les médecins, quand ils n'étaient pas de la Faculté et qu'ils donnaient de l'antimoine, ou, ce qui, à la vérité, n'arrivait guère, quand ils croyaient à la circulation.

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La création de l'Académie de chirurgie fut la véritable époque de l'émancipation de ce grand art. Rien n'égale l'éclat que jeta, dès son apparition, le premier volume des mémoires de ce corps célèbre. A la vue de tant de questions importantes, traitées d'une manière si digne, et de tant de beaux noms, les Lapeyronie, les Lamartinière, les Lecat, les Morand, les Jean-Louis Petit, etc. rassemblés dans une même compagnie, le public fut surpris, et dès lors naquit le respect général pour un art que Voltaire, dont l'esprit juste met à chaque chose son prix, appelle le plus utile de tous les arts.

J. L. Petit, le plus illustre de tous ces hommes illustres, c'est-à-dire celui de tous qui a le plus fait pour les progrès de l'art, mourut en 1750. Le grand rôle passa dès lors à Desault; il a passé depuis à Dupuytren.

'Lettres de Gui-Patin, t. II, p. 326 (édition de Réveillé-Parise). p. 170.

2 Ibid. t. II,

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