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Je n'ai pu connaître Desault, mort en 1795. Voici comment en parle Richerand:

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«<< Peu de temps avant la suppression de l'Académie de chirurgie, et <«< dans son sein, s'éleva un homme qui devait en changer l'esprit, et la <«<remplacer dans l'histoire de l'art. Desault était le chef de cette nou« velle école. Plusieurs choses le recommandent éminemment au sou« venir et à l'admiration de la postérité : l'exactitude et la méthode qu'il «< a introduites dans l'étude de l'anatomie, science dont les secrets, avant «<lui révélés au petit nombre, sont devenus, par ses soins, des notions « vulgaires; le noble enthousiasme pour son art, qu'il savait communi« quer à ses disciples; l'enseignement clinique dont il a offert le premier « modèle, la hardiesse et la simplicité de ses procédés opératoires.... J'ai connu Dupuytren. Il a laissé une réputation immense. Élève de Bichat, quoique à peine moins âgé que lui, il a porté la physiologie dans la chirurgie, comme Desault y avait porté l'anatomie. Nul homme n'avait encore eu, en chirurgie, ni cet éclat de talent, ni cette continuité de succès, ni cette opiniâtreté de travail. On l'a vu, pendant trente ans, arriver tous les matins, dès cinq heures, à l'Hôtel-Dieu; et là passer en revue des centaines de malades; et, à chaque malade, c'était la même attention, la même présence d'esprit, le même coup d'œil net et précis, la même sûreté de main. Il a peu écrit, j'en conviens; je conviens même que ce peu qu'il a écrit est très-médiocre; mais il professait comme il opérait, avec une supériorité sans égale. C'est par cette double supériorité qu'il maintenait, qu'il renouvelait, chaque jour, l'enthousiasme de ses élèves, et qu'il a fini par obtenir l'admiration universelle de ses contemporains.

Richerand dit de Desault, qu'il changea l'esprit de l'Académie de chirurgie. Je ne dirai point cela de Desault, ni même de Dupuytren. Loin de le changer, ils le continuèrent; et c'est en le continuant qu'ils ont porté l'art de la chirurgie au point où nous le voyons. L'esprit de l'Académie ne change qu'à notre époque; mais il change profondément; et c'est ce que M. Maisonneuve montre avec évidence.

<< Jusqu'à ces derniers temps, dit-il, et principalement pendant toute <«la période représentée par Dupuytren, Roux, Lisfranc, etc. le génie « des chirurgiens semblait être absorbé dans le perfectionnement des « procédés opératoires, sous le point de vue de l'élégance et de la pré<«cision. Quant à la douleur et aux accidents consécutifs des opérations, «ces choses semblaient tellement inhérentes à la chirurgie elle-même,

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« que l'idée de leur neutralisation, considérée comme une sorte de << pierre philosophale, ne paraissait même pas digne d'occuper les es«prits sérieux. »

« Tel était l'état des choses, continue M. Maisonneuve, lorsque deux « découvertes importantes vinrent tout à coup ébranler cette doctrine « désespérante : l'une, la théorie de l'infection purulente, l'autre, la théo<«<rie ou plutôt la méthode des opérations sous-cutanées. . . . . Déjà done « le progrès avait rompu ses digues, lorsqu'un événement immense, « l'invention de la méthode anesthésique, vint à la fois supprimer la «< douleur des opérations chirurgicales, et raviver, chez les esprits ar«dents, la foi dans la solution du grand et magnifique problème de la « suppression complète des accidents opératoires. >>

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Cette foi dans la suppression complète des accidents opératoires est l'âme de la chirurgie contemporaine. Il faut le dire, et le dire hardiment, car cette foi est aujourd'hui celle de tout le monde. On a supprimé la douleur par l'éther et le chloroforme; on a supprimé l'inflammation et la suppuration par la méthode sous-cutanée; on a supprimé la fièvre terrible et presque toujours mortelle des amputés, par le soin constant de prévenir l'infection purulente. De tels accidents, si merveilleusement supprimés, permettent d'espérer la suppression de tous les

autres.

M. Maisonneuve énumère, au nombre de cinq, les découvertes principales qui ont changé l'esprit de la chirurgie: la théorie de l'infection purulente; celle des opérations sous-cutanées; celle des extirpations sous-périostées; celle de l'introduction de l'iode dans la thérapeutique; et la plus étonnante de toutes, celle de la suppression de la douleur par l'éther et le chloroforme. « Certes il faudrait pressurer bien « des siècles, dit avec raison M. Maisonneuve, pour en extraire un pareil faisceau de découvertes de premier ordre. »

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M. Maisonneuve commence par la théorie de l'infection purulente. «On « s'étonnera peut-être, dit-il, de nous voir placer au premier rang. parmi les découvertes de la chirurgie contemporaine, une théo«rie... Mais, qu'on ne s'y trompe pas, cette théorie est, selon nous, « destinée, d'ici à peu de temps, à transformer profondément la chi

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«<rurgie. »

Je dis, avec M. Maisonneuve, théorie de l'infection purulente; je devrais dire, d'abord, découverte, car c'en est une, et des plus importantes. C'est même un singulier bonheur de découverte que d'avoir rencontré un de ces faits qui passent journellement sous nos yeux, et que personne n'avait remarqué. On multipliait les opérations, les amputations; ces opé

rations, ces mutilations, réussissaient comme opérations, et personne ne voyait, personne ne soupçonnait cet accident terrible, cette fatale résorption, qui tout à coup survenait et emportait le malade, quand tout semblait aller au mieux.

Après les grandes opérations, après les amputations, faites par le bistouri, il reste une large plaie, une surface où se montrent partout les orifices béants des vaisseaux artériels, veineux, lymphatiques. Ges orifices béants sont autant de portes ouvertes pour la rentrée à l'intérieur, pour la résorption des fluides épanchés, et presque aussitôt corrompus qu'épanchés : le sang, le pus, la lymphe. Au moindre événement, à la moindre imprudence de la part du malade, il est pris de frisson, la résorption se fait, et se déclare la fièvre putride des amputés, presque toujours mortelle.

Toute la préoccupation aujourd'hui est de prévenir cette complication funeste. On fait tout pour cela. On cherche à produire l'occlusion exacte des orifices vasculaires. On a recours aux cautérisations, à la ligature, à la compression, aux injections dans les cavités closes, aux pansements astringents; on emploie, le moins possible, le bistouri.

« Le bistouri, qui, naguère encore, dit M. Maisonneuve, était, pour << ainsi parler, l'emblème de la chirurgie, et auquel le professeur Roux <«< voulait, disait-il, réduire l'arsenal chirurgical, le bistouri voit, chaque « jour, restreindre son domaine, et bientôt les chirurgiens n'en feront, « pour ainsi dire, plus d'usage que pour couper la peau. »

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Mais, c'est ici surtout que paraît bien l'avantage des opérations souscutanées. « Ces opérations, dit M. Maisonneuve, ont l'insigne préroga<«<tive d'éviter toute inflammation suppurative: aussi voyons-nous qu'elles « possèdent la propriété miraculeuse d'être d'une innocuité absolue. >> C'est de l'orthopédie que nous vient cette belle méthode, dite méthode sous-cutanée, et c'est à M. J. Guérin qu'elle est due. Pour diviser les ligaments et les tendons, qui donnent à nos membres ou à notre corps certaines positions vicieuses, il imagina de couper ces tendons ou ces ligaments sous la peau; et de là le nom d'opérations sous-cutanées. L'ancienne chirurgie avait aussi essayé de couper ces mêmes ligaments et ces mêmes tendons; mais elle avait exécuté ces opérations au moyen de grandes incisions; et ces opérations avaient eu des conséquences si désastreuses, que les chirurgiens avaient été obligés d'y renoncer. Tant il vrai qu'une simple modification dans le manuel opératoire peut influer sur le résultat! Ces opérations, pratiquées selon la méthode sous-cutanée, sont devenues,. tout à coup, les opérations les plus innocentes et les plus bénignes.

Je suis singulièrement frappé d'une vue de M. Maisonneuve. On attri

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buait l'innocuité des plaies sous-cutanées à ce que la plaie est à l'abri de l'air. Le fond de l'idée est vrai; mais il faut la bien entendre. Tant que nos organes restent sous leur peau, ils peuvent être divisés, coupés, broyés sans cesser de vivre; et, dès lors, tout se rétablit, tout se répare. Mais dès qu'ils sont exposés à l'air, leurs détritus, leurs sérosités, leurs fluides extravasés, se corrompent, et de là une source de décomposition et d'infection. Cette vue judicieuse de M. Maisonneuve peut suggérer de nouvelles recherches. Pour mon compte, j'en ai déjà fait plusieurs; je les publierai bientôt.

A côté des plaies sous-cutanées, je place les extirpations sous-périos tées. On a reconnu de bonne heure que nos os peuvent se reproduire. Le fameux Ruych, l'exact Lamotte, l'ingénieux Troja, ont réuni un grand nombre d'exemples d'os régénérés; mais on ne pouvait expliquer cette régénération. Troja, le plus récent de ces observateurs, écrivait, en 1775: «Nova grandium corporis humani ossium, tibiæ puta, femo <«< ris, humeri, cubiti, etc, reproductio, quando integre, aut majori ex << parte, ob morbos, cariem præsertim et fracturas, illa deperduntur, inter « miranda est prorsus naturæ mysteria reponenda1....... Evenit, » continue Troja, , « multarum observationum de die in die factarum, dum novum << os formatur, inopia in hac explicanda mirabili regeneratione 2. » Cette admirable régénération, comme l'appelle Troja, ce mystère de la nature, comme l'appelle encore Troja, tout cela s'explique aujourd'hui de la manière la plus simple et la plus claire.

C'est dans le périoste que l'os se forme. Pour voir l'os se reproduire, il suffit donc de conserver le périoste. Il faut conserver le périoste : c'est là tout le secret de la reproduction merveilleuse. En un mot, il faut extirper l'os en passant sous le périoste, et de là vient le nom que j'ai donné à cette opération, d'extirpation sous-périostée.

Moyennant cette précaution de conserver le périoste, M. Maisonneuve a vu la reproduction d'un tibia tout entier, d'une mâchoire inférieure tout entière, etc. feu M. Blandin a vu se reproduire une clavicule; M. Mottet, de Bayeux, les deux tiers d'un tibia; M. Sédillot, de Strasbourg, une partie du fémur, etc. etc.

Je n'en dirai pas davantage. La méthode sous-périostée est aujourd'hui entre les mains de tous les chirurgiens; ils la mettent en pratique, ils la jugent, il faut attendre leur jugement.

Je passe à l'introduction de l'iode dans la thérapeutique.

C'est en 1811 que Courtois, salpêtrier du faubourg Saint-Antoine,

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De novorum ossium regeneratione, p. 11. —

Ibid.

P. 12.

découvrit l'iode dans les cendres des varechs; c'est en 1813 que M. GayLussac en fit le sujet de l'un de ses plus beaux travaux; c'est peu de temps après qu'il fut introduit par M. Coindet, de Genève, dans la thérapeutique. On l'employait alors contre le goître et les scrofules. Il a peu d'effet contre ces maladies, mais il en a un admirable contre les accidents invétérés de la syphilis. On se rappelle l'étonnement que produisit, au xvi° siècle, la guérison de la syphilis par le mercure. Bérenger, de Carpi, l'un des premiers qui l'employa, y fit une immense fortune; ce qui engagea plus que toute autre chose, dit Sprengel, ses confrères à l'imiter. Mais ce mercure, si efficace contre la syphilis récente, n'a plus aucune action contre la syphilis ancienne.

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Là où le mercure échoue, triomphe l'iode. C'est une rapidité de succès à n'y pas croire. «Il vous arrivera, dit M. Maisonneuve, de voir les « ulcères les plus hideux, des tumeurs blanches suppurées, des tumeurs d'apparence cancéreuse, des phthisies même, des épilepsies, alors qu'elles ont une origine syphilitique, disparaître avec une prompti<«<tude qui dépasse toute imagination. Vingt-quatre heures suffisent pour << amener dans ces graves affections une amélioration sensible; six se<«<maines ou deux mois pour compléter la guérison.

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Ici se présente une opinion de M. Maisonneuve, qui demande quelque examen.

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A l'occasion de cette soudaine disparition des plus graves désordres : « Cette soudaine disparition, dit-il, est le renversement complet de cette << école anatomo-pathologique qui fut à la fois si prétentieuse et si stérile, << tandis que la doctrine si féconde de l'intoxication, que la découverte ré<cente de l'infection purulente vient de fonder, en reçoit une nouvelle « et puissante consécration. » Il est bien de rendre justice à la nouvelle école; mais il ne faut pas être injuste envers l'école ancienne. On se rappelle quelle est l'importance que Dupuytren attachait à l'anatomie pathologique. Il a fondé une chaire pour cette science; il a choisi, pour cette chaire un professeur, M. Cruveilher, homme dont les rudes et longs travaux continuent les études sévères de Morgagni. Le livre de Morgagni a pour titre Du siége et de la cause des maladies. De sedibus et causis morborum. Il y a donc deux objets : le siége, qui donne les symptômes; et la cause, qui donne la thérapeutique. Sans anatomie pathologique il n'y aura jamais ni chirurgie ni médecine vraiment scientifiques.

J'arrive à la plus merveilleuse de nos découvertes, à la suppression de la douleur par l'éther et le chloroforme. Je n'entre pas dans le débat de l'éther et du chloroforme : les uns donnent la préférence à l'éther; les

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