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autres, et M. Maisonneuve est de ce nombre, la donnent au chloroforme. La pratique est, pour les inventions utiles, ce que l'usage est pour les langues :

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Je n'examine ici que l'anesthésie en elle-même. L'anesthésie, quel que soit le moyen par lequel on l'obtient, est acquise à la science; et, l'on peut dire sans trop de pompe, à l'humanité. Quel que soit le moyen qu'on emploie pour supprimer la douleur, il sera toujours bon de supprimer la douleur.

L'anesthésie a deux grands effets, elle suspend, pour un moment, les deux propriétés qui gênent le plus l'opérateur : la sensibilité des nerfs et le mouvement des muscles volontaires. La disparition momentanée de ces deux propriétés, les plus caractéristiques de la vie, permet au chirurgien d'entreprendre et de mener à bien une foule d'opérations que, sans cela, il n'aurait jamais osé tenter.

Le chirurgien peut donner aujourd'hui carrière à son imagination : il n'est plus d'opération (d'opération raisonnable, bien entendu) qu'il ne puisse réaliser. Grâce au chloroforme, on réalise, en ce moment, une des opérations les plus délicates, et qui n'était point encore entrée dans la science, l'ovariotomie. M. Keberlé, de Strasbourg, l'a déjà pratiquée quatre fois, et quatre fois il a réussi.

Sur le chloroforme, je laisse parler M. Maisonneuve : « La merveil«<leuse puissance que nous possédons désormais de neutraliser la douleur <«<nous permet, dit-il, de ne plus tenir compte, dans nos déterminations opératoires, de cet élément naguère si considérable, et de négliger << dorénavant toute autre considération que celle du succès de l'opé« ration . . . . . »

<< D'un autre côté, la neutralisation de la contractilité musculaire ་ rend encore des services non moins considérables. Toute l'histoire des <«<luxations et des fractures a été, pour ainsi dire, transformée... Rien « de plus facile aujourd'hui que la réduction des luxations, et cela à tel «point, que nous pouvons dire maintenant qu'il n'existe plus de luxa«tions irréductibles. »>

J'attendrai le second volume de M. Maisonneuve pour continuer cette exposition des grands progrès de la chirurgie contemporaine.

FLOURENS.

Le Guide des ÉGARES, traité de théologie et de philosophie, par Moïse ben Maimoun, dit Maïmonide, publié pour la première fois dans l'original arabe, et accompagné d'une traduction française et de notes critiques, littéraires et explicatives, par S. Munk, membre de l'Institut. Tomes I et II, 2 vol. grand in-8°, chez Franck. Paris, 1856 et 1861.

QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

L'idée que Maïmonide se fait de la prophétie est le complément nécessaire de sa théorie des miracles. Ceux-ci, comme nous venons de le voir, ne contrarient en rien les lois de l'ordre matériel. Celle-là est conforme aux lois de l'ordre moral et intellectuel. Les premiers rentrent plus ou moins directement dans les spéculations de la physique; la seconde est du ressort de la métaphysique et bien plus encore de ce que nous appelons aujourd'hui la psychologie. Maimonide, assurément, ne connaît pas le nom de cette science cela ne l'empêche pas de la faire servir avec beaucoup d'habileté au but qu'il se propose, et de nous offrir ce que je nommerai sans hésiter une explication psychologique de la prophétie.

Et d'abord qu'est-ce que la prophétie prise en général? «La prophé« tie, répond Maïmonide 2, est une émanation de Dieu qui se répand par « l'intermédiaire de l'intellect actif sur la faculté rationnelle d'abord, et <«< ensuite sur la faculté imaginative; c'est le plus haut degré de l'homme << et la forme de la perfection à laquelle son espèce peut atteindre, et cet « état est la plus haute perfection de la faculté imaginative. » Par cette définition se trouve écartée toute idée d'un fait surnaturel. Il ne s'agit pas d'un don extraordinaire qui dépasse la mesure de nos facultés, mais de nos facultés mêmes, des facultés distinctives de notre espèce, de la raison et surtout de l'imagination, élevées à leur plus haute puissance. Quant au rôle que jouent ici l'émanation divine et l'intellect actif, il n'est que la conséquence nécessaire du système métaphysique de Maïmonide. Rappelons-nous, en effet, que l'émanation, c'est le nom de l'action incompréhensible à notre esprit que Dieu exerce sans inter

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Pour les articles précédents, voir les cahiers de février et mars 1862, et celui de février 1863 - II' partie, chap. xxxv1; t. II, p. 281 de la traduction française.

médiaire sur les intelligences séparées, et que l'intellect actif est la dernière de ces intelligences, celle que Dieu a choisie pour être le ministre de ses desseins sur notre planète et pour présider à nos propres destinées.

Puisque la prophétie est dans la nature humaine, et que, cependant, nous ne la rencontrons pas chez tous les hommes, il faut qu'elle dépende de certaines conditions, également prises dans notre nature, et que nous devons supposer remplies pour que l'émanation divine et l'intervention de l'intellect actif ne s'exercent pas en vain. Ces conditions se divisent en plusieurs classes. Les unes se rapportent à notre constitution ou à l'état de nos organes, ce sont les conditions physiques; les autres dérivent des qualités de notre esprit et de l'usage que nous en faisons, ce sont les conditions intellectuelles; enfin il y en a qui résident dans la volonté et dans le caractère, ce sont les conditions morales.

La prophétie, comme on vient de le dire, a son siége principal dans l'imagination. Or l'imagination n'est pas une faculté purement spirituelle elle dépend en grande partie de notre constitution, de la vivacité des impressions que nous recevons par les sens, et des circonstances extérieures qui sont favorables ou contraires à son activité. Ainsi, par exemple, le sommeil lui convient mieux que l'état de veille; et c'est par ce motif que les anciens docteurs ont appelé les songes la soixan. tième partie de la prophétie. Il existe donc des conditions physiques en dehors desquelles la prophétie est impossible. Les conditions intellectuelles ne sont pas moins nécessaires, puisque la raison tient sa place dans la vision prophétique. C'est sur elle que descend d'abord l'émanation céleste, et plus elle aura été exercée par la méditation, fortifiée par la science, éclairée par l'amour de la vérité, plus son concours sera efficace et fécond. Les conditions morales ne peuvent pas non plus être contestées, si l'on songe que l'interprète de Dieu sur la terre, l'apôtre de la vérité et de la loi, doit être avant tout un homme de bien et même un héros prêt à donner sa vie pour accomplir sa mission. Les vices et les faiblesses du cœur sont incompatibles avec ce rang sublime; i exclut aussi l'abaissement et l'affliction qui naissent de l'esclavage. C'est pour cela que le don de la prophétie a été suspendu en Israël pendant la captivité de Babylone 1.

Les qualités qu'on vient d'énumérer ne se trouvent réunies dans leur complet développement que chez les prophètes; mais le reste de l'humanité les possède également, quoique à un moindre degré; et, comme

II' partie, chap. xxxv1; t. II, p. 288 de la traduction française.

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c'est tantôt l'une, tantôt l'autre qui l'emporte, on a été conduit à distinguer trois sortes d'hommes les hommes d'intelligence, comme les savants et les philosophes; les hommes d'imagination, comme les poëtes, les enthousiastes, les thaumaturges; et les hommes d'action, tels que les législateurs, les politiques et les guerriers. Les prophètes euxmêmes nous offrent entre eux d'énormes différences. Les facultés dont la réunion les élève au-dessus de leurs semblables ne leur ont pas été accordées dans la même mesure. Il n'y a que Moïse qui les ait portées toutes à leur dernier terme de perfection. Aussi la loi de Moïse est-elle la plus parfaite des lois, non-seulement de celles qui existent ou qui ont autrefois régné sur la terre, mais de celles qui peuvent exister. Elle est la loi immuable, la loi éternelle, et, par cela même, toute révélée qu'elle est, la loi naturelle. Également éloignée du mysticisme et du matérialisme, de cet excès de rigueur qui refuse tout aux sens, et de cet excès d'indulgence qui se fait leur esclave, elle ne demande à l'homme que les sacrifices nécessaires à son perfectionnement, à sa félicité dans ce monde et dans l'autre, à la paix et à la durée de la société. Elle n'exige rien de lui, elle ne lui prescrit rien qui ne soit conforme à sa nature et proportionné à ses forces. Il est permis de supposer que Maïmonide, en parlant en ces termes de la loi de ses pères, la comparait intérieurement à l'Évangile et au Coran, et que c'est précisément le spiritualisme chrétien et le sensualisme musulman qui représentent à ses yeux les deux excès dont il félicite le législateur des Hébreux d'avoir su se préserver. Les idées philosophiques et religieuses de Maïmonide s'appuient presque toujours sur un fondement historique; il ne fait pas un pas sans invoquer ou un texte ou un fait; et, quand il ne peut pas les citer directement, il les désigne par allusion.

Mais Moïse n'est pas seulement le plus grand des législateurs : c'est l'esprit spéculatif qui s'est élevé le plus haut dans la sphère de la vérité, ou qui a le mieux compris la nature divine; car, lorsqu'on dit qu'il voyait Dieu face à face ou qu'il s'entretenait avec lui de bouche à bouche, comme un homme avec son prochain, cela signifie simplement qu'entre sa raison et l'essence du Créateur il n'y avait point d'intermédiaire; que l'imagination n'avait aucune part à ses sublimes pensées 2. C'est tout le contraire chez les autres prophètes. La vérité ne leur apparaît qu'à travers un voile. La nature de Dieu, sa volonté, ses desseins sur le monde en général et sur Israël en particulier, ne se mon

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' II' partie, chap. xxxvII, p. 289-294. — Ibid. chap. XLV; t. II, p. 348 de la traduction française.

trent à eux que sous des formes sensibles, créées par l'imagination, ou dans les visions d'un songe. Aussi faut-il bien se garder de prendre à la lettre la plupart de leurs récits; ce serait un sûr moyen de tomber dans un dangereux anthropomorphisme. Les choses surnaturelles qu'ils ont vues, les paroles qu'ils assurent avoir entendues, tout cela se réduit aux images qui ont frappé leur esprit pendant le sommeil prophétique. Mais ces images sont le fruit de leurs méditations et de la pureté de leur vie ou de la sainte exaltation où sont entrées leur âme et leur intelligence, à force de se diriger vers un but supérieur. Naturellement elles varient suivant le caractère des hommes et les distances qui séparent les esprits. Ainsi l'un a vu Dieu lui-même, comme Isaïe, quand il raconte avoir aperçu l'Éternel assis sur un trône et remplissant le temple des plis de sa robe. L'autre n'a fait qu'entendre la parole de Dieu, comme lorsqu'on lit dans la Genèse que la parole de Dieu fut adressée à Abraham dans une vision 1. Celui-ci ne voit ni n'entend Dieu : il n'aperçoit qu'un ange, comme Jacob à Bethel et Balaam dans le désert; et celui-là, exclu même de cette dernière faveur, est admis seulement à entendre la voix d'un ange.

En combinant ces différences avec celles qui existent dans les facultés elles-mêmes, Maimonide arrive à composer comme une échelle de l'esprit prophétique, dans laquelle on ne compte pas moins de onze degrés. Nous ne suivrons point Maïmonide dans ces distinctions. On peut se figurer tout ce qu'elles ont de subtil et d'arbitraire. Mais la conclusion qui en sort n'en est pas moins remarquable. C'est qu'il n'y a de vrai chez les prophètes que les idées et les sentiments dont ils sont les interprètes, que les doctrines morales et religieuses que Dieu leur inspire et qu'ils enseignent en son nom; mais que les faits dont ils déclarent avoir été ou les acteurs ou les témoins pendant la durée de leurs visions sont purement imaginaires. Ainsi, quand les livres saints nous racontent que Dieu s'est montré à Abraham et s'est entretenu avec lui; qu'il lui a promis une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et le sable de la mer; qu'il lui a demandé ensuite de lui immoler son fils unique, et que ce sacrifice était sur le point d'être consommé, quand un ange est venu lui arrêter le bras; que Jacob a vu les anges de Dieu monter et descendre sur une échelle qui s'étendait du ciel à la terre; que le même patriarche a lutté avec un ange et est sorti victorieux de ce combat: tout cela s'est passé en songe ou dans les transports d'une imagination dominée par une pieuse ivresse. Il en est

Genèse, chap. xv, v. 1.

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